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Impayés bancaires : le délai de prescription légal prévu par le code de procédure civile devient caduc

Les dossiers de créances impayées soumis par les banques aux tribunaux ont augmenté de 36% en 3 ans. Le délai de prescription biennal s’applique désormais à chaque échéance, et se retrouve fractionné au même titre que la dette.

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L’évolution des litiges bancaires en justice est à l’image de celle des créances en souffrance lors des trois dernières années. Même s’ils constituent une toute petite partie de l’activité des tribunaux (moins de 10%), ils progressent de manière inquiétante au fil des années. Le nombre de procès impliquant les établissements de crédit est passé de 22 540 en 2012 à près de 30000 en 2015, soit une hausse de 36% en 3 ans. Parmi les principales causes de cette évolution, l’assouplissement des conditions d’acceptation des plaintes émises par les établissements bancaires. En effet, la jurisprudence a tout bonnement opté pour la suppression du délai de prescription légal en matière de crédit bancaire. Ce délai, prévu dans le code de procédure civile et qui s’applique à toutes les créances, était une aubaine pour les conseils des débiteurs défaillants.

Le client ne peut plus se soustraire facilement à ses obligations

Avant l’arrêt de la Cour de cassation du 12 septembre 2013, lorsque la banque constatait qu’un client n’avait pas payé l’échéance d’un emprunt, elle disposait de deux ans, à partir de cette date, pour réclamer en justice le remboursement de tout le crédit. Si elle ne le faisait pas dans ce délai, son action était prescrite, et le client n’avait plus rien à rembourser : ni capital, ni intérêts, ni aucune indemnité. Or, il arrivait fréquemment qu’elle dépasse ce délai, le temps de chercher une solution amiable qui lui éviterait de coûteux frais de justice. Cette tendance se basait sur le fait que le délai de prescription biennal commençait à la date du premier incident de paiement non-régularisé, et non lorsque la banque prononce la déchéance du terme. Or, depuis septembre 2013, le traitement judiciaire du crédit bancaire a connu un revirement à 180°. D’un côté, le délai de deux ans s’applique à chaque échéance, individuellement. Par exemple, si l’emprunteur ne rembourse pas la mensualité due au 1er janvier 2016, la banque aura jusqu’au 1er janvier 2018 pour l’y contraindre. S’il ne rembourse pas l’échéance du 1er février 2016, elle aura jusqu’au 1er février 2018 pour le faire. Et ainsi de suite. En effet, «la prescription se divise comme la dette elle-même et court, à l’égard de chacune de ses fractions, à compter de son échéance» et l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit «à compter de leurs dates d’échéance successives».

D’un autre côté, le fait pour le banquier de dépasser ce délai de prescription n’a plus d’incidence sur le reste de la dette. En effet, dit la Cour, «l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité» : cela signifie que le banquier dispose de deux ans à compter du moment où il a choisi de prononcer la déchéance du terme pour attaquer son client.

Les banques doivent prévenir le client du risque encouru dans une opération

Mais la prise de risques est inhérente à l’exercice de l’activité bancaire. Les litiges découlant de l’impayé semblent donc inévitables, puisque les défaillances des débiteurs ne sont pas souvent dues à leur fait. Dans bien de cas, des circonstances particulières conduisent ces derniers à ne plus être en mesure d’exécuter leurs obligations. La nécessité de prévenir autant que possible le risque d’impayé s’impose donc. Raison pour laquelle les magistrats retiennent également la responsabilité de la banque.

La jurisprudence récente a posé plusieurs «tempéraments» au tout puissant principe prudentiel de «non-ingérence». Ainsi, dans un contentieux bancaire, la Cour de cassation a considéré que le banquier ne peut s’extraire de son obligation de vigilance à chaque fois que l’opération en cause présente une anomalie apparente ou toutes les fois qu’une telle opération impose une surveillance renforcée de la banque. Le litige entre le client et sa banque pourra tourner à la faveur du premier lorsque dans de telles conditions il s’agira de rechercher la responsabilité bancaire dans un préjudice du client ou d’un tiers né de l’absence d’intervention du banquier aux fins d’empêcher la réalisation d’une opération présentant une anomalie matérielle ou intellectuelle apparente.

En outre, les juges ont pris le soin de renforcer le devoir de mise en garde. Les tribunaux ont en effet pris le parti d’imposer aux banques qu’elles préviennent les éventuelles difficultés qui pourraient être rencontrées par un client emprunteur ou investisseur en attirant son attention sur les risques prévisibles de l’opération envisagée. Sous réserve que ladite opération fasse courir un risque d’endettement pour le client, des litiges et contentieux bancaires sont véritablement susceptibles d’être imputés aux banques qui se seraient contentées de dispenser au client une simple information générale. Les tribunaux retiennent généralement qu’en raison de la nature de l’opération, «il convenait que les établissements de crédit aillent au-delà en mettant véritablement en garde le client et en l’alertant sur les probables suites et difficultés pouvant survenir au cours de l’opération en cause». Ce devoir de mise en garde créé par la jurisprudence protège tant les personnes physiques que les personnes morales, qu’elles agissent à titre personnel ou à titre professionnel. Une obligation qui vaut à la fois pour les clients initiés tout comme pour les profanes…