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Cinq affaires et des milliards de DH volatilisés !

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CIH : le bout du tunnel, cinq ans après ?

Les malversations au sein du Crédit immobilier et hôtelier ont fait l’objet d’une commission d’enquête au sein de la Chambre des représentants entre le 12 juillet 2000 et le 9 janvier 2001. La démarche est une première. Les conclusions de cette commission font état de détournements de plusieurs dizaines de milliards de DH. Complexes immobiliers et hôteliers bénéficiant d’un financement de la banque sans aucune garantie, la plupart du temps sur décision de la présidence, faisant fi de la commission administrative, dont les avis sont normalement de mise dans ce cas de figure. L’affaire a par la suite été portée devant la justice. Les chefs d’inculpation vont du détournement et de la dilapidation de deniers publics, au faux et usage de faux en écriture bancaire.
18 prévenus ont été poursuivis, dont l’un des plus importants est Abdelhak Benkirane, ex-directeur général de l’établissement bancaire. Deux anciens hauts cadres du CIH faisaient ou font également partie du lot des accusés. Il s’agit de feu Othman Slimani, PDG de 1979 à 1993, et de Moulay Zine Zahidi, qui l’a remplacé jusqu’en 1998. Le dossier du premier s’est éteint comme le veut la justice, alors que le second se trouve en cavale à l’étranger. En mai 2006, la cour d’appel de Casablanca a décidé de le poursuivre par contumace.
La date de reprise du procès a été fixée au 26 septembre 2006

Abdelaziz Laâfora : le procès reprend le 19 septembre devant la Cour suprême

Samedi 13 février 2004, Abdelmoughit Slimani et Abdelaziz Lâafora, respectivement ex-président de la Communauté urbaine de Casablanca et ancien gouverneur de la préfecture Aïn Sebaâ-Hay Mohammadi sont arrêtés. Les chefs d’inculpation se focalisent sur le détournement de deniers publics, faux et usage de faux et trafic d’influence. A l’origine de l’affaire, une plainte déposée par un entrepreneur de nationalité suisse, Jean-Victor Lovat. Spécialiste en promotion immobilière, ce dernier a réalisé plusieurs projets de construction dans la capitale économique du Royaume, notamment le projet Hassan II de relogement des bidonvillois de Hay Mohammadi. C’est d’ailleurs ce ressortissant suisse qui sera entendu par les juges de la Chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca le 19 septembre, date de reprise du procès de Laâfora, qui, signalons-le, a bénéficié du privilège judiciaire d’être jugé par la Cour suprême à Rabat. Pour sa part, Abdelmoughit Slimani a été condamné à dix ans de prison et 50 000 DH d’amende par la Cour d’appel de Casablanca, en avril dernier.

BNDE : où est passé le milliard ?

C’est la semaine prochaine que le procès de Farid Dellero, principal accusé de l’affaire Banque nationale de développement économique (BNDE), aujourd’hui liquidée, passera en jugement devant la première chambre criminelle près la Cour d’appel de Rabat. Chefs d’inculpation : détournement et dilapidation de deniers publics et violation des procédures d’octroi de crédit. L’affaire a éclaté en juin 2004, après l’arrestation de l’ancien PDG de l’institution financière. Derrière l’affaire, un rapport accablant de l’IGF qui a passé au peigne fin les comptes de la banque et relevé des manquements portant notamment sur près d’un milliard de DH consentis au financement de nouveaux investissements. 50 % des projets l’ont été sous la forme de préfinancements. Après sept mois passés en détention provisoire à la prison de Salé, Farid Dellero a bénéficié de la liberté provisoire en janvier 2005, moyennant le paiement d’une caution de 3 MDH. Actuellement, l’ancien PDG fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire imposée par le juge d’instruction et ne peut, par exemple, quitter le territoire qu’après autorisation judiciaire. Autre mis en cause dans cette affaire, Abdelhak Benslimane, un homme d’affaires ayant bénéficié de crédits de la BNDE. Cet accusé se trouve toujours en cavale.

