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Affaires

Loi sur l’urbanisme : les détails des changements

L’Agence urbaine ne se contentera plus de donner un avis, elle devra certifier
la conformité de l’autorisation de construire aux documents d’urbanisme.
Le gouverneur sera le premier responsable du contrôle des travaux.
Lourdes sanctions : des amendes de 100 000 à un million de DH, des peines
d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 5 ans et le retrait
de l’autorisation d’exercer.

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Il aura fallu près de 15 jours de réunions-marathon pour qu’un consensus soit trouvé sur les amendements à porter aux lois 12/90 sur l’urbanisme et 25/90 sur les lotissements et morcellements. Depuis le vendredi 25 mars, et au lendemain du discours du Souverain, à Al Hoceima, sur la nécessité de responsabiliser les acteurs impliqués dans le processus d’urbanisme et d’habitat et de criminaliser les manquements à la qualité des constructions, la commission interministérielle ad hoc s’est réunie une dizaine de fois. Jeudi 8 avril, le projet d’amendements, enfin finalisé, était discuté en Conseil de gouvernement. Après son approbation par le Conseil des ministres, il devrait être soumis au Parlement au cours de la session de printemps qui a débuté vendredi 9 courant.
De fait, les deux textes actuellement en vigueur ne sont pas inadaptés, loin de là. Même après douze ans d’existence, leur trame générale est jugée très bonne… sauf qu’ils étaient imprécis dans la définition de l’exercice de la loi. Qui doit contrôler quoi et qui est responsable de quoi ? Il était parfois impossible d’apporter une réponse. Résultat : pour un logement mal construit ou pouvant porter atteinte à la sécurité des habitants, la responsabilité était diluée entre architectes, ingénieur collectivités locales et agences urbaine. Exemple : pour le contrôle des travaux de construction, une commission composée de divers représentants de l’administration intervenait. Mais qui rend des comptes en cas de complaisance ?

La commission a toujours existé mais qui était responsable en dernier lieu ?
Les amendements sont donc venus rectifier le tir. En toile de fond, trois idées maîtresses : responsabiliser, criminaliser s’il y a lieu, et professionnaliser le secteur.
Qu’est-ce qui a changé ? Pour comprendre, il faut parcourir la chaîne de l’habitat, d’amont en aval.
En premier lieu, se trouve le document d’urbanisme. Elaboré par les collectivités locales en collaboration avec les agences urbaines, il n’existe pas en fait dans beaucoup de régions rurales et même semi-urbaines qui se contentent d’un plan de développement, assez sommaire. Le nouveau projet prévoit sa généralisation à tout le Maroc. A cela s’ajoute un document de construction réglementaire nécessaire désormais avant toute délivrance d’une autorisation de construire.
L’autorisation de construire est la seconde étape du processus. Elle est délivrée par le président de la commune ou de la municipalité après avis de l’Agence urbaine, censée vérifier la conformité du projet avec les documents d’urbanisme. Une disposition qui, dans les faits, n’a pas toujours été respectée. Le président de la commune pouvait toujours passer outre ce «visa» consultatif. Le changement viendra du fait que l’autorisation de construire devra à l’avenir être certifiée par l’Agence urbaine. De la sorte, sa responsabilité est engagée.

