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Affaires

Hamid Bentahar : «Mutualiser les efforts public-privé pour co-construire un secteur du tourisme résilient»

•Un espace de coordination au niveau de l’Exécutif plus que jamais nécessaire pour relever ensemble les défis.
• Des mesures sociales, bancaires et fiscales sont les doléances les plus urgentes des professionnels, à mettre en œuvre à très court terme pour permettre aux acteurs du tourisme de sauver les emplois et de retravailler au mieux et au plus vite
• La levée des restrictions, au moins pour les personnes déjà vaccinées, indispensable également à cet effet.

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  • Le secteur du tourisme continue de souffrir des retombées de la pandémie. Comment relancer l’activité ?

Hamid Bentahar : Toutes les filières du secteur continuent en effet de souffrir et de subir les effets massifs de cette crise depuis plus de 18 mois. Une crise qui n’a que trop duré. Malgré un début d’été plutôt encourageant, il y a unanimité pour dire que le secteur du tourisme est le plus affecté par cette situation. Il est aussi le seul à subir encore le coût des restrictions. Et force est de constater que la relance promise pour 2021 est malheureusement reportée.

Pour la relance nous avons formulé les solutions les plus responsables, les plus citoyennes et nécessaires, déjà transmises au CVE pour sauver les emplois et permettre aux acteurs du tourisme de retravailler au mieux et au plus vite.

Ce sont trois solutions concrètes pour le très court terme pour la sauvegarde et la résilience. Il s’agit de solutions sociales, bancaires et fiscales, compte tenu de l’urgence de la situation et des grandes difficultés que rencontrent nombre d’opérateurs.

 

  • Vous avez été élu à la tête de la CNT avec une feuille de route ambitieuse, quelles sont aujourd’hui vos priorités ?

Le conseil d’administration de la Confédération nationale du tourisme du 26 août dernier a validé la nouvelle organisation et la nouvelle stratégie de transformation pour la relance et la réinvention du secteur avec trois axes majeurs. Il s’agit de la co-construction, la compétitivité et la durabilité avec pour objectif prioritaire la création d’emplois au niveau des trois axes.

Il est fait allusion : -Aux emplois existants à sauvegarder et reconstruire avec la prorogation du contrat-programme. – Aux emplois nouveaux à stimuler par l’amélioration de la compétitivité. -Aux emplois informels à intégrer et protéger pour les transformer en emplois de qualité. Il est question aussi de nouvelles solutions pour maximiser les opportunités d’emplois à travers l’entrepreneuriat dans l’animation, les sports, la culture, le travel tech, le tourisme de santé, le tourisme solidaire et le tourisme durable, entre autres. Dans les zones rurales l’accompagnement du développement de l’éco-tourisme est justement un vecteur de création d’emplois.

Le dernier CA a validé également la transformation de l’organisation de la confédération pour une CNT ouverte et inclusive avec 3 catégories d’instances. Elles impliquent pour la première fois un comité exécutif et des instances consultatives pour la durabilité et la transformation et qui font appel à un Conseil des jeunes et un Conseil des sages. Ceci afin de tirer partie des meilleures compétences : d’un côté celles expérimentées et, de l’autre, celles innovantes.

 

  • Vous misez beaucoup dans votre stratégie sur la synergie public-privé. Quelles sont vos attentes par rapport au nouveau gouvernement ?

Nos attentes sont claires. Il s’agit de permettre aux acteurs de retravailler au mieux et au plus vite, d’abord par la levée des restrictions sur les horaires d’ouvertures, les restrictions sur l’organisation d’événements sportifs, culturels et économiques, au moins pour les personnes déjà vaccinées. Le pass sanitaire pour la mobilité fonctionne dans de nombreux pays.

Nous souhaitons aussi agir ensemble dans le cadre d’une taskforce nationale réunissant les nouveaux responsables publics et la Confédération nationale du tourisme, et ce pour co-construire le nouveau modèle de développement de notre industrie. Nous devons mutualiser les efforts public et privé pour forger ensemble une industrie du tourisme plus forte, plus compétitive, plus durable et plus résiliente. Il nous faut aussi, et nous le pouvons, compléter l’offre hébergement par une offre d’animation, des services et des expériences diversifiées et de qualité dans une approche écosystème.

