Idées
Chirac, un politique si peu ordinaire
au vu du discrédit dont souffre la classe politique, voir pourquoi on aime un homme comme Jacques Chirac peut être instructif. Et, puis, l’ancien président de la République française n’est-il pas «Chirac le Marocain» comme les «Guignols de l’Info», sur Canal+, se plaisaient à le parodier ?

Rattrapé par les «affaires», Jacques Chirac vient de passer devant le tribunal correctionnel comme n’importe quel citoyen ordinaire. A 76 ans, il lui faut répondre d’actes commis (ou pas), il y a plus de vingt ans, un fait rarissime pour un chef d’Etat, les deux seuls de toute l’histoire de la République française à avoir été jugés jusque-là étant Philippe Pétain et … le roi Louis XVI ! Jacques Chirac n’affirmait-il pas lui-même, pour ce qui est de la responsabilité des hommes politiques, qu’il fallait «laisser passer la justice afin que les citoyens ne ressentent pas l’injustice» ? La roue a fini par tourner et c’est pour lui, cette fois-ci, que la justice «doit passer». Mais ce qu’il disait alors semble ici trouver sa vérification. En effet, alors que l’ancien président de la République française comparaît devant les juges, son taux de popularité, paradoxalement, ne faiblit pas d’un gramme. Il continue à caracoler à 76%, la sympathie des Français pour le précédent locataire de l’Elysée n’étant en rien affectée par les poursuites dont il est l’objet. D’autres raisons font qu’il est l’homme politique le plus populaire de France mais d’être ainsi traité comme un citoyen ordinaire doit aussi contribuer à lui conserver l’affection de ses concitoyens, «ordinaires» comme lui l’est redevenu.
Jacques Chirac qui, par le passé, fit l’objet de sondages calamiteux, a vu sa cote de popularité monter en flèche dès lors qu’il cessa d’être président de la République. «Pourquoi les Français ont-ils tant de sympathie pour Jacques Chirac ?», la question rebondit à nouveau dans la presse française à l’occasion de la sortie des mémoires de l’ancien Président de la République. Elle mérite qu’on s’y arrête. En effet, au vu du discrédit dont souffre la classe politique, voir pourquoi on aime un homme comme Jacques Chirac peut être instructif. Et, puis, l’ancien président de la République française n’est-il pas «Chirac le Marocain» comme les «Guignols de l’Info», sur Canal+, se plaisaient à le parodier?
Cet étonnant retour en grâce trouve sa source première dans la comparaison de Jacques Chirac avec son successeur à l’Elysée, Nicolas Sarkozy. Dans une logique de vases communicants, plus l’un descend et plus l’autre monte. La présidence de Nicolas Sarkozy teinte de nostalgie le temps de Chirac. Même au sein d’une opposition de gauche qui ne fut jamais très tendre à son égard, on dit «finalement regretter Chirac» pour reprendre les mots de Martine Aubry, S.G du PS. «On a eu beaucoup de désaccords, a-t-elle reconnu lors d’une émission télévisée, mais on avait de bons moments(1)». Et de préciser : «…nous avions des goûts communs, je pense au Maroc, j’ai quelques souvenirs sympathiques».
Avec ou sans «s», «sympathique» est le qualificatif qui revient le plus souvent à propos de Jacques Chirac. Dans la comparaison avec Nicolas Sarkozy, plus que les politiques menées, ce sont les personnalités que l’on oppose. En effet, ce n’est pas tant par sa vision politique(2) -Jacques Chirac était passé maître dans l’art de la métamorphose ayant été «progressiste» puis «fana-militaire», «giscardien» puis «anti-giscardien», «ultra-libéral» puis «champion de la cohésion sociale(3)», etc. – que par son caractère que Jacques Chirac se distingue de Nicolas Sarkozy. Là où l’un est perçu comme méprisant envers le peuple et aux petits soins des nantis, l’autre, avec son caractère chaleureux et expansif, était considéré «simple et humain» comme l’écrit cet internaute : «Un type qui tape sur le c. des vaches, se goinfre et boit de la bière, ne peut être que simple et humain». Mais c’est dans ce que dit de lui Robert Hue, l’ancien S.G du Parti communiste, qu’on trouve, me semble-t-il, une clé de l’énigme de la popularité de l’ex-président français. «Nous nous sommes régulièrement vus en tête à tête quand il a été élu, raconte R.H. Au bout de dix minutes d’entretien, on oubliait qu’il était le président».
Un chef d’Etat qui vous fait oublier qui il est ! D’ordinaire, dès qu’un individu possède une once de pouvoir, il veut que personne, surtout, ne l’oublie. Plus sa fonction est élevée, plus il a tendance à s’entourer d’une forme de glacis. Comme un sas invisible qui met à distance l’autre. Les rituels du pouvoir, les signes dont il se pare ont pour objet de formaliser cette distance.
Or, par tempérament, Chirac cultive la proximité. Il ne s’enfermait pas dans sa tour d’ivoire pour regarder les autres de haut. Je ressentis cela très fort le jour où j’eus l’opportunité de l’approcher de près. C’était dans le cadre d’un petit-déjeuner de presse. Chirac, pour dire les choses prosaïquement, n’était pas «ma tasse de thé». Pourtant, j’avais été séduite par l’homme. Par son affabilité. Par sa simplicité. Je fus frappée surtout par la manière dont ses collaborateurs s’adressaient à lui. Une manière directe, sans raideur, sans affectation, sans -dirais-je- protocole. C’était le président de la République française, c’était l’Elysée et pourtant, malgré les lambris du lieu, ce que l’on voyait, c’était un type sympathique qui vous accueillait avec un large sourire. A mon avis, c’est là que réside le secret de son formidable regain de popularité n
(1) Martine Aubry fut ministre des affaires sociales dans le gouvernement Jospin, sous la présidence de Chirac, pendant la période de la cohabitation.
(2) Il reste que Jacques Chirac fut celui qui s’opposa à la guerre en Irak, prenant ses distances avec G.W. Bush quand son successeur opta pour un suivisme total. Il fut également celui qui arracha Yasser Arafat mourant des griffes israéliennes, mobilisa plusieurs équipes médicales pour tenter de le sauver et, surtout, au moment de rapatrier la dépouille du président de l’Autorité palestinienne en terre de Palestine, lui rendit les honneurs dus à un chef d’Etat.
(3) Le Nouvel Observateur, n°2347, p.10
