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Affaires

Filière farine de blé tendre, enfin la réforme

Le projet de réforme mis au point par l’Agriculture et le département des Affaires économiques a reçu le soutien des minotiers.
Démarrage prévu le 1er juillet 2004, trois phases instaurées.
Un forfait à l’écrasement remplacera les quotas.
L’agriculteur continuera à être protégé.

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rub 514

La réforme de la filière de la farine nationale de blé tendre (FNBT) – le blé dur étant libéralisé depuis 1988 – devrait bientôt voir le jour. Un projet dans ce sens a été préparé par les ministères de l’Agriculture et des Affaires économiques générales, en concertation avec les professionnels du secteur meunier.
Bâti autour des trois préoccupations majeures que sont le soutien à l’agriculteur, la protection du pouvoir d’achat des consommateurs et la suppression du système des quotas qui pénalise les sociétés meunières organisées, le projet a obtenu l’adhésion des minotiers qui saluent l’esprit de cette réforme, tout en demandant la mise en place d’un certain nombre de mesures d’accompagnement de nature à garantir sa réussite.
Si le projet est agréé par les instances appelées à l’examiner, son entrée en vigueur devrait intervenir le 1er juillet 2004.

Toute la production nationale sera concernée, contre 12 millions de quintaux actuellement

Inscrit dans la perspective de libéralisation totale des prix des farines, prévue pour le 1er juillet 2006 (en vertu de la loi sur les prix et la concurrence), le projet de réforme de la filière de la FNBT revêt à cet égard un caractère transitoire. Durant cette période de 24 mois (1er juillet 2004 – 1er juillet 2006), le projet de réforme prévoit de passer d’une politique de soutien du prix de la FNBT à une politique de soutien direct des écrasements du blé tendre.
D’aucuns peuvent s’interroger sur la différence entre ceci et cela ? Il faut savoir qu’aujourd’hui la subvention de l’Etat accordée à la FNBT, et qui s’élève à près de 2 milliards de dirhams par an, sur la base d’un volume de 12 millions de quintaux de blé tendre, est répartie sur les minotiers en fonction du quota attribué à chacun. La réforme, elle, vise à abandonner le système des quotas (source de difficultés de toute nature), tout en maintenant la protection de l’agriculteur et du consommateur. Comment ? En soutenant directement les écrasements de blé tendre, sur la base non plus de 12 millions mais de 33 millions de quintaux, soit la quasi-totalité de la production nationale de cette catégorie de blé. Le montant de cette subvention des écrasements, appelée désormais forfait, n’est certes pas encore arrêté, mais, dans tous les cas, il devra correspondre au prix cible, qui est de 260 dirhams le quintal.
Pour dire les choses plus simplement, l’Etat continuera pendant cette période transitoire de débourser les 2 milliards de dirhams de subvention, mais comme il s’agira de soutenir 33 millions et non plus 12 millions de quintaux de blé tendre, forcément, la subvention (ou le forfait) ne sera plus, comme aujourd’hui, de 143 dirhams le quintal, mais de beaucoup moins. De combien ? Les professionnels s’interrogent encore là-dessus, de même qu’ils s’interrogent sur nombre d’autres points de la réforme qui restent à éclaircir (voir encadré).
Quoi qu’il en soit, cette réforme devra passer par trois phases. La première phase, qui s’étalera du 1er juillet 2004 au 30 juin 2005, sera marquée par l’octroi d’un forfait pour les écrasements de blé tendre, dans le but évident de maintenir le niveau actuel des prix des farines dites de base (FNBT et farine de luxe). Le projet précise que, durant cette période, un traitement spécial sera réservé aux régions excentrées (c’est-à-dire situées loin des ports d’approvisionnement et ne disposant pas de production locale), à travers le maintien d’une quantité de farines subventionnées afin de couvrir les besoins de ces régions.
La deuxième phase, qui va du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006, verra, elle, la réduction de moitié du forfait de soutien aux écrasements, avec la possibilité de répercuter cette baisse sur les prix des farines.

Agriculteurs : des aides au lieu d’un soutien financier

Cette phase, on le voit, prépare la suivante, celle de la libération totale des prix des farines qui interviendra à partir du 1er juillet 2006. Mais l’agriculteur, comme le précise le projet, ne sera pas abandonné. A l’instar de ce qui se passe un peu partout, en particulier aux Etats-Unis, la production nationale continuera d’être soutenue. Mais au lieu d’un soutien financier, il est prévu d’apporter une aide qualifiée de «directe» à l’agriculteur, et celle-ci peut prendre plusieurs formes : aide à l’investissement ou aux intrants, construction d’infrastructures routières, sanitaires, électriques, etc.
Patron des Moulins du Maghreb, Chakib Alj estime que cette réforme est bonne. «Elle se déroule par étapes, ce qui est une façon intelligente de ne pas brusquer les mentalités; elle élimine le système des quotas qui est un non-sens économique et donc source de toutes sortes de dysfonctionnements ; elle protège l’agriculteur et préserve le pouvoir d’achat des consommateurs ; enfin, elle fixe un échéancier au terme duquel la filière sera totalement libéralisée. En somme, cette réforme offre désormais de la visibilité aux opérateurs du secteur, ce que nous n’avons cessé de réclamer depuis longtemps», résume M. Alj.
Il faut dire que les pouvoirs publics n’ont plus vraiment le choix : la gestion administrative de cette filière de la FNBT a montré ses limites et ce constat est fait y compris par l’administration elle-même. D’une part, il n’a jamais été démontré que les populations visées par cette politique de subvention en ont réellement profité. Souvent, des commerçants procèdent à des péréquations de prix entre les différents types de produits, et le nombre d’infractions sur la qualité constatées par les services de répression de la fraude en témoigne.

