Au Royaume
Un homme discret à la tête du contre-espionnage

Pour la première fois de l’histoire du Maroc, c’est un civil qui prend la tête de la DGED (Direction générale des études et de la documentation) le service du contre-espionnage marocain. Cette rupture-là va encore passer entre les fourches caudines de la cécité ambiante.
Mohamed Yassine Mansouri est effectivement un proche, très proche du Roi. Non seulement il le côtoie depuis l’enfance, mais il est son homme de confiance. Seulement M. Mansouri a une attitude qui contraste avec une certaine opinion des hommes de pouvoir. Il est discret, extrêmement discret. Quelques interlocuteurs ont cru y déceler de la timidité. Ce n’est pas vrai, c’est une manière d’être.
Fils de notables de Bejaâd, c’est-à-dire de notables mais de Bejaâd, il a fait toutes ses études avec le Roi. Il n’a gardé de ses origines que l’essentiel, un attachement au petit peuple, une humilité à toute épreuve et, surtout, une grande réserve par rapport à une élite très incertaine.
Dans sa manière de vivre, l’homme a réussi un exploit: il sauvegarde de manière farouche sa vie privée, ses amis se comptent sur les doigts des deux mains. D’une civilité avérée, il peut être d’une froideur glaciale.
Yassine Mansouri est d’abord un grand lecteur, c’est une véritable encyclopédie de la culture arabo-musulmane. Sa grande culture, il l’utilise malicieusement. Pour éviter de parler de factuel, il est capable de discourir sur le dernier livre concernant le choc des cultures. Il en a rarement l’occasion.
L’homme est charmant, mais ultra-réservé. De tous les hommes du nouveau monarque, c’est le moins public. Quand d’autres s’attachaient à se fabriquer des coteries, des affidés, il se concentrait sur son travail. Nommé à la MAP, il montre son savoir-faire et dévoile sa méthode. Il ne remet pas en cause les nominations effectuées par Fenjirou avant son départ. Il prend le temps de sélectionner ses hommes et ses femmes, fait le ménage gentiment et livre la maison à un cache, qu’il n’a côtoyé qu’une fois arrivé à la MAP: Mohamed Khabachi.
A l’Intérieur, il modernise les RG et s’occupe de dossier lourds
Une fois nommé à l’Intérieur, il se tapit dans son rôle, change la moitié de l’équipe sans avoir l’air d’en faire un objectif, modernise les Renseignements généraux et s’occupe de dossiers lourds.
Le Roi l’a chargé des relations avec l’Union européenne dans ce qu’elles ont de plus conflictuel : la drogue et l’émigration clandestine. Il s’en sort bien, si l’on en juge par la réaction des partenaires. Lui ne parle pas, ne présente son bilan qu’à qui de droit, ne cherche ni la médiatisation, ni encore moins la confrontation. Ceux qui le prenaient pour un second couteau, lui-même affidé à quelque puissance de l’ère nouvelle, feraient bien de se raviser. Maintenant qu’il est à la tête de la DGED, il prouve qu’il est nécessairement l’un des hommes-clés de la nouvelle ère.
Pourtant, il y a fort à parier qu’il ne changera pas d’attitude. Même en ayant à disposition une caisse noire importante, comme tous les services de renseignement du monde, il ne se fabriquera pas de connection à sa dévotion.
M. Mansouri n’a aucune gêne à raconter qu’il allait à l’école à dos d’âne. Son père, estimé et fort estimable, était un notable de la région, sans aucun lien avec la fortune. Aucun de ses frères ni parents n’a changé de métier pour devenir «entrepreneur». D’autres ont travesti quelques parents instituteurs en grands capitaines d’industrie via des crédits bancaires…
Le nouveau patron de la DGED a une botte secrète: sa grande humilité. Pendant plus de dix ans, il se rendait à son travail au ministère de l’Intérieur à l’heure. Driss Basri n’était pas gentil avec lui, mais il s’en tenait à l’essentiel, sa formation. Depuis l’avènement du nouveau règne, certains de ses camarades s’empressaient à faire le beau et à se comporter comme des «chasseurs de têtes». Lui s’est concentré sur l’essentiel, les demandes de son seul et unique patron : le Roi.
Son pedigree lui permet-il d’assurer à la DGED ? Sachons juste qu’il est l’homme du Sahara, de la drogue, et de l’émigration clandestine. La DGED n’ayant plus à pourchasser les exilés, il ne doit pas y avoir de domaines de compétence où M. Mansouri serait nu.
Maintenant, l’homme a de la ressource. Nanti de la confiance royale, il fera comme d’habitude, c’est-à-dire qu’il étudiera les problèmes et essaiera d’y répondre : à sa manière. S’il était gestionnaire, il serait un cost-killer. Sa grande force, c’est qu’il évite les nuisances inutiles. Drapé dans ses certitudes, il ne se fait aucun ennemi gratuit. Ceux qu’il identifie comme tels sont finis, morts, sans bruit. Ce grand enfant, joufflu, accueillant, sympathique, est intraitable sur l’essentiel.
S’il était manager, il serait cost-killer
La DGED devient un service de l’Etat, comme les autres, avec à sa tête un Marocain comme les autres. Un Marocain d’une authenticité inébranlable. Là où il est maintenant, il ne restera pas caché longtemps. Il devra s’assumer comme homme de pouvoir. S’il arrive à garder la ligne, c’est-à-dire à considérer le pouvoir comme une servitude et non comme une réalisation personnelle. S’il y réussit, il ira loin, sinon il devra affronter la meute. Ce n’est pas la perspective la plus attirante, car on a un faible pour tous ceux qui ne mettent jamais en avant leur petite personne. Tant qu’il gardera ce principe, Yassine Mansouri avancera. Il n’est que le camelot du Roi, brillant, tenace, mais camelot.
Assurera-t-il à la DGED ? Sachons juste qu’il est l’homme du Sahara, de la drogue, et de l’émigration clandestine. La DGED n’ayant plus à pourchasser les exilés, il ne doit pas y avoir de domaines de compétence où M. Mansouri serait nu.