BCP : jugement pour le 27 septembre

Après de nombreux reports, l’affaire dite de la Banque centrale populaire sera jugée le 27 septembre courant. Principal accusé : Abdelatif Laraki, ancien PDG de la banque entre 1985 et 1998. Rappel des faits. En octobre 2002,
M. Laraki est arrêté avant d’être relâché quelques semaines plus tard contre le paiement d’une caution de 2 MDH. Il sera à nouveau arrêté, à Madrid cette fois-ci, quelques mois plus tard, suite à un mandat d’arrêt lancé à son encontre par Europol, par les autorités françaises. L’ancien PDG de la BCP est ainsi accusé de dilapidation des deniers de son institution et d’octroi de crédits à des clients insolvables par sa succursale parisienne. L’affaire remonte à 1996, lorsque M. Laraki avait demandé au ministère de tutelle l’autorisation de transférer le montant de 50 millions de francs français pour la restructuration de la Banque populaire de Paris.
Par la suite, une commission d’enquête est dépêchée sur place, le 27 juillet 1996. D’autres personnes se trouvent dans le collimateur de la justice marocaine pour cette affaire. Il s’agit des deux anciens directeurs généraux de la filiale parisienne.

CNSS : un trou de 47,7 milliards de DH entre 1972 et 2000

L’autre grand scandale qui a fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire, menée cette fois-ci au niveau de la Chambre des conseillers, concernait les comptes de la CNSS. Menées de novembre 2001 à mai 2002, les investigations des parlementaires ont relevé des manquements de 47,7 milliards DH en sommes dilapidées sans justificatifs ou en cotisations non perçues, et ce durant la période allant de 1972 à 2000. Par la suite, ce rapport accablant a été remis au ministre de la justice, Omar Azziman, à l’époque. C’est son successeur, Mohamed Bouzoubaâ, qui a transmis, comme la procédure l’exige, le rapport parlementaire à la Cour spéciale de justice (CSJ). Celle-ci a immédiatement saisi l’Inspection générale des finances (IGF). Après la dissolution de cette juridiction d’exception, l’affaire a été transmise à la Cour d’appel de Casablanca. Plusieurs mois resté aux oubliettes, le dossier a été réactivé dans le courant de l’année 2005 (juillet) avec la convocation d’une quarantaine de personnes. Dans la ligne de mire du juge d’instruction, Mohamed Gourja, qui a occupé le poste de directeur général de la CNSS de 1971 à 1992.

Zoom
Les principaux inculpés

Moulay Zine Zahidi
Un des principaux accusés de l’affaire du Crédit Immobilier et hôtelier, il a passé près de cinq années à la tête de la banque, de 1993, date à laquelle il a remplacé Othmane Slimani, à 1998, quand il a été remplacé par Abdelouahed Souheil.
M. Zahidi est en cavale en Europe. Il est jugé par contumace par la cour d’appel de Casablanca pour dilapidation de deniers publics, entre autres. Ses différentes sorties médiatiques ont défrayé la chronique.

Farid Dellero
Il a dirigé la BNDE entre 1994 et 2001. A cette date, les créances en souffrance de la banque se chiffraient à 4,5 milliards DH. Arrêté le 3 juin 2004, M. Dellero a bénéficié de la liberté provisoire en janvier 2005 moyennant le paiement d’une caution de
3 MDH. Actuellement, il fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire. Son fils, Nizar, est également poursuivi dans ce dossier en sa qualité d’administrateur d’une des sociétés ayant bénéficié de «prêts douteux» de la BNDE.

Mohamed Gourja
L’ancien directeur général de la CNSS est le principal mis en cause par le rapport de la commission d’enquête parlementaire. Les principales malversations, plus grands détournements et plus importantes dilapidations ont eu lieu alors qu’il était à la tête de la CNSS, entre 1971 et 1992. Il a plusieurs fois été entendu par les enquêteurs de la Brigade nationale de police judiciaire et par le juge d’instruction, l’affaire étant toujours en cours d’instruction.

Abdelatif Laraki
L’ancien homme fort du groupe Banque Populaire (PDG entre 1985 et 1998) se trouve sous le coup de deux affaires judiciaires, à Paris et à Casablanca. Arrêté par les autorités marocaines en octobre 2002, il sera relâché en décembre de la même année moyennant le paiement d’une caution de 2 MDH. Il sera arrêté une seconde fois à Madrid suite à un mandat d’arrêt lancé à son encontre par Europol à la demande des autorités françaises.

