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Affaires

Guerre de succession à  la CGEM ?

Comment une tentative de changer la direction de la CGEM est devenue, 16 mois plus tard, une guerre contre «le clan Majidi» et une «volonté de mainmise sur l’économie marocaine».
L’actuelle équipe dirigeante est affaiblie et reste contestée par une partie non négligeable du tissu économique.

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rub 689

Depuis le week-end du 2 octobre, on ne parle que de «ça» dans le microcosme casablancais. Par hommes d’affaires interposés, les clans El Himma et Majidi se feraient la guerre, avec un enjeu de taille : la mainmise sur l’économie marocaine. C’est du moins la thèse développée dans la dernière édition de notre confrère Le Journal Hebdomadaire.
Mainmise sur l’économie marocaine ? Une lecture entre les lignes du dossier suffit pour se faire une idée. Une enquête menée par La Vie éco le confirme : c’est le malaise au sein de la CGEM et non pas une rivalité Majidi-El Himma qui est à l’origine de ce dossier. Explications et reconstitution.
Selon la thèse développée par ce journal, Fouad Ali El Himma actionnerait ses réseaux à travers plusieurs chefs d’entreprises et patrons de groupes, dont quatre seraient les piliers de son «clan» : Aziz Akhannouch (Akwa group), Youssef Alaoui (Cicalim), Mohamed Hassan Bensalah (Holmarcom) et Mustapha Amhal (Oismine). La plupart d’entre eux ont d’ailleurs adressé au Journal Hebdomadaire des mises au point dont ils ont transmis copie à d’autres organes de presse dont La Vie éco. Des mises au point qui démentent toute implication de leur part dans une quelconque guerre des clans.

L’Intérieur a bon dos
De fait, si la thèse développée par Le Journal paraît plausible, elle pèche par plusieurs faiblesses (voir encadré ci-contre). L’une d’entre elles est de taille : ce serait vraiment méconnaître le capitalisme marocain que de croire que des groupes d’une certaine taille vont s’allier pour entrer en guerre contre l’ONA ou ses dirigeants. Mounir Majidi et Bassim Jaï Hokimi jouissent du respect général, pas seulement à cause de leurs fonctions mais aussi en raison de leurs choix en tant que managers.
En réalité, derrière cette «guerre des clans», l’enjeu est la succession à la tête du patronat marocain. L’enquête menée par La Vie éco nous a permis de reconstituer les seize mois de malaise au sein de la CGEM qui ont abouti à l’agitation actuelle.
Le vrai point de départ se situe en juin 2003, à l’occasion des élections à la tête de la CGEM. Le président sortant, Hassan Chami, est reconduit avec seulement 19 voix d’avance. La plupart des grands groupes, dont l’ONA, ont voté contre lui. Certains de ces groupes sont réputés proches du pouvoir, ce qui donne l’occasion aux mauvaises langues de faire courir le bruit que l’Intérieur est derrière tout cela. On omet cependant de signaler que si les grands groupes ont bien voté pour Adnane Debbagh, son rival, ils lui ont apporté en tout et pour tout 170 voix sur 1125.
Quoi qu’il en soit, Hassan Chami sort fragilisé de ces élections. Malgré le «je vous ai compris» qu’il a lancé à ses opposants, il ne tiendra pas compte ou ne semble pas tenir compte de leurs critiques. Dans une déclaration faite à La Vie éco il y a quelques semaines, Hammad Kessal, président de la fédération PME-PMI, estimait que les élections 2003 ont certes apporté «une certaine démocratisation» au sein de la CGEM, mais, regrette-t-il, les hommes les plus proches du président sont toujours là. «Je peux comprendre qu’un président ait des collaborateurs en qui il a confiance, mais tout de même, vu les circonstances qui ont entouré les dernières élections, il eut fallu privilégier la concertation». Une déclaration que corrobore la constitution de l’actuel bureau : la plupart des membres cooptés sont ceux qui ont soutenu le président Chami dans sa campagne. Suggestion : il aurait été logique, par exemple, d’intégrer dans ce bureau un certain Adnane Debbagh qui, ayant réussi à mobiliser près de 50% des voix, avait certainement quelques idées non dénuées d’intérêt et qui auraient été d’un apport précieux.
A la suite de ces élections, et malgré plusieurs réunions informelles et formelles avec les patrons de grands groupes, le président de la CGEM n’est pas rassuré. Des faits interviennent, et qui sont interprétés par M. Chami comme autant de signaux de méfiance à son égard. Sa paranoïa s’accroît. A la tête de l’organisation patronale, on ne prend pas beaucoup d’initiatives mais on a de plus en plus l’impression d’être mis à l’écart.
La paranoïa est un engrenage. On finit par tout interpréter d’une manière négative, même une mission d’hommes d’affaires aux Canaries ou une autre à Barcelone, dans le cadre du partenariat décentralisé. La remise de décorations à l’occasion de la Fête du Trône à des chefs d’entreprises non adoubés par la CGEM donne lieu à des questionnements. Une ou deux réunions d’entrepreneurs sont organisées au Maroc sans inviter l’organisation patronale et, enfin, au cours de l’été, des rumeurs commencent à courir au sujet d’une démission forcée de Hassan Chami qui serait remplacé par Youssef Alaoui (invérifiable et démenti par ce dernier), voire de la création d’une organisation patronale concurrente.
Tout cela accentue la fragilisation d’une équipe qui n’a pas pris la peine de reconstruire sa légitimité après les élections. Une chose est désormais sûre : la CGEM n’exerce pas le leadership de la communauté des affaires auquel elle aurait pu prétendre. Insatisfaits de son rendement, de son efficacité, et la jugeant par trop inerte, des ténors, et non des moindres, l’ignorent ostensiblement. Ils ne comprennent pas non plus cette alliance, avec le très contesté Abdellah Zaâzaâ, pour le financement des projets d’association de quartiers.
Selon des sources bien informées, Hassan Chami fait part de ses inquiétudes à droite et à gauche, à Rabat et à Casablanca. Il n’obtient pas de réponse consistante. On ne fait rien pour le rassurer. Quand l’ONA l’invite, fin septembre, à Paris pour une rencontre avec le Medef, il est ravi, alors que pour l’ONA, l’invitation coulait de source.

