Affaires
Grande distribution : les marges arrière vont flamber en 2015
Elles étaient à 0,5% du chiffre d’affaires il y a 20 ans. Aujourd’hui, les marges arrière varient de 12% à 20% en fonction des produits et des enseignes de distribution. Certains industriels disent vendre à perte pour continuer à être référencés. Les distributeurs invoquent les marges brutes élevées des fournisseurs pour expliquer leur politique.

En ce mois de novembre, la marge arrière s’invite dans toutes les discussions des opérateurs de la grande distribution. Et pour cause, cette période coïncide avec la renégociation de cette ristourne calculée sur le chiffre d’affaires des fournisseurs. Les négociations seront très tendues puisque plusieurs industriels estiment qu’une nouvelle augmentation va les obliger de vendre à perte. Pour rappel, il y a 20 ans, le taux de la marge arrière était à 0,5%. Actuellement la moyenne s’établit à 16%. La marge varie de 12 à 20% en fonction des produits et des enseignes. «Ce sont celles qui disposent du plus grand nombre de magasins qui imposent les marges les plus élevées», explique un professionnel du secteur. Et d’ajouter : «Ces enseignes fixent les marges en fonction de la nature du produit et non de la taille de l’entreprise productrice». En guise d’exemple, les marges appliquées sur les farines et dérivés restent trop élevées, car le secteur est très concurrentiel. «Elles sont actuellement à 18%», regrette un industriel du secteur. Du coup, celui qui paiera plus sera aux premières loges. Il en est de même pour le secteur de l’eau (minérale et de table) où les marges augmentent de plus en plus. «En 2014, elles étaient entre 15 et 16%. Cette année encore, elles connaîtront une importante augmentation puisqu’on a de plus en plus d’opérateurs sur ce marché», confirme un industriel. Le secteur des cosmétiques apparaît cependant comme le plus touché. «Les marques versent près de 25% du chiffre d’affaires», ajoute un expert.
Il est important à cet égard de rappeler que la marge arrière n’est pas un simple pourcentage qui se calcule sur le chiffre d’affaires du fournisseur chaque fin d’année. Cette remise se compose de plus de 25 éléments. Il y a d’abord la marge prélevée systématiquement sur le prix de vente fournisseur. Son taux est proportionnel à la marge avant. Elle varie donc de 4 à 10%. Ensuite il y a les droits d’entrée. Pour pouvoir exposer un produit, les industriels doivent débourser de 500 000 DH à un million de DH. «Par conséquent, un industriel qui réalise une marge nette allant de 5 à 10% sur un chiffre d’affaires de 10 MDH doit verser les bénéfices d’un an ou de deux ans, pour entrer chez une grande enseigne, alors qu’il n’a aucune garantie d’y rester après deux ans», déplore l’industriel.
Outre le droit d’entrée, le fournisseur doit également payer un droit de référencement. Le prix à payer est fixé en fonction du nombre des produits fournis. Il coûte en moyenne 250 DH par produit et par magasin. Dans le cadre du contrat de la marge arrière, les fournisseurs sont également amenés a contribuer à l’ouverture de nouveaux magasins, l’extension d’anciens ou, tout simplement, le réaménagement des rayons. Le fournisseur doit payer à l’enseigne une proportion de son chiffre d’affaires hors taxes à chaque fois que cette dernière ouvrira un nouveau magasin ou en agrandira un ancien. Ce pourcentage est fixé par le distributeur et calculé sur la base du dernier chiffre d’affaires réalisé.
2,5 à 3% du CA pour les remises de fin d’année
Les promotions sont une autre paire de manches. En effet, à l’occasion de certains évènements comme la rentrée scolaire, les fêtes religieuses, la fin d’année…, les fournisseurs sont sollicités pour procéder à d’autres remises. «Seules les remises de fin d’année vont de 2,5 à 3% du chiffre d’affaires annuel», ajoute un opérateur. Ce dernier confirme que les industriels paient également 3 à 4 fois par an le prix de l’insertion de leurs produits dans les dépliants. «Pourtant personne ne demande d’y figurer», proteste-t-il.
Enfin, il y a le prix de la location des têtes de gondole qui devient de plus en plus élevé. En effet, pour une durée de 10 jours, le fournisseur doit débourser 5 000 DH pour chaque magasin. La facture détaillée est envoyée en fin d’année aux directions financières des industriels. Car il faut savoir que ce sont les fournisseurs qui doivent payer en premier. Le paiement doit se faire également par un chèque à encaisser à la date de réception. Si le fournisseur manifeste la moindre désapprobation, il risque de voir, en guise de sanction, son paiement bloqué.
En retour, les enseignes règlent avec une lettre de crédit sur 90 jours. En somme, à ce rythme, «d’ici quelques années la grande partie des industriels marocains ne pourra plus commercialiser ses produits dans la grande distribution. Car aujourd’hui même, il y en a qui vendent une partie de leur production au noir pour pouvoir compenser les pertes accusées sur ce circuit», avance un opérateur.
Les distributeurs continueront à augmenter les marges
Du côté de la grande distribution, les contre-arguments ne manquent pas. «Les industriels ne sont pas obligés d’accepter ces conditions, d’autant plus que le circuit de la distribution moderne ne contrôle que 15% des parts de marché», déclare un patron de la grande distribution. Selon lui, si les distributeurs resserrent les négociations, c’est par ce qu’ils connaissent le taux de marge réalisé par chacun des industriels avec qui ils travaillent. Actuellement, «les marges des industries, toutes tailles confondues, varient de 50 à 200%. En parallèle, la marge arrière et avant du circuit de la distribution moderne va de 20 à 25%. Donc, il leur reste entre 30 et 175% de marge nette», argumente-t-il. En effet, les enseignes estiment que les marges imposées actuellement leur permettent à peine de couvrir leurs charges. Il est expliqué que 10 à 12% des marges permettent de couvrir le coût de la distribution directe ; cela, sans compter les couts des investissements évalués en moyenne à 150 MDH par magasin. Selon ce professionnel, «les enseignes de la grande distribution ne sont pas en position de force. Le jour où on arrivera à contrôler 45% de la distribution, c’est à ce moment-là que les industriels accepteront de négocier avec nous d’une façon professionnelle. D’ici là, nous continuerons à augmenter les marges».