Le plan de béton armé siglé RSP 2000 sera exigé
Mieux, le plan d’architecture fourni devra obligatoirement être accompagné d’un plan de béton armé remis par l’ingénieur spécialisé, qui certifie que le bâtiment en question sera conforme aux normes parasismiques. La mention «conforme RSP 2000» devra y figurer. Le projet d’amendements prévoit d’ailleurs la généralisation à tout le pays, sur un horizon de 5 ans, de la norme RPS 2000. Rappelons que le Maroc est actuellement divisé en trois zones sismiques et que le RPS 2000 n’est obligatoire que dans la zone 1, celle où le risque est le plus élevé.
A l’issue de la seconde étape donc, l’architecte, tout comme l’ingénieur, l’Agence urbaine et le président de commune sont responsabilisés à différents niveaux.
A noter que pour éviter les situations kafkaïennes qui faisaient que la délivrance d’une autorisation de construire pouvait durer plusieurs mois, un délai fixe d’un mois, non renouvelable, est donné. Au-delà, le gouverneur se substitue à la collectivité locale, soit pour arbitrer soit même pour délivrer cette autorisation. Dans les textes actuellement en vigueur, ce délai était certes plafonné à deux mois, mais pour une pièce manquante ou pour cause de va-et-vient incessants entre collectivité locale et Agence urbaine, les deux mois en question étaient renouvelables à l’infini.
Autre nouveauté, alors que les collectivités locales avaient la liberté de fixer les pièces nécessaires à fournir (mis à part les incontournables comme par exemple le plan d’architecture), elles seront désormais déterminées par la loi. Les abus seront ainsi évités.
Troisième étape du processus : le contrôle des travaux. Innovation majeure, avant le démarrage effectif de la construction, il faudra que l’architecte en charge du projet ouvre un cahier de chantier dont il sera responsable. A l’instar d’un carnet de santé pour les enfants, ce document décrivant les opérations réalisées lors de la construction devra être signé par l’ensemble des acteurs intervenant dans l’acte de bâtir, promoteur immobilier compris. Parallèlement à cela, la commission de contrôle continuera à exister, à la différence près – et elle est de taille ! – que ce sera au gouverneur d’en désigner les membres (communes, Protection civile, Agence urbaine…) et qu’il endossera la responsabilité première dudit contrôle.

Le président de commune garde ses pouvoirs… pas sa marge de manœuvre
Enfin, quatrième étape, la délivrance du permis d’habiter, ou du certificat de conformité pour les bâtiments non destinés à l’habitation. Là encore, il est délivré par le président de commune ou municipalité. Mais un préalable existe. L’architecte devra avoir déposé le fameux cahier de chantier auprès de l’Agence urbaine qui a la responsabilité de s’assurer que la construction a été faite conformément aux normes requises. Le cahier de chantier devient ainsi une pièce maîtresse du dispositif de contrôle de la qualité du bâti. Comme pour le cas de l’autorisation de construire, un délai a été fixé pour la délivrance du permis d’habiter. Il est d’un mois.
Bien entendu, pour être correctement appliquée, une loi ne peut se passer de sanctions. Et sur ce volet, le projet se montre très sévère. Tous les intervenants, en commençant par le promoteur, ensuite l’Agence urbaine, le président de commune ou encore l’architecte et l’ingénieur, tombent sous le coup de sanctions en cas de manquements à leur devoir. Ainsi le promoteur sera sanctionné pour dol sur les matériaux de construction, fausse déclaration, ou encore s’il vend un logement non doté d’un permis d’habiter, le président de commune sera épinglé s’il passe outre le visa de l’Agence urbaine, l’architecte s’il traficote le cahier de chantier…. Les sanctions sont graduelles et peuvent être combinées entre amende et emprisonnement. Les premières vont de 100 000 DH minimum à un million de DH. Les peines de prison, elles, varient entre un mois et cinq ans. A cela s’ajoute, pour les professionnels que sont les architectes, bureau d’études et ingénieurs, divers, la menace de se voir privés d’exercice pour une durée maximale allant jusqu’à 5 ans aussi.
Sur un autre chapitre, le projet d’amendement renforce la protection du domaine public. Ainsi, pour tout empiètement non autorisé, il donne au gouverneur l’entière latitude pour démolir la construction.
Cela dit en quoi les changements proposés contribueront-ils à la professionnalisation du secteur ? De fait, le processus tel qu’imaginé est tellement verrouillé et les sanctions tellement lourdes qu’il y aurait avantage pour tout le monde à travailler non seulement dans la légalité mais également avec des partenaires organisés. On fera donc davantage appel aux promoteurs structurés et aux corps de métier (architectes, ingénieurs…) pour éviter de se retrouver sous le coup de la loi. A cela s’ajoutent pour les promoteurs immobiliers les deux heureuses nouvelles : des délais fixes pour les autorisations et autres permis et un nombre de pièces à fournir connus à l’avance. Tout le monde devrait donc en profiter pour peu que l’on soit sérieux.