Une succession d’événements qui inquiète
Avant cela, la rentrée aura failli connaître un mini-scandale. Ahmed Benkirane, numéro 2 de la CGEM et proche de Hassan Chami, monte au créneau et rédige un texte dans lequel il «dénonce» les rapports entre sphères politiques et sphères économiques (voir fac-similé en page précédente). Finalement, révèle La Lettre de l’Essentiel, cet article sera retiré in extremis par son auteur. Mais les mêmes idées circulent désormais avec insistance et sont communiquées au Journal Hebdomadaire : deux clans s’affronteraient, d’un côté Chami et Majidi, de l’autre, El Himma et les frondeurs anti-Chami.
En fait, l’ONA et a fortiori Mohamed Mounir Majidi se sont constamment tenus à l’écart des affrontements. «A l’occasion des élections, le groupe a voté pour Adnane Debbagh et par la suite, il a travaillé régulièrement avec la direction élue», nous explique Rachid Slimi, proche collaborateurs de MM. Majidi et Jaï Hokimi.
Par contre, hormis l’ONA, l’affrontement continue autour de la CGEM et il ne s’agit pas d’un affrontement politique. La CGEM n’est pas dirigée par une équipe indépendante et performante que l’on cherche à soumettre. L’affrontement oppose deux visions de l’organisation patronale. D’un côté, des entrepreneurs jeunes, qui représentent un peu la nouvelle vague des dirigeants, estimant défendre des valeurs d’ouverture économique et qui n’hésitent pas à investir, voire à sortir de leurs métiers traditionnels. De l’autre, un bloc uni autour d’une direction accusée d’avoir vieilli, de ne pas représenter le vrai visage du capitalisme marocain et de s’aligner systématiquement sur les positions du gouvernement. Driss Jettou, contacté par La Vie éco, n’était toujours pas joignable à l’heure où nous mettions sous presse et n’a pu nous donner son avis sur la thèse développée par notre confrère. En revanche, Karim Tazi, le patron du groupe Richbond, que la rumeur donne comme candidat à la succession de Hassan Chami, n’a manifestement pas voulu se prononcer. Contacté par nos soins, il a préféré recevoir nos questions par e-mail. Une requête restée sans suite.
Selon plusieurs chefs d’entreprises, interrogés par La Vie éco, la présidence actuelle de la CGEM souffre d’un déficit de légitimité. Elle n’aurait pas su fédérer les courants ni tenir compte des critiques qui lui ont été adressées. Cet affaiblissement a ouvert la guerre de succession alors que l’actuel président n’est même pas à mi-mandat. Et pour se défendre, on n’a pas trouvé mieux que la thèse du complot : à l’avenir, il faudra s’abstenir de critiquer l’actuelle direction sinon on sera accusé d’être actionné par le ministère de l’Intérieur. Tandis que la CGEM, dans sa configuration actuelle, est présentée comme une victime qui bénéficie néanmoins du parapluie de Mohamed Mounir Majidi. Ce qui est sûr, c’est que le débat sur la CGEM n’est pas terminé et que la question du leadership ou des leaderships des milieux économiques continue à se poser

Une chose est désormais sûre : la CGEM n’exerce pas le leadership sur la communauté des affaires auquel elle aurait pu prétendre. Insatisfaits de son rendement, de son efficacité et la jugeant par trop inerte, des ténors, et non des moindres, l’ignorent ostensiblement.

Bien avant la parution du dossier publié par Le Journal, Ahmed Benkirane, N° 2 de la CGEM, a failli créer un mini-scandale.