Une nouvelle stratégie aérienne plus offensive et plus audacieuse pour mieux exploiter l’ensemble du potentiel de notre pays est aussi nécessaire. L’objectif est de mieux tirer profit de l’ensemble des opportunités qu’offrent nos industries, très largement sous-exploitées, pour être davantage créateurs de valeur et d’emplois de qualité. Nous devons réorienter une partie des incitations vers l’appui au développement des services, de l’animation, des activités, des expériences et itinéraires ruraux, solidaires et créatifs. Le tout en veillant à l’inclusion des jeunes, des femmes et des acteurs de l’économie sociale.

Nous voulons de même renforcer la valorisation des métiers, du capital humain, culturel, musical et naturel dans les territoires. Mais aussi renforcer les synergies avec les autres secteurs de l’économie pour développer encore plus d’opportunités d’emplois en étroite collaboration du public et du privé avec tous les secteurs connexes.

 

  • Le tourisme est un secteur transversal qui requiert une gouvernance très particulière. Quelle est votre recette pour une bonne organisation de ses composantes ?

Le secteur du tourisme est une composante majeure de l’économie du Royaume du Maroc. Il contribue significativement au développement économique, social et territorial du Maroc et emploie directement 550 000 personnes. L’activité génère aussi près de 7% du PIB national (12% en considérant les acteurs indirects) et mobilise près de 80 milliards de dirhams de recettes voyages en devises par an, en plus des 45 milliards de dirhams de recettes du tourisme interne.

Eu égard à tous ces éléments et à son rôle socioéconomique important, la transversalité du secteur et la multiplicité des intervenants imposent le renforcement de la démarche collaborative de co-construction et de co-pilotage avec les pouvoirs publics. Un espace de coordination au niveau de l’Exécutif est plus que jamais nécessaire, afin de relever les défis liés à l’impulsion de l’emploi. Il s’agit aussi de susciter l’entrepreneuriat au service du développement des industries du voyage et de l’hospitalité de demain, et de contribuer ainsi à un développement équitable, inclusif et durable de nos territoires.

Le renforcement également de la coordination régionale avec une gouvernance conjointe entre le public et le privé, ainsi que le renforcement des synergies de développement avec les autres secteurs de l’économie, sont aussi indispensables, et ce pour la mutualisation des efforts et pour maximiser la contribution à l’économie nationale.

Il convient dans ce contexte de mettre en œuvre la stratégie de relance concentrée adéquate avec une plateforme de veille de classe mondiale, et ce pour garantir la disponibilité de données fiables, d’outils de pilotage et de monitoring avec les indicateurs de compétitivité et de durabilité indispensables aussi bien à l’échelle nationale que territoriale. Ensemble nous devons et nous pouvons développer nos systèmes de collaboration pour transformer cette crise en une opportunité et pour co-construire notre nouveau modèle de développement du tourisme, plus inclusif, plus résiliant, compétitif et durable.

 

  • L’activité manque de visibilité dans ce contexte conjoncturel. Quelles sont selon vous ses perspectives ?

La bonne nouvelle c’est que le désir de voyage reste intact. Le marché national comme celui international expriment l’envie pressante de retrouver le plaisir de voyager et celle de retrouver la liberté d’agir. Nous enregistrons cependant une plus forte exigence pour la santé et l’hygiène, une demande plus forte pour les expériences nature et aventure dans les grands espaces naturels, une plus forte envie de montagne, de désert et de belles plages… Il ressort aussi un intérêt croissant pour les plaisirs simples, pour le tourisme rural, pour les immersions culturelles, créatives. En outre, nous constatons de même le développement d’une conscience environnementale avec un attrait des destinations de proximité et une envie de consommer local comme un acte de solidarité pour une industrie du voyage inclusive, responsable et durable.

