SUIVEZ-NOUS

Au Royaume

«Kif-Rif»

Publié le


Mis à jour le

Edito

ANRAC ! Voilà un sigle qui va bientôt devenir familier pour les Marocains. Il s’agit de l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis, pierre angulaire de la loi adoptée en 2021, autorisant le cannabis thérapeutique. Certains voyaient dans la promulgation de ce texte un simple enfumage politique: obliger un gouvernement islamiste ultra-conservateur à courber l’échine, c’est assez kiffant… Mais en réalité, il s’agit d’une véritable stratégie de développement industriel d’une filière des plus lucratives.

En témoigne le déploiement rapide de cette nouvelle législation. Entre mars et juin derniers, plusieurs textes réglementaires fixant les provinces où cette culture est autorisée ainsi que les rapports entre l’ANRAC et les agriculteurs et les industriels ont été approuvés. Et cette semaine, tout s’accélère d’un coup : l’ANRAC a connu la nomination de son premier directeur général (par intérim en attendant un Conseil des ministres) en la personne de Mohammed El Guerrouj. Lequel, dans la foulée, a signé les premières autorisations d’exercice des activités de transformation et de fabrication du cannabis pour la commercialisation et l’exportation à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles.

Pas moins de dix licences d’exploitation ont été délivrées dans le cadre de cette première vague d’autorisations. Un chiffre qui en dit long sur le potentiel d’attractivité du Royaume concernant cette filière dans laquelle il a des atouts à faire valoir. C’est un secret de polichinelle, «La Marocaine» s’impose depuis des lustres dans les cartes de coffee-shops autorisées en Europe ou en Amérique ; et le Royaume est toujours le premier producteur et exportateur mondial de résine de cannabis selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) qui estimait à des milliards de dollars les recettes de trafic.

Cette filière agricole, qui évoluait dans la clandestinité, disposera progressivement d’un environnement légal protecteur pour s’épanouir. Certes, les 100 000 familles qui vivotent actuellement grâce à cette culture (étendue sur 55 000 hectares) ne pourraient toutes être servies dans un premier temps. Les agriculteurs seront autorisés au fur et à mesure sur la base des besoins exprimés par les industriels récemment autorisés.

Jusque-là rien n’a encore filtré sur les volumes à commander, ni sur les superficies à mobiliser et encore moins sur l’identité des opérateurs ayant décroché leur sésame. Mais gageons que le pactole ne sera pas anodin quand on sait que le marché mondial du cannabis devrait atteindre, selon les prévisions des experts, plus de 90 milliards de dollars d’ici 2026.

Une échéance où l’on verra des agriculteurs aujourd’hui stigmatisés gagner leur vie dignement. Et surtout protégés des réseaux de trafic de drogue qui jusque-là s’enrichissaient sur la sueur de leur front. Une révolution qui permettra de panser davantage les plaies d’une région du Rif qui a encore besoin de rattraper un retard de développement dû à des décennies d’enclavement.
Surtout que cette légalisation du cannabis à des fins thérapeutiques n’est que le prélude d’une libéralisation plus large qui inclura, à un moment ou un autre, l’usage récréatif de cette substance. Elle deviendra aussi banale et accessible que la clope ou l’alcool. C’est le cheminement pris d’ailleurs par plusieurs pays à travers la planète comme Israël, le Canada ou encore une partie des 23 Etats des USA où cette substance est autorisée.

Ce jour-là, les exportations de «La Marocaine» pourraient doubler celles du secteur automobile ou aéronautique. Quant au marché domestique, les recettes fiscales de la futur TIC sur le cannabis (selon le modèle appliqué au tabac) ferait planer de bonheur l’argentier du Royaume. On pourra alors dire, merci le kif ou merci le Rif… C’est «Kif-Rif».