Abdelaziz Laâfora

Déféré devant la Cour suprême, l’ex-gouverneur de Ain Sebaâ-Hay Mohammadi se trouve toujours en détention provisoire à la prison de Salé. «Nous n’avons jamais demandé la liberté provisoire pour Laâfora», tient à souligner son avocat, Bouchaïb Kharbachi. Abdelaziz Laâfora est ainsi poursuivi pour détournement de deniers publics, faux et usage de faux et trafic d’influence dans l’affaire du projet Hassan II à Casablanca notamment.

Quatre questions
«Il est nécessaire de réformer les institutions de contrôle financier»

Azzedine Akesbi Président de Transparency Maroc

La Vie éco : Le déroulement des affaires en instance de jugement suit-il son cours normal ?
Azzedine Akesbi : Ce qui caractérise ces affaires, c’est la lenteur, le manque de transparence, des jugements limités à ce qui est habituellement qualifié du «petit poisson» : techniciens ou cadres intermédiaires. Pour certaines institutions, la méthode qui a été utilisée s’appelle liquidation et usage de l’éponge. Ceci s’applique notamment à la BNDE. Parler du bon fonctionnement de la justice dans ces affaires signifie au minimum que les personnes citées dans des dossiers – notamment le cas du CIH – soient convoquées par la justice pour s’expliquer et clarifier leur rôle dans ces affaires. Est-ce que ces personnes et personnalités sont plus puissantes que notre justice ? Qui les protège ? L’absence d’initiative du parquet dans ces cas conforte la thèse de l’existence d’une ligne rouge en matière de poursuite et, en fin de compte, le maintien de la règle de l’impunité.

Le transfert de ces affaires de la CSJ aux cours d’appel a-t-il influé sur le bon déroulement des procès ?
La suppression de la CSJ est un pas positif important. Mais il faut se rendre à l’évidence : nous sommes loin de l’indépendance de la justice. Les études récentes faites sur le système judiciaire montrent que le parquet et les juges (affectations, sanctions, promotions…) sont sous contrôle. Les changements dans le traitement des affaires de corruption auxquelles sont associés des enjeux économiques et politiques majeurs dépendent de la volonté politique et de la mise en œuvre d’une véritable réforme de la justice et de la gouvernance dans notre pays.

Les sommes en jeu ont-elles été restituées ? Disposez-vous d’estimations des pertes enregistrées ?
Pour les affaires jugées, et selon les déclarations officielles et autres chiffres rapportés dans la presse, les sommes récupérées sont modestes et symboliques en comparaison avec les milliards de dirhams détournés ou dilapidés dans des affaires comme celles de la CNSS, la BNDE, le CIH, la CNCA, etc. Par ailleurs, certaines affaires sont en cours ou non encore entamées. Or, en l’absence de décision de justice, il est impossible qu’il y ait restitution puisque l’origine douteuse des fonds n’est pas encore juridiquement établie.

Que faut-il faire aujourd’hui pour dépasser le spectre de ces années de plomb économique ?
La concentration et la confusion des pouvoirs est toujours présente, les situations de conflits d’intérêts sont multiples, l’obligation de rendre compte est loin d’être une pratique courante. Il faudrait tirer des enseignements de cette phase au niveau de la gouvernance, des institutions de contrôle et de la justice. Concrètement, il faut sortir de l’ère de l’impunité et ceci commence par le comportement et le message que laissera le passage des affaires actuelles devant la justice. Nous avons besoin de revoir la gouvernance actuelle qui produit et repose, à la fois, sur des confusions entre les pouvoirs (politique, économique et corporatiste) et des situations structurelles de conflits d’intérêts. Une réforme des institutions de contrôle s’impose. Elles devraient disposer de plus larges attributions, bénéficier de plus de compétences et de moyens et, surtout, être plus indépendantes dans l’exercice de leurs fonctions.
Propos recueillis par fadoua ghannam