Idées
Cacophonie culturelle
La réhabilitation de l’amazigh est un fait. Dans la pratique, toutefois,
de mauvais choix ont été faits. Ils pourraient conduire au communautarisme.
«Le Maroc a besoin d’une langue normée, qui porte son rayonnement, facilite son développement, le protège de l’isolement et préserve la cohérence de son identité», écrit Omar Seghrouchni dans une récente réflexion.Le Maroc ne dispose pas de langue normée et pâtit d’une multitude de parlers qui le confinent dans son isolement. Le non-dit est que seule la langue arabe est à même d’être cette langue normée susceptible de porter le rayonnement du Maroc, faciliter son développement et le protéger de l’isolement. Ce ne saurait être l’amazigh, laisse entendre Seghrouchni. «L’IRCAM ne doit pas se transformer en commando de désarticulation de la langue arabe», dit-il sans ambages.
Les Américains contribueront paradoxalement à l’essor de la langue arabe
Cela mérite quelques commentaires, car nous allons vivre quelques turbulences linguistiques, suite à l’ouverture économique amorcée, qui mettra en question le statut de la langue française en même temps que celui de la langue arabe. D’autant qu’il faudra gérer l’introduction de l’amazigh dans l’espace linguistique et culturel, ce qui ne se fera pas sans heurts.
Autant la langue française est disposée à pactiser avec la langue arabe, qui ne pourra pas lui disputer sa place de choix, autant elle montrera les crocs contre le «péril» angliciste, à travers ses relais qui se recrutent dans la classe moyenne et qui sont devenus, en Algérie comme ici, le rempart de la présence française dans nos contrées. D’aucuns ont manifesté contre l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, arborant le slogan très français de «l’exception culturelle». Ceux-là mêmes qui n’ont jamais daigné sortir dénoncer le statut peu enviable de la langue arabe ou de l’amazigh, ou la culture populaire tout court. Par les relais et les complicités dont ils disposent en «métropole», ils feront parler d’eux, et perturberont l’ouverture outre-Atlantique.
Le statut de la langue arabe au Maroc pose problème. La langue arabe est laissée pour compte, la bride au cou. Elle n’a point de parrain ni dans les instances de l’Etat, ni dans les partis politiques. Les quelques partis qui défendaient la langue arabe – arabité voire panarabisme – ont perdu de leur superbe et de leur crédibilité. Comment défendre la langue arabe quand on l’ignore, voire quand on la méprise, ou quand le traitement qu’on lui réserve est celui d’une épouse cocufiée au vu et au su de tout le monde. La langue arabe évolue dans le giron de la siba, dans la nébuleuse islamiste ou d’une presse indépendante. Fleur de la siba, elle deviendra levier de celle-ci, en parallèle à une évolution extérieure que dispensent des chaînes de télévision arabes, Al Jazira, Al Arabia, ANN, jouant le rôle, en plus grand, que jouait la BBC, et conférant à la langue arabe un nouveau statut de langue internationale. Les Américains qui, résolument, s’embarquent dans une politique de propagande, contribueront paradoxalement à l’essor de la langue arabe.
Quid de l’amazigh ? Il est vrai que la reconnaissance de la dimension amazigh et la réhabilitation de la langue n’est que justice, et pour utiliser une expression en vogue, réconciliera le Maroc avec lui-même. Il est vrai que la création de l’IRCAM est le cadre approprié pour l’aménagement linguistique. Il n’est pas moins vrai que les problèmes de gestion de l’amazigh pèseront de leurs amarres. D’abord, le vice rédhibitoire d’une représentation régionale au sein de l’IRCAM, ce qui ne manquera pas d’attiser les mécontentements des régions. Les Rifains se sentent des laissés-pour-compte et le font entendre. Les mauvais choix – cautionnés à la fois, dans la précipitation, par l’IRCAM et le ministère de l’Enseignement – pour l’enseignement de l’amazigh par le bas, au lieu de commencer par le haut, le temps que la langue se normalise, que les formateurs soient formés, que les manuels soient confectionnés, que l’environnement linguistique et culturel soit adapté. A quoi bon enseigner l’amazigh si on ne le parle pas à la télévision ? Le choix du Tifinagh comme graphie officielle risque de confiner l’amazigh à une référence communautariste, au lieu d’être une langue nationale accessible à tous les nationaux. Un choix par défaut, qui ne manquera pas de peser sur l’évolution de la langue amazigh. Mais plus important, le mouvement amazigh ne semble pas satisfait de ce «cadeau» qui, pour reprendre l’expression d’un intellectuel amazigh, membre du conseil d’administration de l’IRCAM, Mohammed Boudhane, contribue à la «makhzenisation» de l’amazigh. Les revendications du mouvement, y compris des membres cooptés par le système, sont ailleurs. La constitutionnalisation n’est qu’un pas vers une refonte de l’échafaudage culturel et politique.
On ne s’embarrasse pas au sein d’une structure de l’Etat (l’IRCAM), émargeant à son budget, à le fustiger, lui accolant l’épithète péjoratif par l’usage qu’on lui donne : le Makhzen. On ne peut manger du verger et insulter son propriétaire en même temps, dit le proverbe marocain. L’éthique commande la cohérence.
Que l’amazigh vive en communion avec la langue arabe
Dans cette cacophonie culturelle, l’Etat ne semble pas avoir d’autre politique que de parer au plus pressé sous l’effet de la pression. Le matin on débite ce qu’on a ingurgité le soir à la faveur de rencontres fortuites. Cela ne saurait être une politique. A quoi bon avoir un parlement s’il ne peut se prononcer sur un dossier qui interpelle le devenir de la nation. L’Etat garant de l’intérêt général semble basculer vers une conception communautariste où l’intérêt général est défini comme étant la somme des intérêts particuliers. Le communautarisme, devenu une mode, est une caricature de représentation. Il est l’antinomie de la démocratie et de la modernité dont on se gargarise à longueur de journée.
A la différence de Seghrouchni, qui ne s’accommode guère de la diversité culturelle, je suis une adepte de la diversité qui s’inscrit dans l’ordre des choses. Tout est dans sa gestion, tout comme dans la manière dont on joue des notes musicales, dont on peut faire une cacophonie assourdissante ou une symphonie agréable à l’oreille. Que l’amazigh vive en communion avec la langue arabe. Cela, des islamistes proches du PJD l’ont compris. Ils ne se satisfont pas à défendre cette approche du bout des lèvres, mais agissent déjà. Une association «Souss la savante», puisée d’un ouvrage de Moukhtar Soussi, avec une publication, Alouah. Quant à la graphie, ils ont fait leur choix : le caractère arabe. Ils défendent ce que Seghrouchni appelle une amazighité dans le giron d’une civilisation musulmane, en joignant l’action au discours
