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IFRS : Trois questions à Anass Radi, Président de l’Association marocaine des consolideurs financiers
Anass Radi : «Le gap entre ce qu’exige la liste des informations requises par les normes et ce qui est publié est énorme !».

La Vie éco : Pourriez-vous nous dresser un petit aperçu sur la chronologie de l’adoption du référentiel IFRS au Maroc ?
La première vague des entreprises ayant basculé vers les IFRS date de 2005 avec l’entrée en vigueur du règlement européen de 2002 obligeant les entreprises cotées sur les places financières européennes à consolider leurs comptes en IFRS (avec un différé de trois ans pour assurer la transition). Deux groupes marocains étaient directement concernés par le règlement européen (IAM et ONA) en raison de leur cotation à Paris.
Aussi, les filiales de groupes européens ayant une présence au Maroc ont-elles été obligées, cette année, d’adopter les IFRS pour faire remonter des comptes consolidés selon ces normes à la comptabilité du groupe (ex : Société générale, BMCI, Holcim, Lafarge, Accor…).
En 2008, une note circulaire de Bank Al Maghrib et du CDVM a obligé les banques cotées à appliquer les normes IAS/IFRS, et ce, à compter de 2009.
Enfin pour les établissements publics, l’application des IAS/IFRS est sur option à partir de 2008, en se référant à la loi 38-05 relatives aux comptes consolidés des établissements et entreprises publiques. A noter que pour les sociétés cotées au premier compartiment de la Bourse de Casablanca, les IFRS sont sur option, et ce, depuis 2007.
Si ces nouvelles normes se veulent un référentiel de «l’abondance de l’information», la communication des opérateurs marocains selon les exigences du normalisateur reste très superficielle. Quelle évaluation faites-vous de la qualité de l’information financière selon les IFRS ?
n Au Maroc, la communication financière selon les standards IFRS laisse sur leur faim les partenaires de l’entreprise censés recevoir l’information. La majorité des entreprises qui consolident actuellement leur compte s’en tiennent au minimum d’information à fournir. Les obligations d’information financière en annexe sont souvent évitées grâce à des petits paragraphes narratifs ou des tableaux sommaires présentant le strict minimum. Ce constat est fait en se basant sur les publications des opérateurs concernés sur l’ensemble des normes aujourd’hui en vigueur notamment l’IFRS 15, l’IFRS 9 et l’IFRS 16. Une simple comparaison entre la liste des informations requises par les normes et ce qui est publié par les entreprises permet de mettre en lumière le gap dont l’importance diffère d’un groupe à un autre.
Par exemple, les lecteurs attendaient avec beaucoup d’intérêt les premières publications trimestrielles 2019 sous la nouvelle norme IFRS 16 entrée en vigueur ce 1er janvier 2019 portant sur la capitalisation des contrats de location au bilan. Malheureusement, la plupart des consommateurs de l’information financière ont été déçus par des publications avares en éléments sur les impacts de l’application de cette nouvelle norme.
Comment se justifie cette situation ?
Il existe plusieurs raisons qui peuvent expliquer le constat actuel. Déjà, il faut admettre que parfois les données exigées par la norme sont difficiles à extraire, ou à avoir avec le degré de précision que nécessite les IFRS. Cette difficulté à produire l’information pousse parfois les financiers à se contenter d’un petit commentaire sans plus de détails. Mais, il y a également des considérations de politique et de stratégie de l’entreprise. Est-ce que cette dernière veut vraiment communiquer et pourquoi va-t-elle le faire ? Sur ce registre, les entreprises, culturellement plus introverties et gênées par les regards extérieurs et la concurrence, vont naturellement partager le minimum d’information avec les partenaires et le marché. Par contre, une structure qui veut s’ouvrir sur son environnement et qui a une perspective de développement à l’international va systématiquement choisir à communiquer en IFRS de manière très transparente et détaillée pour être comprise de l’ensemble de ses partenaires.
Enfin, il faut avoir à l’esprit que la consolidation selon les normes IFRS est plus coûteuse que le référentiel comptable local. Pour s’y conformer, il faut investir dans les outils et système d’information évolués, recruter de manière continue des profils qualifiés et former les ressources humaines aux dernières nouveautés comptables. Tout ceci implique un surcoût que plusieurs entreprises ne peuvent ou ne veulent pas supporter.
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