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Affaires

La folle journée de Taoufik Hejira, ministre de l’Habitat

Le ministre de l’Habitat est un bourreau de travail. «La Vie éco»
l’a suivi pendant toute la journée du lundi 10 novembre.
Ramadan ou pas, le rythme d’une journée qui a pris fin à minuit
et demi est effréné.

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9H 20 Ahmed Taoufik Hejira, dynamique et souriant, entre dans le bureau de Lamia Kadiri, son chef de cabinet. La journée débute par une rapide revue de presse: le ministre feuillette les quotidiens tout en écoutant Mme Kadiri égrener le programme du jour.
9 H 30 Une sonnerie, façon téléphone des années cinquante, retentit : Taoufik Hejira sort son portable pour répondre au premier coup de fil de la journée. C’est le wali d’Oujda qui l’appelle pour régler avec lui les détails d’une visite du Souverain qui aura lieu dans deux jours dans l’Oriental.
9 H 40 Lamia Kadiri lui tend le programme de la visite d’une délégation d’investisseurs turcs qu’elle vient d’élaborer. Le ministre lit rapidement le document et, en deux phrases, lui fait ses remarques.
9 H 45 Accompagné de son chef de cabinet, Taoufik Hejira entre d’un pas pressé dans une salle de réunion où l’attendent les directeurs centraux du ministère. L’ordre du jour est chargé. Le ministre aborde successivement différents points : on parle de l’intervention du lendemain qu’il doit effectuer au Parlement, où il défendra le bilan de son ministère. Puis l’on aborde un projet de réunion avec les centrales syndicales. Vient ensuite le chapitre des voyages : M. Hejira parle du congrès des ministres arabes de l’Habitat qui va bientôt avoir lieu au Caire, ainsi que d’un projet de tournée européenne qu’il compte organiser.

10 H 45 La réunion prend fin. Monsieur le ministre entre dans son bureau flambant neuf : le siège du ministère vient en effet de changer et les fonctionnaires viennent d’investir cet immeuble neuf et high tech situé à Hay Ryad, délaissant les anciens locaux du centre-ville de Rabat. Deux secrétaires se pressent, l’une avec une lettre à signer, l’autre avec un document à lire. Lamia Kadiri entre, s’asseoit sur un siège, et règle quelques détails avec le ministre.
11 H Réunion avec un directeur du ministère. La conversation est sans cesse interrompue par des sonneries de téléphone. Taoufik Hejira répond sans se laisser déconcentrer : dès qu’il raccroche, il reprend, sans hésitation aucune, le fil de la conversation là où elle avait été interrompue.
11 h 10 Séance de travail avec MM. Arif et Lahlou, respectivement gouverneur (ministère de l’Intérieur) et directeur de l’habitat social et des affaires foncières. A l’ordre du jour, un dossier sensible : le programme «Villes sans bidonvilles», qui a pour but de lutter contre l’habitat insalubre dans toutes les régions du Royaume. La réunion débute sur la manière de répartir le budget global de ce programme, dont l’enveloppe est de 3,5 milliards de DH. Puis le ministre prend connaissance de la circulaire qui sera envoyée aux walis pour leur donner des directives sur ce programme. Le document sera éventuellement signé conjointement par lui et par le ministre de l’Intérieur. M. Hejira lit le texte en arabe rapidement, le corrige à haute voix. Au fur et à mesure, un collaborateur prend note de ses remarques.
11 h 50 Monsieur le ministre continue à lire le document. Le collaborateur, stylo levé, a les yeux dans le vague. M. Hejira, plus alerte que jamais, le rappelle à l’ordre dans un sourire. Ramadan ou pas, on travaille.
12 H 20 La réunion prend fin et les deux responsables prennent congé. Un membre du cabinet entre et tend au ministre un document : c’est le bilan d’activité du ministère que Taoufik Hejira doit lire et annoter pour préparer sa séance de questions orales au Parlement prévue pour le lendemain. Devant l’ampleur de la tâche qu’il lui reste à accomplir, il ne peut réprimer un petit soupir. Courage…

