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Reportage/ Produits alimentaires: comment les commissions mixtes contrôlent les marchés municipaux
Lors des contrôles, il n’est pas rare que la situation dégénère. Le tout sous le regard de l’autorité locale. Reportage et vidéo.

Mercredi 15 mai. Préfecture d’arrondissements de Casablanca Anfa. Les aiguilles d’une horloge murale indiqueront 11 h dans quelques secondes. C’est l’heure de notre rendez-vous avec Ibrahim Menji, directeur du service de l’action économique et du contrôle à la préfecture. Dans son bureau, nos accompagnateurs du jour sont réunis au complet. Ils font partie de l’une des commissions mixtes de contrôle des produits alimentaires.
L’équipe du jour est formée de Youssef El Jamali, technicien vétérinaire assermenté au service vétérinaire de l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) à Casablanca, Miftah Jamal et Lferd Hicham, médecins vétérinaires au service préfectoral de Casablanca et Dr. Al Achhabi Yacine, directeur du service d’Hygiène d’Anfa. Nous rejoindra plus tard le Caïd de la 13e annexe administrative d’Anfa, Aziz Chehouani.
M.Menji nous éclaire sur les activités des différentes commissions. D’après le programme que nous avons consulté, elles ne chôment pas. D’abord, une commission élargie contrôle, 7 jours sur 7, les pâtisseries. Elle est composée de 6 membres appartenant aux corps de l’ONSSA, du service d’Hygiène municipal, de l’autorité locale et de la division économique de la préfecture. Une autre commission inspecte les dépôts de stockage de produits alimentaires et les grandes surfaces. Une troisième sillonne les marchés municipaux, ciblant spécifiquement les boucheries et les poissonneries. C’est cette dernière que nous accompagnerons pendant sa tournée habituelle, programmée deux fois par semaine.
Négligence des règles sanitaires, ignorance ou préméditation
Sous un soleil de plomb, nous prenons la direction du marché Badr au quartier Bourgogne pour une descente à l’improviste. «Il existe également une commission de sensibilisation au sein de l’ONSSA qui mène une action parallèle à celle de contrôle. Nous luttons contre la fraude, mais nous sensibilisons également les professionnels qui ignorent les bonnes pratiques, qu’elles relèvent de l’hygiène, de l’approvisionnement, de la conservation…», explique, pendant le trajet, M. El Jamali.. Traduction : Ce n’est pas un jeu de dupes. Commerçants et agents de l’Office se connaissent, et les fraudeurs, déjà « sensibilisés », ne bénéficieront d’aucune indulgence. Il est difficile d’imaginer un professionnel de la boucherie qui tâtonne dans un secteur hautement lié à la sécurité des aliments…
Lorsqu’il s’agit de contrôler les boucheries, M. El Jamali est en première ligne. Arrivés au marché, il descend en premier de la voiture de service, puis enfile sa blouse. « Allons-y », lance-t-il.
Le collectif retrouve le Caïd et ses auxiliaires devant le marché. L’inspection peut commencer. Le premier commerce à inspecter est une boucherie. Après les présentations d’usage, le technicien vétérinaire de l’ONSSA enfile ses gants. Il doit s’assurer que le degré de conservation des viandes est dans les normes, entre 4 et 6 degrés Celsius, vérifier également les conditions d’hygiène du frigo. Rien à signaler. M. El Jamali se dirige ensuite vers le présentoir réfrigéré. Rien à signaler non plus. La viande est à bonne température. Mais l’inspection n’est pas encore terminée. C’est au niveau des saucisses que le bât blesse. Elles sont préparées in situ. Or, il est interdit de produire, et de commercialiser, de charcuterie crue sans agrément.
En effet, information peu connue du grand public, le décret n°2-99-89 relatif au contrôle des produits de charcuterie fixe des conditions strictes de fabrication, de vente et de contrôle de ces produits. Il ordonne, dans son article 18, la saisie et le retrait de la consommation publique des produits de charcuterie préparés dans des établissements non autorisés. «Tout ce qui relève de la charcuterie crue doit provenir d’un établissement agréé par l’ONSSA», indique Dr. Miftah.
L’acte est motivé, selon lui, par le fait que la marge de bénéfice des fraudeurs est bien supérieure lorsqu’ils préparent la charcuterie crue in-situ, au lieu de s’en approvisionner auprès des établissements agréés. «Cela leur permet de valoriser les chutes et déchets de viandes. Cette pratique a été interdite au vu de l’énorme danger qu’elle a pour la santé publique, en l’absence de traçabilité de ces produits».
