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Escargot : Une culture qui prend son temps pour avancer
L’héliciculture vaut de l’or ! Pourtant elle n’a pas encore réussi à retenir l’intérêt de l’État. Le ramassage reste anarchique et l’élevage est toujours embryonnaire.

La culture d’escargots ou encore l’héliciculture n’a toujours pas retenu l’attention des pouvoirs publics, pour en faire une filière à part entière avec sa propre stratégie et son propre contrat-programme. Pourtant, cette culture vaut de l’or. Malgré l’absence de statistiques officielles, les acteurs de ce secteur estiment que le Maroc est le premier producteur d’escargots en Afrique du Nord et premier exportateur vers l’Europe. En effet, «la production se chiffre à quelque 15.000 tonnes d’escargots de type Morguette», évalue Nadia Babrahim, présidente de la Fédération nationale de l’héliciculture (FIH), Fédération organisée certes, mais pas encore reconnue par l’état. Sauf que ce volume est juste récolté dans la nature, à son état sauvage. «De façon périodique et en fonction des conditions climatiques des régions, des ramasseurs procèdent à la collecte des escargots dans tout le pays. Ils sont triés par la suite en écartant les morts, les brisés de la coquille et les vides, et conduits aux 15 unités de conditionnement, autorisées par l’ONSSA. Ils ne demeurent pas longtemps au pays, puisque les meilleurs sont exportés», explique Karim Aouragh, éleveur et spécialiste en héliciculture. C’est ce ramassage qui représente le talon d’Achille de la profession. Il se fait de manière aléatoire, sans respect du repos biologique de cette mollusque, ni de son besoin d’accouplement, encore moins de ses périodes d’hibernation ou d’estivation. «Il faut savoir que l’escargot passe les trois quarts de sa vie dans sa coquille, en raison de son incapacité physiologique à s’adapter aux changements de température, qu’ils soient à la hausse ou à la baisse», signale Aouragh. Au moment où il «renaît de ses cendres» pour répondre à l’ensemble de ses besoins naturels, il est donc ramassé pour poursuivre son chemin vers l’exportation, entraînant ainsi une rupture dans son processus de développement et de reproduction.
Une centaine de parcs pour produire 100 tonnes
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les experts du secteur notent une régression de la disponibilité des escargots lors des ramassages. L’autre raison, elle, tient à l’utilisation des pesticides dans les plantes et exploitations de cultures diverses, qui sont néfastes à ces limaçons.
Si dans cette culture c’est le ramassage à l’état sauvage qui prévaut, l’élevage, lui, prend une part très minime et concerne le type «Helix Aspersa», originaire d’Afrique du Nord, qui est très demandé pour ses qualités gustatives, la quantité de sa chair et aussi la qualité des produits qui en sont extraits. «Une centaine de parcs d’élevage sont dénombrés au Maroc. Ils devraient permettre, tous réunis, la production d’à peine 100 tonnes vers la fin de 2023. Cela dit, la production devrait avoisiner les 400 tonnes lorsque l’exploitation des parcs aura atteint son plein potentiel», estime Babrahim. De son côté, notre héliciculteur indique que seulement 10 à 12 exploitations au Maroc sont opérationnelles et fonctionnent dans les règles de l’art, équipées avec des installations spécialement conçues pour éviter la fuite des escargots, des chambres de reproduction éventuellement, en fonction du choix de la méthode d’élevage, avec température et humidité idéales pour éviter leur recroquevillement. Autrement dit, le pays ne produit pas encore cette espèce. Il est au stade d’améliorer la reproduction des escargots et de pousser leur multiplication, sachant que «cet hermaphrodite a un cycle biologique de 6 mois et qu’il a donc la possibilité de réaliser deux cycles de production par an, à raison d’une fourchette variant entre 60 et 120 œufs par cycle», ajoute Aouragh.
Compte tenu du démarrage de cette activité d’élevage, le Maroc importe des escargots sous deux formes : soit pour démarrer les cycles d’élevage ou en conserves pour les hôtels et restaurants. Et puisque la production en est à ses balbutiements, la valorisation, elle, se fait généralement à travers des coopératives de femmes en milieu rural qui font de la conserverie et de la valorisation cosmétique. Il est grand temps de tirer profit du potentiel de cet escargot, toujours pas apprécié à sa juste valeur.
Le prix de la bave peut aller jusqu’à 2.800 DH le kilo
D’ailleurs, le prix de l’escargot transformé ne cesse de monter crescendo, vu la croissance de la demande mondiale tant pour l’usage alimentaire, cosmétique ou même médical du mollusque. Actuellement, le mucus se vend entre 300 et 500 dirhams le litre. Traité, il peut atteindre jusqu’à 2.800DH. Le prix de son caviar a de quoi faire envier le Béluga, en s’établissant entre 16.000 et 20.000 DH/kg. Aussi, la conserve se négocie-t-elle dans les 150 DH la boîte de 500 grammes.
Pour souligner l’intérêt de cette culture, Aouragh illustre que plusieurs utilisations peuvent être faites d’un seul escargot : d’abord en extrayant le caviar, puis la bave, ensuite dans la cuisson et la valorisation dans différentes sauces, par exemple, et enfin, en utilisant la coquille comme gommage ou dentifrice après écrasement. En plus, l’héliciculture reste un élevage biologique, qui ne nécessite pas de produits chimiques et ne consomme pas beaucoup d’eau. Bref, une culture qui devrait avoir toute sa place dans la stratégie Génération Green.
Une académie pour dispenser des formations
Bien que le secteur soit encore désorganisé, avec une part prépondérante de l’informel, la FIH a créé l’Académie internationale de l’héliciculture de Marrakech en 2019, en vue de proposer des formations aux héliciculteurs dans le cadre d’un contrat d’accompagnement et de rachat garanti de la production, conditionné par le respect des normes de qualité par l’éleveur. Plus de 100 personnes ont déjà profité de cette formation à la fois théorique et pratique. Les clients et partenaires de l’Académie sont essentiellement des coopératives et des investisseurs qui peuvent être soit des start-up, soit des sociétés, soit des agriculteurs indépendants.
