Affaires
Les déboires de Dallah Albaraka continuent
Les banques ont demandé la mise en vente de l’hôtel Palais des Roses Palace.
Dallah Albaraka est officiellement évincé de Taghazout.
Sur un investissement prévu de 2,75 milliards de DH, 45 millions seulement ont été apportés en fonds propres.

Les déboires du groupe Dallah Albaraka au Maroc ne sont pas près de s’arrêter. Après son éviction de la station balnéaire de Taghazout, son hôtel, Palais des Roses International Palace, pourrait être vendu aux enchères, aux fins de remboursement des créanciers, par le tribunal de commerce d’Agadir qui devra se prononcer sur la question le 22 mars. Quelle que soit l’issue judiciaire qui sera réservée audit hôtel, cette fois-ci il semble que l’on s’achemine vers la fin de l’aventure du groupe saoudien dans le tourisme au Maroc.
Une simple question : peut-on raisonnablement prétendre aménager une station touristique, construire un hôtel et assurer son fonctionnement en n’apportant, en tout et pour tout que 45 MDH comme fonds propres ? Même en recourant au crédit bancaire, la démarche paraît hautement improbable. Et pourtant c’est bien avec cette modeste mise de fonds que la société Palais des Roses International a bluffé pendant deux ans Etat, banques et fournisseurs. Le premier s’est vu, finalement, dans l’obligation de l’évincer de la station balnéaire de Taghazout et de passer par pertes et profits les deux ans de retard accumulés dans la réalisation d’un des gros projets de son plan Azur, les secondes tentent de vendre l’hôtel Palais des Roses Palace, qu’elles ont financé à hauteur de près de 60%, pour récupérer quelque 260 MDH (crédit et intérêts de retard) et les troisièmes sont dans l’attente d’être réglés pour 47 MDH. Qui dit mieux ?
La signature de Dallah Albaraka. Un gage de confiance ?
Qu’est-ce que Palais des Roses international ? Ce nom de rêve est en fait celui d’une société luxembourgeoise détenue à hauteur de 52% par le groupe saoudien Dallah Albaraka représenté par son patron, Cheikh Salah Kamel, et pour le reste (48%) par Delta Overseas, société implantée au Luxembourg dont le propriétaire est Azzedine Lakhouaja, homme d’affaires marocain (voir schéma).
L’affaire Palais des Roses International (PRI) commence en 2000. A l’époque, le Plan Azur n’existe pas encore. Mais l’Etat entend valoriser la station balnéaire de Taghazout en la confiant à un aménageur-développeur. Une première tentative avec un consortium constitué du groupe marocain Alliances et du géant américain Bechtel, en novembre 1999, se soldera par un échec. Ce groupe avait un délai de six mois pour déposer son dossier définitif. N’ayant pu boucler son tour de table, il demandera un délai supplémentaire de trois mois… Refusé.
L’Etat lui retire alors le projet pour le confier à Dallah Albaraka, entré en scène le 18 avril 2000. Il demande officiellement à se charger de la station. Un an plus tard, un mémorandum d’intention est signé. Tous les espoirs sont alors permis : Dallah Albaraka est dans le coup et le nom du groupe est à lui seul une garantie. Le groupe, présent au Maroc depuis le début des années 90 à travers l’industrie agroalimenaire et l’agriculture, bénéficie d’une renommée internationale et d’une forte assise financière. D’ailleurs, c’est Cheikh Salah Kamel en personne qui signera, en juillet 2002, et en présence du Souverain, la convention qui lie PRI à l’Etat. Au total, l’investissement prévu, selon l’artcile 10 de la convention, était de 1,6 milliard de DH. Deux ans après, le projet n’aura pas avancé d’un iota.
PRI devait, selon le cahier des charges du projet, dans un délai de douze mois à compter de la signature de la convention, apporter un avant-projet détaillé de l’aménagement de la station de Taghazout, présenter une demande de lotissement et porter le capital de sa filiale marocaine SPT (Société de promotion de Taghazout), en charge de la station, de 5 à 150 MDH. En juillet 2003, rien n’avait été fait et un délai supplémentaire de deux mois avait été demandé auprès du comité préfectoral de la ville. Au 6 octobre 2003, le cahier des charges n’était pas respecté et le dossier présenté par PRI était incomplet. Copie à revoir et nouveau délai…
Les fonds propres apportés sont dérisoires et les problèmes ne tardent pas à survenir
Tant va la cruche à l’eau… Au cours de la troisième semaine de janvier 2004, excédé par le retard enregistré, l’Etat mettait en demeure l’aménageur de se conformer aux engagements pris, dans un délai d’un mois. Peine perdue, le 26 février, le délai expirait… de même que le dernier espoir pour PRI. Que retenir de cela ? Depuis la création de la société en charge de l’aménagement de la station, le capital est resté figé à hauteur de 5 MDH. Un montant insignifiant compte tenu de l’ampleur de ce projet. Pour exemple, les études d’aménagement du site, à elles seules, sont estimées à quelque 50 MDH.