Avec l’accélération digitale, l’augmentation de l’offre des compagnies aériennes low-cost et ces nouvelles habitudes pour la destination Maroc, il nous est possible de rester optimistes. Le Maroc dispose en effet d’un concentré insensé d’expériences naturelles et culturelles, tels que les paysages d’une beauté à couper le souffle, les trésors du monde rural, les médinas et de nombreux autres atouts pour répondre à toutes les nouvelles envies et tendances. Ce qui peut stimuler de nombreuses opportunités d’emplois et d’investissements avec confiance, audace et détermination.

 

  • Comment rendre plus attractive et compétitive la marque Maroc ?

Au-delà de la prolongation des mesures de contingence nécessaires à la sauvegarde des emplois et du tissu des entreprises jusqu’à fin décembre 2021, il est donc nécessaire de traiter les bilans des entreprises de façon intégrée et pas par des dettes supplémentaires. Ce qui revient à agir en injectant des quasi-fonds propres via un fonds sectoriel adossé au Fonds MohammedVI, permettant de renégocier les dettes des entreprises et ainsi encourager de nouveaux investissements.

Le secteur a déjà commencé à s’adapter aux nouvelles réalités de marché et aux nouveaux comportements des visiteurs. Pour améliorer l’attractivité, nous devons réussir la transformation post-crise et traduire les menaces en opportunités. Nous pouvons et nous devons co-construire ensemble la compétitivité durable de notre secteur avec une coordination régionale renforcée, et ce pour favoriser les évolutions structurelles des écosystèmes et des chaînes de valeur qui présentent un fort potentiel pour l’emploi et l’entrepreneuriat, particulièrement pour le développement de TPME dans les offres de services d’animations, sports, écotourisme,… A cet effet, il serait, à mon avis, opportun de multiplier les accompagnements techniques et financiers adaptés à ces acteurs, de soutenir la transformation digitale du secteur avec des mesures pour favoriser l’innovation et la distribution.

Notre pays a démontré une réactivité remarquable dans sa gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19, avec l’excellent travail des autorités sanitaires. Dans l’immédiat, nous devons cependant lever les restrictions pour commencer à stimuler la demande de manière plus offensive, en ce qui concerne les marchés émetteurs internationaux, l’aérien reste le levier principal. Il faut un plan audacieux avec les acteurs structurants de ce secteur pour la reconstruction et la diversification des autoroutes aériennes.

Les flux touristiques marocains doivent viser 1,2% du flux mondial à terme, avec une augmentation des recettes de voyages en devises de 10% par an, afin de devenir la première source de devises pour l’économie nationale. Pour cela, des partenariats avec les compagnies aériennes, véritables prescriptrices pour le tourisme, doivent être une priorité et les régions concernées peuvent contribuer financièrement au même titre que l’ONMT.

Quant au tourisme local, des mesures d’appui à la demande interne sont nécessaires afin de renforcer l’accès des citoyens marocains à une offre en transport, en hébergement et en animation adaptée à leur pouvoir d’achat. Des chèques vacances défiscalisés peuvent être proposés à large échelle.

Par ailleurs, il s’agit d’encourager au maximum le secteur formel et de fiscaliser également les locations courtes durées qui se font à travers les plateformes en ligne en les faisant contribuer à la promotion de la destination Maroc.

Enfin, la durabilité du secteur exige l’amélioration de la qualité de la formation où les cursus doivent évoluer vers plus d’excellence, avec le concours des opérateurs dans le choix des stagiaires et leur formation sur le terrain.

L’amélioration de l’attractivité de l’emploi passe aussi par l’élargissement de la protection sociale à tous les travailleurs.

Cette crise devra être l’occasion de repenser l’avenir du tourisme marocain, en stimulant la demande, en préservant le tissu d’acteurs et l’expérience Maroc à très court terme et en installant les fondements pour une transformation durable, et ce avec, par exemple, un positionnement plus structuré sur l’écotourisme et une transition vers la sobriété écologique en contribuant à la réduction de l’empreinte carbone.

Notre ambition : Rétablir la confiance pour co-construire avec les partenaires publics une nouvelle feuille de route offensive en cohérence avec les objectifs et les lignes directrices du nouveau modèle de développement. Un plan audacieux pour la compétitivité durable de nos territoires, pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous, afin de forger une industrie du tourisme plus forte, plus durable et plus résiliente.