Ces idées simples qui gouvernent le monde

On ne peut tourner le dos à un flux de représentations et de constructions idéologiques qui nous assaillent… Clash des civilisations, conflit entre l’Islam et l’Occident, intolérance inhérente à telle ou telle religion, le wahabisme, nouvel ogre idéologique… Les idées simples sont fausses, disait Paul Valéry…Elles peuvent être dangereuses… Voilà quelques rectificatifs: il n’y a point de clash de civilisations entre the West and the Rest comme l’avait prédit Huntington. L’Occident est suffisamment barricadé, suffisamment fort pour ne pas faire l’objet d’une menace de l’Islam. L’Islam, ou le monde musulman – je m’empresse de rectifier -, n’est pas uniforme. L’Indonésie n’est pas le Nigéria. Khatami n’est pas Abu Qatada… Il y a pourtant une part de vérité qu’on n’arrive pas à conceptualiser. Le clash est réel, mais il est interne au monde musulman. Il est entre ceux qui épousent leur temps et s’identifient à l’évolution du monde, et ceux qui la refusent ou qui n’arrivent pas à y accéder… Ce ne sont pas les frontières de l’Islam qui sont sanglantes, comme l’avait prétendu le très avisé Brzezenzski, mais ses entrailles… La fracture Orient-Occident est imaginaire pour reprendre l’analyse très pertinente de George Corm.
L’Occident comme vecteur des relations internationales ? Faux. L’Occident est une entité culturelle mais non politique… L’Amérique agit, depuis le 11 septembre, en fonction de ses propres intérêts ou ces menaces qui planent sur son territoire ou ses citoyens et non d’un mythique Occident… L’Europe, quant à elle, est mue par la construction de l’Europe et le rêve d’une entité politique, voire militaire, qui puisse faire contrepoids aux Etats-Unis. Les «Amerloques» sont mal perçus outre-Atlantique. Les «Amerloques» le leur rendent bien.

Le wahabisme n’est pas une doctrine théologique mais un rite
Le wahabisme, ogre idéologique qui menace le monde ? Voyons plus clair, le wahabisme est un rite, ce n’est même pas une doctrine théologique (firqa kalamia). Il est un avatar du hanbalisme, rite rigoureux, littéral, et osons le terme, rétrograde et, fatalement, conservateur…
L’arme de combat de l’islamisme provient d’une expérience historique, celle de l’Afghanistan… La guerre a créé un sentiment de fratrie transcendant l’appartenance ethnique…
Forts de l’expérience du combat, aguerris, la frustration aidant quand ils ont vu leurs anciens protecteurs les lâcher : les Stinger américains, les instructeurs de la CIA, l’argent saoudien, les Moujahidin ont créé le noyau de ce qui est communément appelé Al-Qaïda. La matrice idéologique existait déjà, puisque le Salafisme entonnait que le devenir de la communauté ne serait amendé qu’à l’instar de son passé (la yasluhu amru hadihi al umma, illa bi ma saluha fi awaluha)… L’expérience afghane est à l’Islam ce que les croisades furent à la chrétienté, ou la guerre d’Espagne aux socialistes… L’idéal type qui inspire les combattants… La religion comme idéologie et arme de combat est une idée égyptienne très ancrée. C’est peut-être là qu’il faut chercher. Depuis Moïse jusqu’à Zawahiri, en passant par Hassan Al Banna, Essaïd Qotb, Hassan Sabbah, le maître du chiisme radical qui a fait un passage remarqué chez les Fatimides du Caire…

Les préceptes d’une religion sont ce que sont les notes pour la musique
L’islam est une religion dont on peut faire l’usage qu’on veut… Au nom du christianisme, religion de la charité par excellence, on envoyait les «hérétiques» au bûcher ! Les préceptes d’une religion sont ce que les mots sont pour une langue, ou les notes pour la musique… C’est la virtuosité des hommes qui en fait de beaux textes, de belles symphonies, ou des horreurs et tintamarres désagréables à l’esprit aussi bien qu’à l’oreille… L’islam sera ce que les musulmans ou des musulmans en feront… Les textes sont neutres…

Récapitulons : gardons-nous des idées simples. Attelons-nous à savoir avant de juger. Confucius avait bien raison : «Savoir sans juger est inutile, juger sans savoir est dangereux»