Affaires
La grande épopée du rail
Les Marocains appelaient les premiers trains apparus en 1908 «babor lebghel»
car ils étaient à traction animale.
Il fallait 5 heures pour aller de Casa à Berrechid (40 km), et 12 heures
pour les marchandises.
Plusieurs concessionnaires se sont partagé l’exploitation des lignes, qu’ils
ont cédées à l’ONCF en 1963.

A quand remonte l’arrivée des premiers trains au Maroc ? On sait que les premiers wagons n’étaient pas tirés par des locomotives. «Babor lebghel», littéralement «le vaisseau du mulet», c’est ainsi que les Marocains avaient baptisé les premiers trains qu’ils virent circuler dans le pays, vers 1908. La raison de cette appellation pittoresque s’explique aisément : ces premiers engins étaient tirés par des mulets pour les marchandises et des chevaux pour les voyageurs. Une des premières lignes du genre reliait Casablanca à Berrechid par la vallée de l’oued Bouskoura. Le trajet de 40 km était alors parcouru en 5 heures pour les voyageurs et les animaux qui servaient à la traction étaient relevés tous les 10 kilomètres. Mais les trains de marchandises de cette ligne qui fit long feu, eux, mettaient 12 heures pour arriver à destination, les mulets marchant au pas.
L’arrivée des trains au Maroc a été dictée par des considérations militaires et économiques
L’histoire des chemins de fer, au Maroc plus qu’ailleurs, est intimement liée aux intérêts militaires du colonisateur et à l’exploitation des mines dans le pays. Ainsi, les premières utilisations servirent la pénétration du pays et le déploiement des troupes, leurs approvisionnements et le transport de leurs équipements. Et c’est en 1920 que les voyageurs civils furent plus nombreux que les militaires à utiliser le train. La vitesse des trains, à leurs débuts, tournait autour de 15 km/h pour le transport de marchandises, le double pour les voyageurs. Cela paraît ridicule mais, à l’époque, c’était une révolution car le seul moyen de déplacement était alors la marche ou le transport hippomobile. Puis, la vitesse des trains a connu une rapide évolution. On note en effet que la moyenne est passée à 50 (64 km/h de vitesse de pointe) dès 1938. Le trajet Casablanca-Tanger était alors parcouru en 8 h 10 mn, soit une moyenne de 43 km/h.
Même si l’électrification du réseau a commencé très tôt (le premier train à traction électrique a assuré le transport de phosphate en février 1927), il faudra, pour que la vitesse dépasse les 100 km/h, attendre 1984, année de l’entrée en service des TNR (trains navettes rapides) reliant Rabat à Casablanca en moins d’une heure à une vitesse allant jusqu’à 160 km/h. Ce fut un grand tournant. Cette prouesse a été aussi rendue possible par le doublement de la voie entre les deux villes. Une année plus tard étaient mis en circulation des trains grand confort, dont les voitures étaient fabriquées par la Scif (Société chérifienne de matériel industriel et ferroviaire), pour relier la capitale aux chefs-lieux de provinces. Autre date à retenir, 1992, avec l’inauguration de la desserte de l’aéroport Mohammed V et le doublement de la voie entre Salé et Kénitra.
Avant d’en arriver là, le réseau ferroviaire du Maroc a connu plusieurs épisodes marqués notamment par l’implication des privés dans la gestion de certaines lignes via le système des concessions. Il faut noter que la rivalité entre la France et l’Allemagne, puis la guerre, ont retardé les travaux d’extension des lignes et leur commercialisation.
Les documents de l’ONCF (Office national des chemins de fer) font remonter les premières concessions à 1914, notamment celle de la ligne Tanger-Fès, à la Compagnie franco-espagnole du chemin de fer et, en 1920, à la Compagnie des chemins de fer du Maroc pour les lignes Sidi Kacem-Kénitra, Kénitra-Rabat, Casablanca-Marrakech…
Il faudra attendre 1929 pour que la même compagnie ouvre la septième ligne, entre Benguerir et Safi. Entre-temps, en 1925, avec la découverte du manganèse à Bouarfa, une troisième concession était accordée au Chemin de fer du Maroc Oriental pour transporter le minerai sur les 300 km séparant Oujda de Bouarfa.