40 moulins en redressement judiciaire

Par ailleurs, l’enquête sur le niveau de vie des ménages réalisée en 1998/99 par la Direction de la statistique avait démontré que la FNBT est consommée aussi bien par les pauvres que par les riches, d’où la difficulté de mettre en place un système de subvention ciblée. Selon les données de cette même enquête, seulement un quart de la subvention bénéficie aux couches les plus pauvres.
«Même si sa suppression risque d’affecter durement les populations les plus vulnérables, la subvention de ce produit ne joue en rien dans la lutte contre la pauvreté», constate un responsable d’ONG. Face à ce paradoxe, celui-ci appelle à méditer l’adage chinois selon lequel (en substance), au lieu de donner un poisson à celui qui a faim, il vaut infiniment mieux lui apprendre à pêcher.
D’autre part, le système des quotas mis en place, et qui est une conséquence de la subvention de la FNBT, a créé dans le secteur meunier des réflexes de rentiers qui bloquent tout effort de modernisation et pénalisent ceux parmi les professionnels qui ont misé sur la créativité, l’innovation en vue d’affronter, demain, la concurrence (découlant des accords de libre-échange signés par le Maroc) dans des conditions optimales. «Il suffit de voir le nombre de moulins à l’arrêt ou en redressement judiciaire pour se rendre compte des dégâts causés par le système de subvention et des quotas», déclare un opérateur. Selon l’Association des minotiers de la région centre, quarante moulins sont en effet en redressement judiciaire. C’est évidemment beaucoup, en comparaison du nombre total de moulins (120 environ)

A partir de juillet 2006, date de la libéralisation totale de la filière farine de blé tendre, le consommateur aura un choix diversifié et, qui sait, peut-être une baisse des prix comme cela s’est produit pour l’huile.

La réforme sera bonne selon les professionnels car elle se déroulerait par étapes et ne brusquerait donc pas les mentalités ; elle éliminerait le système des quotas, nnon-sens économique ; elle protègerait l’agriculteur et préserverait le pouvoir d’achat des consommateurs ; enfin, elle fixerait un échéancier pour la libéralisation otale de la filière.

Les interrogations des minotiers
C’est avec soulagement que la profession meunière a accueilli le projet de réforme de la filière de la FNBT. Toutefois, selon elle, quelques points restent obscurs :
– Le forfait à l’écrasement sera-t-il ouvert ou restreint ?
– Le prix de cession du blé sera-t-il rendu moulin pour pouvoir respecter l’uniformité des prix à l’échelle nationale, ou alors départ magasin ?
– Quel sort sera réservé aux stocks de blés détenus par les moulins et acquis à un prix supérieur aux prix de référence ?
– A qui incombera la gestion de la restitution du forfait à l’écrasement ?
– Quel sera le délai de paiement de la restitution ?
– Comment éviter la course aux écrasements et les tentations de fraude ?

Minotier, agriculteur, consommateur, quel impact ?
Telle qu’elle est envisagée et nonobstant les modifications qui pourraient lui être apportées, la réforme de la filière de la FNBT aura comme impact :
Sur l’agriculteur : sa situation ne changera pas, du moins jusqu’au 1er juillet 2006 ; grâce au forfait à l’écrasement, l’Etat lui garantit un prix rémunérateur pour son blé et, mieux que cela, lui assure l’écoulement de la quasi-totalité de sa production. Au-delà de 2006, le fellah continuera à être aidé mais probablement par d’autres moyens que la subvention ;
Sur le consommateur : entre juillet 2004 et juillet 2005, il achètera son pain au même prix qu’aujourd’hui. De juillet 2005 à juillet 2006, il est possible que, du fait de l’abaissement du montant du forfait à l’écrasement, les prix subissent une légère hausse.
A partir de juillet 2006, date de la libéralisation totale de la filière, les prix seront déterminés par le jeu de la concurrence, ce qui ne signifie pas forcément leur augmentation. Une chose est certaine : le consommateur aura un choix diversifié et, qui sait, une baisse des prix comme cela s’est produit pour l’huile.
Sur le minotier : il se débarrassera de la camisole de force qu’est le système des quotas et, par conséquent, pourra se déployer librement. La concurrence qui résultera de la réforme, après son aboutissement, l’obligera à chercher les moyens de sa compétitivité, laquelle passe, entre autres, par la modernisation de l’outil de travail (donc l’investissement) et la diversification des produits