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« La confection au Maroc, c’est terminé ! »
Roger Mouchet est arrivé au Maroc il y a 15 ans. Après avoir occupé des postes de responsabilité dans différentes entreprises de confection au Maroc, il est aujourd’hui consultant. Fort d’une expérience de 35 ans dans l’industrie du textile et de l’habillement, dont 20 en France, il dresse un tableau inquiétant de la situation actuelle.
On parle de départs perceptibles des donneurs d’ordre. La tendance se serait accélérée dernièrement…
Accélérée, non. Pour la simple raison que nous travaillons par saisons. L’actuelle saison se terminera en février et ce n’est qu’en mars et avril qu’on se rendra compte de la catastrophe. Déjà, pour l’actuelle saison, qui a commencé en septembre, le secteur a enregistré beaucoup moins de commandes que les années passées.
N’empêche que des industriels parlent de départs récents de grands donneurs d’ordre…
Absolument ! Mais ces départs ne s’inscrivent pas forcément dans le cadre de la mondialisation. Ces donneurs d’ordre vont là où ils trouvent des coûts moins élevés. Ce n’est pas propre aux six derniers mois. Les donneurs d’ordre français sont partis depuis un ou deux ans. Nous travaillons actuellement avec des donneurs d’ordre d’autres pays venant pour la première fois au Maroc, comme les Anglais, les Scandinaves. Mais même ceux-là finiront par quitter le Maroc dans trois ou quatre ans. Aujourd’hui, pour le même coût, vous avez 1 article en France, 9 au Maroc
et… 25 en Chine. Les donneurs d’ordre ne sont pas fous. Ils iront là où ils obtiendront les coûts les plus bas.
La bataille sur les grandes séries est presque définitivement perdue…
Absolument. Les grandes séries et les produits basiques sont partis depuis longtemps en Asie. On se dirige vers les petites séries, les modèles compliqués, à forte tendance de mode, etc. Mais le problème est que, quand vous lancez une nouvelle série, il y a des frais de démarrage de la chaîne qui sont les mêmes pour une petite série de 500 pièces ou pour une grande série de 25 000 pièces. Avec les petites séries, on n’a pas le temps de rentabiliser la chaîne.
Les industriels marocains sont-ils préparés pour se réadapter à cette nouvelle donne ?
Certains s’y sont préparés. Mais, au Maroc, nous restons trop chers au niveau des coûts des facteurs comme l’énergie. Mais il y a aussi un autre facteur très important qui est la productivité. En Chine, le taux de productivité est de 90% contre 60% au Maroc. Il y a aussi un aspect comportemental. En Chine, même l’ouvrier fait preuve d’imagination pour étudier les gestes et les mouvements sur sa machine. Très souvent, c’est l’ouvrier qui propose à ses chefs les solutions pour produire plus. Ce n’est pas le cas au Maroc.
On espère que le Maroc survivra grâce à sa proximité avec l’Europe. Vous y croyez ?
Non. Le Maroc bénéficie juste d’un sursis. La carte de la proximité joue actuellement à cause du coût du transport. Mais cela ne durera pas longtemps car les professionnels internationaux de la logistique et des transports sont en train de s’organiser pour gagner sur les délais d’acheminement entre l’Asie et l’Europe.
Que doit-on ou que peut-on faire ?
C’est malheureux de le dire, mais un certain nombre d’entreprises devront penser dès maintenant à faire autre chose. La confection au Maroc, c’est fini ! Dans les cinq ans à venir, le secteur perdra à mon avis la moitié de ses emplois.
Quelles sont les perspectives alors ?
Il faut que les industriels marocains se réorganisent sérieusement. Ils doivent s’entourer de spécialistes en logistique, d’hommes de méthodes. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises marocaines continuent de faire du bricolage à la limite de la couture de maison.
Mais certaines entreprises arriveront tout de même à se maintenir…
C’est évident. Ceux qui arriveront à se réorganiser auront toujours du travail. Mais le problème est que les donneurs d’ordre ont des lignes de produits qu’ils préfèrent faire fabriquer en totalité dans le même pays. Un donneur d’ordre ne peut pas s’amuser à faire les pantalons au Maroc, les chemises au Bangladesh, les T-shirts en Chine et les ceintures en Inde. S’il trouve dans le même pays les entreprises pour fabriquer tous les articles de la ligne, il s’y installera.
Roger Mouchet Consultant en textile.