Le ministère du Tourisme a donc adressé au cours de la seconde semaine du mois de mars une notification de résiliation de la convention liant l’Etat à PRI pour l’aménagement de cette station. Information qui nous est confirmée par Adil Douiri : «La résiliation de la convention a en effet été notifiée. Nous recherchons à présent un nouvel aménageur. Mais je reste confiant car la station possède un bon potentiel. Nous nous attellerons à trouver le meilleur partenaire.» Un appel d’offres cette fois-ci ? «Il est trop tôt pour dire si l’on fera un appel d’offres ou pas». En tout cas, il faudra être prudent avec le nouvel élu. Une signature aussi prestigieuse que celle de Dallah Albaraka n’a pas empêché l’Etat d’être mené en bateau pendant 18 mois. Un coup de bluff qui a persisté jusqu’au dernier moment. Le patron de Dallah Albaraka ne déclarait-il pas à La Vie éco, le 4 mars, qu’il n’abandonnait pas le projet ?
Mais Taghazout n’est pas la seule affaire inaboutie, estampillée Dallah Albaraka. Après la signature de la convention avec l’Etat en juillet 2002, PRI avait également entrepris la construction d’un hôtel (5* luxe) dans la nouvelle zone hôtelière Founty I d’Agadir, à travers la société PRI Agadir Palace. Coût du projet : près de 350 millions de dirhams. Un plan d’investissement qui pêche, encore une fois, par la faiblesse des capitaux propres. Le capital social de PRI Agadir Palace n’est que de 40 MDH, soit à peine 11% du coût du projet. Cheikh Salah Kamal apporte sa quote-part, d’un peu plus de 20 millions et son associé Azdine Lakouaja apporte le reste.
Brouillés, les deux associés refusent d’apporter un centime de plus
Trois établissements bancaires, BMCE Bank, BCP et la Banque populaire du Centre-Sud apporteront leur écot au projet. Ils accorderont un crédit consortialisé de 200 MDH, contre une liste impressionnante de garanties dont, notamment, un nantissement sur le fonds de commerce, une hypothèque sur le terrain et des cautions personnelles des deux associés.
A côté de cela, la BMCE accordera un autre prêt. Le reste
du financement, soit quelque 45 millions de DH, provient de crédits fournisseurs.
L’hôtel Palais des Roses Palace démarre mal. Entre avril et décembre 2003, il portera d’abord l’enseigne Palm Dorint avant de décrocher celle du Méridien. Bien entendu, le propriétaire de l’hôtel ne le gère pas directement. C’est d’abord Palm Dorint puis Hélios International, société appartenant à Azzedine Lakhaouaja, qui s’en chargeront. Est-ce pour cette instabilité que les fournisseurs non encore payés commencent à donner de la voix ? En tout cas, Palais des Roses International tente de calmer le jeu en multipliant les promesses de règlement. En coulisses, c’est une autre histoire : les relations entre Cheikh Kamel et Lakhouaja se sont envenimées. Aucun d’entre eux ne veut verser le moindre centime avant que l’autre ne fasse de même.
En l’absence de liquidités, les propriétaires de l’hôtel se trouvent dans l’incapacité de payer les fournisseurs. Des créanciers décident alors de s’adresser à la justice. Finalement un protocole d’accord à l’amiable sera signé avec eux. 22 MDH seront réglés sur les 67 MDH dus aux fournisseurs. En décembre 2003, c’est l’avalanche. Coup sur coup, trois demandes de saisie de mobilier et matériel sont déposées auprès du tribunal de commerce d’Agadir. Dans la crainte de voir se déprécier leurs garanties, les banques demandent l’arrêt de la procédure et la vente de l’hôtel. Nous en saurons plus le 22 mars.
Que reste-t-il alors ? Palais des Roses International est en fait sur un troisième projet. Dans la zone touristique de Founty II, à Agadir, le groupe s’était engagé, en 2001, à prendre deux terrains d’une superficie totale de 17,5 hectares et à aménager des unités touristiques pour un montant de 800 MDH. La société a jusqu’en 2006 pour réaliser ce projet, mais, à ce jour, même le prix du terrain, soit 40 MDH, n’a pas été versé. Là encore, on en reste au stade des promesses.
En conclusion, l’affaire Palais des Roses International estampillée Dallah Al Baraka s’apparente à un grand bluff : trois projets nécessitant un investissement global de 2,75 milliards de DH et un apport en fonds propres de 45 millions de DH…