« Il n’est pas rare que nous y trouvons des matières prohibées, des additifs interdits, la matière première (souvent abats) périmée, etc. Les fraudeurs essaient souvent de camoufler l’odeur nauséabonde des saucisses en mettant de grandes quantités d’épices», ajoute M.Belferd.
Enfin, M. El Jamali confisque une quantité de viande hachée présente dans le bac du hachoir. «On ne peut hacher la viande qu’à la demande du client», justifie Dr. Miftah. Une fois hachée, la multiplication bactérienne devient plus rapide dans la viande vulnérable car en petits morceaux. Un PV de saisie est rédigé sur place.
Mais, avec où sans saisies, tout professionnel peut se voir dresser un PV comportant les non-conformités (s’il y en a) qui doivent être corrigées. Il se voit octroyer un délai, variant entre 15 jours et un mois, pour y remédier, suite auquel il sera soumis à une contre-visite.
Agent de contrôle, un métier à risques
Si le premier boucher visité a conservé tant bien que mal son calme, ce ne sera pas le cas du deuxième.
Le même scénario se réitère. La charcuterie va être saisie. Il s’est avéré que la commission mixte a déjà visité le même magasin il y a 8 jours de cela. Cette fois-ci, l’agent de contrôle est intransigeant. «Cette fois, nous allons la saisir. Comme ça, tu n’en vendras plus pour de bon », rétorque M El Jamali. Le boucher hausse le ton. « Enlevez la charcuterie crue à tout le monde, pourquoi à moi seulement? », crie-t-il alors que l’agent s’apprête à confisquer la marchandise. Il lui arrache un plateau de saucisses des mains, le regard et le ton menaçants. Le tout sous le regard de l’autorité locale. Et c’est l’attroupement au marché. C’en est trop pour le caïd, qui change radicalement de ton. Il promet au boucher de faire respecter la loi au pied de la lettre et contacte les forces de l’ordre.
«L’opération se déroulerait calmement si tous le monde obtempérait. Le pire, c’est de les laisser croire qu’ils peuvent s’en tirer comme ça en transgressant la loi», explique M. Chehouani. «Mais une majorité se conforment aux contrôles. Ils savent que c’est une opération de routine», conclut le représentant de l’autorité locale.
Deux autres magasins s’en suivront. Râlera qui voudra, le résultat sera le même. Saisies et PV en cas de fraude.
Le tour des poissonniers est venu. De la première échoppe, tout paraît en règle. La glace est bien dispersée et les températures adéquates. Par précaution, on prélève un échantillon de crevettes.
Dans un autre commerce, le poisson n’est pas couvert de glace dans cette journée bien chaude. Et pour cause, le vendeur n’en dispose pas. « Il faudra attendre le propriétaire », dit-il. Ce n’est pas pour autant que la commission l’attendra. L’inspection commence. Les sardines atterriront les premières dans les sacs des agents, jugées trop chaudes au goût du thermomètre. Entre-temps, le propriétaire débarque. Il ordonne au jeune qui supervisait ses étals d’aller chercher de la glace. Les seiches rejoindront les sardines dans le sac, avant que la glace n’arrive. Le propriétaire écoute les sermons en arborant un air attentif. Il n’en sera pas moins averti.
Direction l’incinérateur
La tournée prend fin vers 13 h. «Comme vous avez pu observer, notre obstacle majeur est le contact avec les professionnels. Nous en rencontrons fréquemment ceux qui sont sur leurs nerfs. Certains pêchent par ignorance des règlements, d’autres par leur mépris vis-à-vis du règlement. Si la personne est de bonne foi, attirer son attention une seule fois sur une infraction lui suffira pour changer de comportement», résume ainsi M. El Jamali.
La commission emprunte le chemin du retour vers la préfecture, où le rapport de la journée sera dressé et les PV signés par les parties prenantes à la sortie. Bilan : depuis le début du mois sacré, les différentes commissions auront saisi 10 tonnes et 178 kg de viandes non conformes aux normes sanitaires.
Place maintenant à la dernière étape : la destruction des produits saisis. Nous accompagnons la commission à l’incinérateur municipal, situé aux anciens abattoirs de la ville, où la marchandise confisquée sera incinérée. La paperasse certifiant sa destruction est ensuite ratifiée par tous. Le four se ferme, en attendant de nouvelles saisies.
