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Idées

Clara ou la minute de gloire

Une jolie tête blonde innocente au milieu d’une smala au Maroc, qui plus est sanglée au dos d’une femme habillée comme une Arabe ? Bon sang, mais c’est Maddie ! La touriste espagnole n’a pas l’ombre d’un doute.
Un beau chérubin blond chez les Maures, ce n’est pas très catholique.

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On connaît la formule tirée d’un livre adapté à l’écran : Les hommes préfèrent les blondes. Sur les blondes et les blonds en Occident, il y a toute une littérature populaire, et des vannes à deux balles. Mais il y a aussi beaucoup d’incompréhension, de malentendus culturels et de relents de racisme bête et méchant. Malheureusement, c’est à la faveur d’un drame familial qui a pris une dimension planétaire que la blondeur nous a rattrapés, nous autres basanés.

L’affaire de la petite anglaise Madeleine Mac Cann, disparue au Portugal et dont les faits et gestes des parents font la une des médias du monde entier nous a éclaboussés à deux reprises. Des touristes l’auraient aperçue d’abord à Marrakech, dans le hall d’un hôtel. Puis, à travers la photo d’une famille marocaine du nord du pays, sur laquelle on perçoit à peine une petite tête blonde. Cette image prise par une touriste espagnole a fait le tour des rédactions en Europe et ailleurs. Comment ?! Une jolie petite tête blonde innocente au milieu d’une smala au Maroc, qui plus est sanglée au dos d’une femme habillée comme une Arabe (une Rifaine en l’occurence)? Bon sang, mais c’est Maddie! La touriste espagnole, qui réside pourtant à un jet de pierre de là, à Sebta, n’a pas l’ombre d’un doute. Un beau chérubin blond chez les Maures, ce n’est pas très catholique. Elle s’appelle Clara, la femme de Sebta, et pour elle, c’est «claro» : la petite Maddie enlevée par les Moros est au Maroc. Elle prend une photo et le tour est joué, l’emballement médiatique faisant le reste. Les journaux et les chaînes de télé ont monté la photo en épingle et la majorité des gens ont retrouvé les traits de Maddie. Après des mois de surexposition de photos de la petite anglaise dans les médias, sur le net et les affiches; après les campagnes menées par les stars du show-biz et du foot, David Beckham en tête, comment ne pas garder dans la mémoire visuelle un effet d’optique amplifié par l’émotion et les détail sordides sur ce drame familial ?

Cette rémanence, renforcée par des préjugés culturels mâtinés d’un certain ethnocentrisme, ont jeté l’opprobre sur cette modeste famille de la région de Tétouan. Mais, quelques jours plus tard, il s’est avéré que la jolie tête blonde épinglée par la perfide Clara s’appelle Bouchra, vit tranquillement avec ses parents et va bientôt fêter, carnet d’état civil à l’appui, son troisième anniversaire à la fin du mois d’octobre. Tout est bien qui finit bien pour la petite Bouchra dont les parents ont exprimé leurs regrets et compassion à la famille de Maddie. Et honte donc à Clara !

Si on a évoqué des préjugés et des relents d’ethnocentrisme dans cette affaire déclenchée par la rémanence de l’image de la petite Maddie, ce n’est nullement par un excès de susceptibilité. Nombre de gens en Europe et ailleurs pensent que tous les Marocains, et plus généralement les Maghrébins, sont des basanés. La colonisation a rarement mis en avant la diversité et le métissage de la population, fruit des brassages ethniques à travers l’histoire. En France, comme en Espagne pour d’autres raisons historiques, les «Maures» sont des gens différents, inquiétants et d’abord par leur «gueule». Des sobriquets racistes tels que bics, bicots, bougnoules, melons et autres qualificatifs plus dégradants à leurs yeux et toujours relatifs au physique ont accueilli les premiers émigrés dans les années soixante. Et puis comment ne pas évoquer l’emballement médiatique qui prend des proportions hallucinantes. De nos jours, un fait divers, même moins dramatique que l’affaire Maddie, peut bouleverser des esprits et la vie de personnes qui n’ont rien demandé, tels les parents de la petite blonde marocaine de la région de Tétouan. Rentabilité oblige, les médias font tout pour que ce fait divers prenne la forme d’un feuilleton. La forme conduisant au «format» et au «concept», le fait divers se diversifie et s’inscrit dans une structure d’écriture scénarisée. Il devient ainsi une histoire, un récit avec une dramaturgie, des rebondissements et une «délocalisation» des événements. D’où la captation d’un large public qui attend que les médias lui racontent une histoire, une fiction. Dans le mouvement de ce récit médiatique, une partie de ce public ira, comme dans une émission de téléréalité, jusqu’à prendre part à l’histoire pour avoir sa minute de gloire médiatique. C’est sans doute le cas de Clara qui se voit ainsi citée partout, même à ses dépends et jusque dans cette modeste chronique.