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Affaires

Investissements : une embellie en trompe-l’Å“il

Les crédits d’investissement progressent de 11 % sur les neuf premiers
mois de l’année…
Mais cette évolution n’est due qu’à l’effet de
gros emprunts qui ne sont d’ailleurs pas encore injectés dans le
circuit économique.

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rub 208

Au terme du premier semestre 2003, l’investissement domestique donnait quelques signes d’inquiétude au regard du recul des crédits à l’équipement dont l’encours se chiffrait à 27,36 milliards de DH contre 27,62 milliards à fin 2002 (-0,9 %). Le bémol ne fut apporté que par le bon comportement des autres catégories des crédits à l’économie, notamment les crédits immobiliers qui confirmèrent leur rôle de locomotive de croissance dans toutes les banques et les crédits de trésorerie qui, même en marquant le pas, avaient progressé de 2,6 % à 63,08 milliards. Toutefois, la progression de 4,4% des concours à l’économie, aussi appréciable soit-elle en étant en ligne avec les prévisions de croissance du PIB 2003, ne pouvait masquer ce constat peu réjouissant : l’investissement productif semble bridé. De quoi désarçonner plus d’un observateur à qui l’on rabâchait le contraire depuis l’investiture de l’équipe Jettou.
Il fallait donc attendre les mois suivants pour jauger l’amélioration de la visibilité des opérateurs marocains car de toute évidence le bon comportement de la consommation des ménages ne saurait soutenir un démarrage pérenne de la machine économique sans être relayé par l’investissement générateur de surplus de revenus et, par ricochet, d’une demande additionnelle.

L’encours de financement de l’investissement productif en hausse de 4,4 milliards de DH
Aujourd’hui, les chiffres de l’activité bancaire arrêtés à fin septembre dénotent sur plusieurs volets d’un revirement de situation à l’ampleur assez inhabituelle.
A première lecture, les concours à l’économie enregistrent globalement un taux de croissance de 5,2 % par rapport à décembre 2002, à 199,3 milliards de DH. Comparativement au même mois de l’année précédente, la hausse est de 6,6 %. Pourtant, la messe n’est pas pour autant dite. L’évolution agrégée occulte des mouvements sous-jacents assez divergents et contrastés.
En progressant de 6 % par rapport à décembre 2002, à 183,7 milliards de DH, les créances sur la clientèle confirment, tout en l’amplifiant, la tendance déjà relevée à la fin du premier semestre. Sur ce sillage, les crédits immobiliers poursuivent leur évolution bille en tête avec des encours totalisant 38 milliards de DH, en progression de 9 %, comparativement à décembre.
Quant aux crédits à la consommation, ils accélèrent le pas en affichant un taux de croissance de 11,5 % à 9,3 milliards de DH.
La grande surprise, heureuse de surcroît, provient indéniablement du comportement des crédits à l’équipement. Comparés à décembre 2002, ils affichent une croissance de 11 %, à 40,3 milliards de DH, rompant ainsi avec l’atonie relevée au terme du premier semestre (-0,9 %). Ainsi, en l’espace d’un trimestre l’encours de financement de l’investissement productif s’est amélioré de 4,4 milliards de DH, phénomène encore inédit pour notre système bancaire au cours du nouveau millénaire !
S’agit-il de signes avérés d’un regain de confiance significatif ? Un constat à nuancer. Certes la hausse est significative si l’on s’en tient aux chiffres bruts. L’évolution favorable de l’économie peut aussi être appréciée à travers les importations de biens d’équipement qui progressent de 9,5 % (en valeur) sur les huit premiers mois de l’année, par rapport à la même période de 2002. Le rythme est soutenu, mais l’on ne sait pas si ces importations sont destinées au renouvellement ou à l’augmentation des capacités, une utilisation plus révélatrice de l’état d’une économie. 

Hausse de 9,5% en valeur des importations de biens d’équipement

Regain de confiance généralisé ? Pas certain car, en l’absence de sondages fiables sur le moral des entrepreneurs et leurs anticipations d’investissement, il faudrait établir la cartographie de l’évolution des crédits d’investissement et voir si elle touche un large spectre de secteurs. Des secteurs comme l’agroalimentaire et le tourisme souffrent, alors que le textile se remet à espérer.
A ce niveau, il est utile de rappeler que ce dernier trimestre a été marqué par l’opération «historique» d’Altadis. Cette société a levé pendant le mois de juillet un emprunt bancaire de 3 milliards de DH pour financer partiellement l’acquisition de 80 % de la Régie des tabacs. Le chef de file de ce crédit consortial était la BCM qui, a elle seule, a apporté 900 MDH. Aussi, une seule opération explique-t-elle les deux tiers de l’inhabituelle progression trimestrielle et, qui plus est, ne représente pas un nouvel investissement. On serait tenté d’évoquer aussi les cas d’Amendis et Redal qui viennent de se voir accorder par les banques des crédits d’investissements respectifs de 940 MDH et 2 milliards de DH, sans que les fonds n’aient encore été réellement injectés dans le circuit. C’est également le cas pour le projet Tahaddart qui a obtenu un financement de 960 MDH, avec la BCP pour chef de file.
Au demeurant, l’euphorie est loin d’être de mise et l’embellie en question est à nuancer si tant est, en l’absence de retombées induites par ces opérations colossales sur l’ensemble du tissu productif, elle risque de n’être en définitive qu’une éclaircie éphémère. Et ce ne sont pas les conventions d’investissement récemment signées qui auront un impact immédiat sur l’économie. Ce qui amène de hauts cadres de grandes banques de la place, qui confirment l’impact des grosses opérations sur l’évolution globale des crédits, à souligner qu’il y a actuellement des frémissements, mais pas de véritable reprise. Il faudra au moins attendre les deux à trois prochains mois pour prononcer un jugement crédible