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Idées

Controverses sur les statistiques

il faut réformer la gouvernance de la statistique publique en garantissant son indépendance, en définissant un schéma intégré du dispositif statistique, en adoptant un code de bonne conduite dans la production, la diffusion et l’utilisation des informations.

Publié le


Mis à jour le

larabi 2014 01 29 2014 02 03

La polémique sur le taux de croissance repose de nouveau les questions de la qualité et du mode de fabrication des statistiques mises à la disposition du public. Ces informations constituent une base partielle mais indispensable pour fournir au débat démocratique des références robustes. Or, le HCP, principal acteur du système statistique national est confronté à un certain nombre de difficultés dans sa volonté de convaincre les décideurs politiques, économiques et sociaux de la crédibilité des informations produites par ses soins et de l’interprétation de ses indicateurs.

La première difficulté réside dans l’insuffisante pertinence des statistiques fournies. Il n’y a pas de mesure objective de la pertinence d’une statistique donnée mais on convient que la pertinence s’apprécie par la proximité entre le concept qu’on veut observer et le résultat obtenu. De nombreux indicateurs statistiques sont critiqués pour le fait qu’ils ne donnent qu’une information partielle, appauvrie, voire biaisée du phénomène observé. L’actualité récente nous en fournit de multiples exemples : taux de croissance du produit intérieur brut, taux de chômage, taux d’inflation et pouvoir d’achat. Le HCP se voit reprocher de déverser une information jugée non représentative de la «réalité».

La deuxième difficulté liée à la précédente tient au manque de lisibilité des faits et phénomènes sociaux décryptés pas les statistiques. Les controverses  sur les chiffres du chômage, par exemple, ne sont pas liées à un manque de rigueur scientifique. Mais plutôt à un certain enfermement dans un discours méthodologique n’ayant pas pris toute la mesure de la nécessité d’affiner cet indicateur pour mieux servir le débat public sur l’emploi et le chômage. Le HCP ne produit aucune sophistication dans la définition ou dans la diversification des indicateurs pour mieux les faire correspondre aux questions posées dans le débat social. Maintenir les catégories statistiques inchangées fait courir le risque d’une représentation de plus en plus éloignée de ce qu’enseigne la transformation de l’économie et de la société.
Un troisième type de difficultés relève d’un défaut de coordination. Le système statistique se caractérise par l’absence d’une organisation cohérente et intégrée. Nous sommes en présence d’une diversité de producteurs (et de productions), chacun produisant selon des objectifs, des méthodologies et des logiques spécifiques. Le résultat final est l’existence de données dispersées, peu homogènes. Ce problème se pose aussi bien entre producteurs d’information séparés qu’entre productions d’une même instance. La quatrième difficulté tient à une certaine rigidité à faire évoluer les pratiques d’interprétation de l’information. Une des forces d’un système statistique est d’associer la production statistique à l’analyse des données. Or, la statistique publique ne fait pas preuve d’une grande appétence pour appréhender un certain nombre de «nouvelles» problématiques économiques et sociales de façon originale. Certes, il y a des avancées dans
la publication d’études et de travaux. Mais ces avancées sont la résultante d’un mode de fonctionnement en vase clos, d’un agenda propre, d’un pilotage sans concertation avec les autres parties prenantes. Le HCP produit des analyses sur la base de données confectionnées par ses services. Des  analyses suivies avec curiosité par une communauté scientifique peu ou pas  associée au décryptage des données et encore moins à leur interprétation. Les statistiques sont trop sérieuses pour les laisser qu’aux seules «personnes de la maison» aussi averties soient-elles. Cela obère les capacités d’inventivité du système statistique en polarisant sa production sur «l’éclairage sous le réverbère», c’est-à-dire la production de données ni analysées en profondeur ni a fortiori réexaminées pour l’éclairage des réalités.

L’autre difficulté réside dans la fermeture, voire l’«autisme» du HCP vis-à-vis de certaines demandes sociales dont la légitimité est tout aussi importante. Il est déplorable de relever que l’arrogance d’une position dominante dans le système finit par entretenir un conflit déclaré ou sourd avec  les organes de l’Etat, les institutions publiques, le monde de l’entreprise et de l’université. L’ouverture du HCP sur son environnement ne peut être assimilée à des opérations de communication, à des «one man show» organisés à l’occasion de la diffusion des résultats d’une enquête ou d’une étude. La force d’un système statistique est sa capacité à répondre simultanément à un ensemble de demandes émanant de multiples acteurs et portant sur des informations de nature différente, qu’il s’agisse de l’Etat, des collectivités territoriales, des acteurs économiques et sociaux ou encore des chercheurs.

Certes, il n’y a pas de statistiques parfaites, il faut simplement veiller à produire des statistiques bien faites. Pour avoir un débat serein et informé sur les indicateurs socio-économiques ou sur la politique économique, il faut se mettre d’accord sur la pertinence, la lisibilité, l’homogénéité et la disponibilité des données qui le nourrissent. Sans échanges et sans consensus scientifique sur les méthodes de construction des chiffres, le débat n’a plus beaucoup de sens politique. Autrement dit, débattons, divergeons autant que l’on veut sur les politiques économiques, mais que l’on permette aux parties concernées de s’approprier sans risque de contresens les informations statistiques de base. Pour ce faire, une seule solution clairement explicite : réformer la gouvernance de la statistique publique en garantissant son indépendance, en définissant un schéma intégré du dispositif statistique, en adoptant un code de bonne conduite dans la production, la diffusion et l’utilisation des informations et en créant un conseil national de la statistique, espace institutionnalisé et autorisé de débat et de suivi du système.