Affaires
Près de 40% des entreprises ne remettent pas leur bilan au tribunal de commerce !
La majorité des entreprises qui ne remplissent pas cette obligation dissimulent des difficultés économiques ou veulent se protéger des concurrents n Une base de données actualisée en temps réel peut permettre au tribunal de relancer les défaillants et de suivre rigoureusement le paiement des amendes.

Beaucoup d’entreprises rechignent à communiquer sur leur situation financière. Ce constat largement partagé interpelle davantage vu le nombre d’entreprises qui ne déposent pas leur bilan au tribunal de commerce ! En 2014, sur les 239 000 entités qui ont déclaré l’impôt à la DGI (selon les chiffres de l’administration fiscale), uniquement 146 000 ont fait un deuxième dépôt auprès du greffe du tribunal du commerce. En 2015, la rétention des données financières s’est aggravée : sur une population fiscale de 257000 entreprises (ayant fait leurs déclarations fiscales), seulement 157 000 se sont pliées à la règle. Depuis 2013, en rapprochant les chiffres de la DGI de ceux du Registre national du commerce, en moyenne 100 000 contribuables manquent à l’appel. Dit autrement, 40% de la population fiscale fait simplement fi du devoir de communication, un des principaux garants d’un environnement sain pour les affaires, et, surtout, une formalité exigée par la loi.
Toute cette population, qui n’englobe pas que des PME mais aussi de grandes entreprises structurées, est en porte-à-faux avec deux textes réglementaires. Le premier est la loi sur la SNC, la SCS, la SCA, la SARL et la société en participation du 13 février 1997 qui stipule dans son article 108 que les dirigeants qui n’auront pas procédé dans les délais légaux (au plus tard le 31 juillet) au dépôt des bilans au greffe ou aux formalités de publicité seront punis d’une amende de 10 000 à 50 000 DH. Le second texte est la loi sur la SA du 21 janvier 2016 qui dispose dans son article 420 (alinéa 1) que le non-dépôt des états financiers au tribunal de commerce avant le 30 août (le 31 juillet dans l’ancienne loi) est sanctionné par une amende de 10 000 à 50 000 DH.
L’amende est peu dissuasive
Une source au tribunal de commerce de Casablanca explique en substance que le montant exact (dans une fourchette de 10 000 à 50000 DH) à acquitter en cas de non dépôt est laissé à l’appréciation du juge. «Cela dépend de plusieurs facteurs, notamment les raisons du non-dépôt, l’historique de communication financière de l’entreprise, la moralité des actionnaires …», détaille-t-elle, en confiant que dans l’usage les juges retiennent la borne inférieure. Pour plusieurs avocats d’affaires sondés, le montant de l’amende en soi n’est pas dissuasif. Un spécialiste des restructurations d’entreprises ajoute qu’aucune vérification sur la régularité des dépôts n’est faite au niveau des tribunaux. Ce manque de suivi encourage les dirigeants à faire fi de la loi sur plusieurs exercices en ayant à l’esprit qu’ils peuvent se conformer à la loi quand ils le souhaitent et quand la situation le permet !
Dans les faits, les praticiens du droit estiment que la majorité des entreprises ne remplissent pas cette obligation en raison de difficultés économiques visibles sur leurs états financiers. «En communiquant leurs bilans, elles vont montrer leurs défaillances aux fournisseurs, clients, banquiers, investisseurs éventuels, administrations publiques… qui ne voudront plus travailler avec elles ou exigeront des garanties et des conditions draconiennes», explique Amine Dirouri, responsables études PME et communication chez Inforisk. El Mehdi Fakir, directeur associé du cabinet Ad Value audit & consulting Group, note de son côté que d’autres ne veulent pas devenir vulnérables face à la concurrence en affichant leur chiffre d’affaires, charges, marges, présence à l’export… Cet argument est aussi valable pour les entreprises mono-clients qui, en communiquant leurs indicateurs financiers, font savoir qu’ils sont dépendantes d’un seul compte, ce qui réduit drastiquement leur pouvoir de négociation. «Pour les associés, le fait de ne pas déposer de bilan au greffe leur laisse une marge pour rectifier les données comptables au titre d’un exercice donné, notamment quand ils préparent une vente de parts sociales ou la dissolution de l’entreprise», ajoute un avocat au barreau de Casablanca.
En dehors de l’obligation de remplir cette formalité, le deuxième dépôt au niveau du tribunal soulève une grande problématique, celle de la sincérité des comptes. L’examen des bilans déposés au fisc et au tribunal font apparaître de grandes incohérences. Les banquiers le décrient depuis longtemps ! Pour eux, l’entreprise a autant de bilans que de partenaires. «Pour le fisc, les déclarations minorent le chiffre d’affaires et majorent les postes de charges, alors que le dépôt auprès du tribunal répond à une autre logique, celle de montrer l’entreprise sous son meilleur jour pour la communauté des stake-holders et des investisseurs et partenaires potentiels», explique un banquier. Ce doute généralisé pousse de plus en plus les comités de crédit des banques à exiger des liasses fiscales certifiées par le cachet de l’Administration fiscale sur les premières pages.
Professionnels du droit et banquiers recommandent la constitution d’une base de données actualisée en temps réel qui permettra au tribunal de relancer les défaillants et de suivre rigoureusement le paiement des amendes.