Selon toute vraisemblance, les concessionnaires ont dû réaliser des profits sur l’exploitation des 1 785 km de réseau, cédés en 1963 à l’ONCF qui venait d’être créé. Depuis, l’office a fait du chemin. Les 4 millions de passagers transportés à l’époque ont été multipliés par 4,5 et le poids des marchandises convoyées est passé de 12,4 millions de tonnes à 30,5 millions. Signalons toutefois que, depuis 1963, à peine 122 km de nouvelles lignes ont été réalisés.
Premiers ingénieurs marocains au début des années 1960
Mais quid de l’élément humain ? Ce sont des cadres cheminots qui en parlent le mieux. André Labry – auteur d’un livre sur l’histoire des chemins de fer au Maroc, édité par l’ONCF -, Saffi Abdelkader et Soufi Mohamed, des piliers de l’entreprise, en gardent un souvenir très fort. Ils se rappellent l’époque où le personnel a été partagé en deux : les lettrés et le reste. Ainsi, en 1956, le nombre de cheminots devait être de l’ordre de 8 000 personnes dont plus de 4 000 lettrés, étrangers en général. Pour les premiers ingénieurs marocains (à l’ONCF c’est un statut et non un titre universitaire), il faut attendre les années 1960. Chose remarquable, dans le monde des cheminots, syndicalisés très tôt (un certain Mahjoub Benseddik était cadre de l’ONCF à Meknès), on commençait toujours au bas de l’échelle de sa catégorie. Un des cadres rencontrés raconte que son beau-père, en visite chez lui à ses débuts, était intrigué par le fait de le voir se réveiller aux aurores. Il interrogea alors sa fille : «Dis-moi, tu es sûre d’avoir épousé un ingénieur ?».
En fait, le travail de cheminot repose sur une vigilance de tous les instants. Et si un conducteur de train s’assoupit, la machine va ralentir jusqu’à s’arrêter car il cesse d’exercer une pression sur les manettes. Et comme tout est mémorisé, il risque une sanction. Ainsi, si deux machinistes se croisent sur une double voie, ils vont se saluer bruyamment. En fait, chacun sait que l’autre notera dans son rapport l’heure à laquelle il a croisé son collègue, et son état de vigilance, il faut faire montre d’un éveil sans faille.
Les cheminots racontent aussi la période où il fallait faire des choix relatifs au matériel et comment l’ONCF est passé de fournisseurs français à japonais, optant, un moment, pour du matériel belge. Chacun repense à cette épopée tantôt avec nostalgie, tantôt avec satisfaction. Si leur choix de suivre la carrière de cheminot était à refaire, ils n’hésiteraient pas une seconde. Leurs ambitions sont aujourd’hui entretenues par la nouvelle génération qui entend faire siffler le train dans le Souss et introduire le TGV dans le pays
Entre les premières locomotives tirées par des mulets et les TNR actuels, une série d’avancées boostées par les besoins de l’économie, notamment le transport du minerai.
Les chemins de fer en quelques dates
1908 – Apparition des premiers trains à traction animale.
1912 – Mise en service de la ligne Casa-Rabat.
1915 – Kénitra est reliée à Fès.
1923 – Achèvement du tronçon Rabat-Kénitra-Sidi Kacem.
1927 – 1er train électrique pour le transport du phosphate.
1963 – Création de l’ONCF (Office national des chemins de fers) qui reprend 1754 km de lignes alors exploitées par des concessionnaires privés.
1984 – Achèvement du doublement de la voie entre Casa et Rabat (80 km) et lancement des premiers TNR pouvant rouler jusqu’à 160 km/h.
1992 – Mise en service de la desserte ferroviaire de l’aéroport Mohammed V
1996 – Inauguration du tunnel de l’Agdal.
2002 – Mise en place d’une nouvelle organisation de l’office et d’une nouvelle organisation commerciale.
