Idées
Bourse : la fin d’une époque
Chronique de Larabi JAIDI

Cette fois, la fête paraît bien finie pour les boursicoteurs. La tendance des indices phare de la Bourse de Casa (Masi et Madex) est à la baisse. Ce recul marque probablement le début d’une période où l’évolution du marché financier sera plus conforme, désormais, à celle de l’économie réelle. Avec de lourdes conséquences pour tous les acteurs, ménages, entreprises, salariés-actionnaires, fonds de placement… Mais tout d’abord, d’où vient ce coup d’arrêt, après des années de hausses presque ininterrompues (malgré de sévères coups de grisou ? Avant même la crise, la Bourse triomphante était déjà sur le déclin. Pendant plus d’une dizaine d’années, certains s’étaient pris à rêver d’une montée ininterrompue du cours des actions. Petits et grands actionnaires avaient regardé leur magot s’arrondir à un rythme époustouflant. Des cours déconnectés de la réalité, le prix moyen des actions a en effet été multiplié par dix, quinze, alors que le produit intérieur brut (PIB) ne progressait que de 30-40%. Le prix des actions a donc augmenté beaucoup plus que l’ensemble des richesses produites. Un surcroît de valorisation impressionnant. Comment expliquer une telle hausse ? Le prix des actions est censé refléter le volume des bénéfices qu’une entreprise est capable d’engranger. Pourtant, les profits des sociétés cotées ne se sont pas accrus beaucoup plus vite que les richesses créées. Ils ont certes augmenté plus que le PIB. Mais, rien qui puisse, en tout cas, justifier une augmentation aussi forte du prix des actions. L’emballement des cours boursiers a eu pour effet de porter la valorisation du marché à des niveaux impressionnants. L’évolution du price earning ratio, ou PER, un indicateur clé pour les boursicoteurs, le confirme. Un rendement de 15-20%. Considérable. Quasiment deux fois plus que le taux de croissance de l’économie (son taux nominal, c’est-à-dire sans déduction de l’inflation), qui navigue autour de 7-8%. La place casablancaise affichait le niveau de Per le plus élevé par rapport à l’ensemble des Bourses émergentes et même occidentales. Le comportement de quelques valeurs du secteur immobilier serait derrière cet emballement. Ce n’est pas pour autant le seul facteur explicatif de la grimpette des cours. Le niveau de valorisation atteint par la place s’explique aussi par l’abondance du cash sur le marché, le manque d’opportunité de placement hors compartiment «actions», la migration de l’argent placé en obligataire vers le marché actions, les arbitrages des zinzins (les institutionnels) devenus plus actifs sur ce compartiment, car il est tout simplement le plus rentable. Mais, à côté, il y a aussi un engouement réel de la part de porteurs physiques, dont le portefeuille n’a parfois rien à envier à celui de certains fonds de placement. Mais ces derniers mois, nombreux sont ceux qui ont vu une part significative de leur patrimoine disparaître : ce sont des milliards de dirhams de richesses (virtuelles, certes) qui sont partis en fumée. Du coup, les apôtres des placements boursiers et de l’actionnariat salarié se font plus discrets. Pourtant, il n’était pas besoin d’être grand clerc pour se douter que l’histoire aurait une fin : la hausse des cours de Bourse ne pouvait se poursuivre indéfiniment. En témoigne le changement d’attitude des entreprises, acculées à racheter leurs propres actions pour soutenir les cours. Certaines d’entre elles rachètent davantage leurs actions qu’elles n’en émettent de nouvelles. Il s’agit pour elles, sous la pression des investisseurs institutionnels, de «créer de la valeur pour l’actionnaire» : moins il y a d’actions en circulation, plus la valeur de chacune d’elles augmente. Les ménages, continuent, eux, à vendre gaillardement les actions qu’ils détiennent. Ces ventes sont loin d’être compensées par l’intervention des fonds de placement, qui achètent, pour le compte des mêmes ménages.
Et maintenant, que peut-il se passer ? Cela dépend de l’appréciation qu’on porte sur le niveau actuel du prix des actions. Le «juste» prix des actions doit refléter la capacité d’une entreprise à faire des bénéfices dans le futur. C’est toujours une spéculation, puisque le futur est par nature inconnu. C’est pour cela que les cours des actions sont si volatils, avec des hauts et des bas qui se succèdent à vive allure, sans qu’on puisse vraiment dire quand le haut est trop haut ou le bas trop bas. Mais ce qui est très difficile à estimer pour une entreprise particulière l’est quand même moins pour un secteur d’activité, qui regroupe de multiples entreprises, ou pour l’économie d’un pays tout entier. Or, dans le marché financier, c’est l’entreprise qui compte. Ce qui explique la surévaluation de la Bourse. La pause a sensiblement réduit la bulle spéculative. Retour sur terre ? Pour l’instant, il semble que le prix des actions retrouve progressivement un niveau plus en rapport avec l’économie réelle. Sans doute allons-nous changer d’époque. Revenir d’un taux de croissance des actions de 20% par an à 5% ou 6% seulement (le taux de croissance de l’économie), cela change tout. D’abord pour les ménages : ceux qui avaient pris l’habitude de voir leur patrimoine s’accroître substantiellement, sans qu’ils aient besoin pour cela de travailler ni d’épargner, vont devoir redescendre sur terre. Le boursicotage individuel redevient aussi risqué que le casino ou les courses de chevaux. Parallèlement, l’enthousiasme de l’actionnariat salarié risque de fondre comme neige au soleil dans les entreprises. Pour les fonds de placement, l’époque où ils pouvaient «vendre» à leurs clients des performances honorables tout en empochant eux-mêmes de confortables commissions s’achève. Les institutionnels vont devoir réduire leurs attentes en termes de rendement des placements. C’est finalement pour les entreprises que cette stabilisation entraîne le moins de bouleversements. En effet, la contrainte de rentabilité qui pèse sur elles ne va pas s’en trouver affaiblie. Au contraire: elles vont sans doute être obligées de rechercher à restructurer leurs activités. En tout cas, nous sortons d’une période où l’on pouvait investir en Bourse sans risquer vraiment de perdre de l’argent, pour entrer dans une économie où il faut regarder où l’on met les pieds. Une vraie économie, en quelque sorte.