12 H 25 Le ministre entre en trombe dans son secrétariat. Les assistantes sursautent devant cette incursion surprise, avant de reprendre contenance. De leur bureau, le ministre passe une série de coups de fil : il parle à nouveau au wali d’Oujda pour de nouveaux détails concernant la visite royale, règle le cas d’un fonctionnaire qui va passer en commission de discipline, lance quelques ordres à ses secrétaires, puis entre à nouveau dans son bureau. Lamia Kadiri lui annonce que la délégation d’investisseurs espagnols attendue vient de téléphoner pour s’excuser de son retard.
12 H 35 Le ministre entre dans un salon marocain attenant à son bureau, où l’attendent une demi-douzaine de patrons espagnols venus prospecter au Maroc. Poignées de mains, présentations. Un interprète traduit les propos. Ces investisseurs sont intéressés par le programme des logements sociaux. En quelques mots, le ministre explique sa politique en la matière. Le déficit en logements concerne près d’un million de ménages, et le défi consiste à construire des logements peu coûteux, de l’ordre de 120 000 DH.Toutefois M. Hejira insiste sur le fait que ce programme de construction est destiné avant tout aux entrepreneurs marocains. Les Espagnols pourront les aider par leur savoir-faire.
13 H 15 Un brouhaha de plus en plus insistant se fait entendre dans une salle mitoyenne. Le ministre en profite pour annoncer qu’une autre réunion l’attend. Il prend congé de la délégation espagnole. Nouvelles poignées de mains.
13 H 20 M. Hejira pousse la porte : 80 personnes l’attendent, massées dans une immense salle de réunion. Ce sont les fonctionnaires de deux directions: celle de l’architecture et celle des affaires juridiques. Devant la salle comble, le ministre, devant un micro, entame son discours. Il s’efforce, par des mots convaincants, de rednamiser ces fonctionnaires, de les motiver. Puis il expose le programme gouvernemental qu’il est chargé d’appliquer. Taoufik Hejira se désole à haute voix du fait que, lors des précédentes réunions qu’il a eues avec les autres directions, les fonctionnaires n’ont évoqué que des problèmes d’ordre matériel. «Prenez vos responsabilités et faites du bon travail, les adjure-t-il. Je suis là pour faire avancer les dossiers du gouvernement. Nous voulons avant tout des résultats.» Le discours est ferme, et le ministre d’évoquer l’absentéisme, véritable tare au sein de l’administration, de s’affliger d’avoir vu certains de ses fonctionnaires tranquillement attablés aux terrasses des cafés durant les heures de travail… L’assemblée est silencieuse.
14 H 05 Taoufik Hejira donne la parole aux fonctionnaires. Questions et réponses tournent autour des syndicats, des offres de logements pour les petits fonctionnaires… Le ministre est rassurant : il se réunira avec les représentants du personnel dans une quinzaine de jours et, quant à l’offre immobilière, la question a été évoquée pas plus tard que ce matin…Un des fonctionnaires prend la parole et explique que, s’ils ne peuvent travailler, c’est à cause de «blocages». Le mot fait bondir le ministre, et sa réaction est passionnée : il ne comprend pas que l’on puisse parler de blocages et demande plus de précisions.
14 H 35 La réunion prend fin. le ministre se dirige vers son bureau.

14 H 40 Deux collaborateurs l’attendent pour lui faire examiner les planches destinées aux panneaux qui expliqueront au Souverain le projet qu’il inaugurera à Oujda : un village des artisans. Volubile, Taoufik Hejira donne ses consignes à droite et à gauche et fait des va-et-vient dans son bureau. Le Premier ministre vient de l’appeler et l’attend pour une réunion impromptue.
15 H Départ pour la Primature. Le ministre s’inquiète à nouveau du fait qu’il n’y ait pas d’ordre du jour à la réunion.
15 H 20 Arrivée devant la porte de la Primature. La Vie éco n’est pas conviée à la réunion. Dommage…
16 H 45 M. Hejira entre dans la voiture, l’air rasséréné. Retour au ministère de l’Habitat. Il confirme : l’objet de la réunion avec Driss Jettou concernait bien la visite royale dans l’Oriental. Taoufik Hejira téléphone à nouveau au wali d’Oujda pour régler un énième
détail.
17 H A peine arrivé dans son bureau, il appelle une secrétaire pour lui demander le CV d’un architecte. Lamia Kadiri entre, tenant un document à faire signer. Le ministre le parcourt et refuse de le valider : il s’agit d’une lettre de mise à pied d’un fonctionnaire, envoyée par son directeur. M. Hejira demande des justificatifs, un rapport expliquant les motifs de cette décision. Le ministre répond à plusieurs coups de fil et prend un rendez-vous à 19 heures avec un interlocuteur.

17 H 17 Lamia Kadiri, chef de cabinet, l’air las, annonce qu’elle ne viendra pas ce soir. Le ministre acquiesce d’un signe de tête.
17 H 20 Taoufik Hejira s’affale sur un fauteuil et avoue accuser «un petit coup de fatigue».
17 H 25 Départ du ministère, pour le ftour en famille. Le soleil se couche quand le ministre conduit en trombe sur la rocade déserte de Rabat.
17 H 40 Arrivée à la maison. Il tombe la veste et se met à table, avec son épouse et trois de ses quatre garçons. L’aîné, explique-t-il, suit ses études en Italie. Comme pour la majorité des familles marocaines, la rupture du jeûne se passe devant la télévision. Chez les Hejira, on ne déroge pas à la règle, et Lalla Fatéma, la sitcom de 2M, est, comme tous les soirs, à l’honneur.
18 H 20 Soupir d’aise. Le ministre s’accorde un petit somme avant de reprendre son travail. La journée est en effet loin d’être finie.
18 H 45 Il se lève en sursaut. «Je suis en retard !», s’exclame-t-il, avant de monter en courant se changer.
18 H 50 Taoufik Hejira redescend, en tenue plus décontractée. Le soir, on oublie la cravate.
Il annonce qu’il part seul pour un rendez-vous, et que nous nous retrouverons dans une heure, au ministère. L’objet de cet entretien ? Evasif, le ministre se contente de dire que c’est «du lobbying». On n’en saura pas plus.
20 H 20 Le ministre retrouve la grande salle de réunion du ministère, où l’attendent sept collaborateurs. Le rétroprojecteur est allumé: il s’agit de préparer le rapport d’activité du ministère de l’Habitat, qui sera présenté au Parlement le lendemain soir. La tâche promet d’être longue : une trentaine de diapositives vont être passées au peigne fin.
21 H 10 Le ministre rappelle à l’ordre un collaborateur égaré dans ses pensées. Il en profite pour demander à chacun des membres de son équipe de lui préparer des fiches sur les dossiers en cours. «Je les veux pour demain matin», précise-t-il dans un sourire.
22 H 20 Le ministre fait son planning du lendemain : la journée promet d’être aussi chargée que celle-ci. La séance au Parlement débutera à 20 h 30 et devrait se prolonger tard dans la
soirée.
23 H 20 Petite pause. Le ministre se lève, s’étire, et va au fond de la salle contempler la galerie de portraits de ses prédécesseurs, avant de retourner s’asseoir et se concentrer à nouveau sur le bilan des réalisations de son ministère.
23 H 40 Il réprime un bâillement et se demande à haute voix comment dissimuler les cernes qui se sont installés sous ses yeux. «L’eau de rose n’y a rien fait», déclare-t-il dans un rire, avant de se remettre au travail de plus belle.

00 H 15 Toutes les diapositives ont été corrigées. Le ministre donne ses dernières instructions pour la séance parlementaire du lendemain. Les collaborateurs se lèvent dans des raclements de chaises et des soupirs de soulagement.
00 H 30 «C’est une journée ordinaire, déclare-t-il en se dirigeant vers la porte. J’en ai eu de bien pires.» Dans l’ascenseur, Taoufik Hejira examine à nouveau ses yeux fatigués dans le miroir. On lui livre une recette infaillible : des sachets de thé.