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En pleine crise du multilatéralisme, l’OMC veut se réinventer

La prochaine conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce, prévue à Abu Dhabi en février 2024, devra être celle de l’accélération des réformes de cette instance multilatérale. Objectif : préserver le système commercial multilatéral, menacé d’implosion.

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Dans un monde de plus en plus fragmenté où le multilatéralisme, né il y a plus de 75 ans sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, est sérieusement remis en cause, et dans un contexte d’affrontement commercial de moins en moins feutré entre les puissances américaine et chinoise, le rôle de l’OMC est plus que jamais challengé.
L’organisation basée à Genève est pour ainsi dire à un moment charnière de son histoire, près de 20 ans après les Accords de Marrakech, qui ont signé son acte de naissance et établi les règles régissant le commerce mondial telles que nous les connaissons aujourd’hui. Des règles battues en brèche, dans un environnement de tensions géopolitiques croissantes et de montée des protectionnismes, qui font peser la menace d’un commerce davantage fragmenté. Une menace exacerbée, par ailleurs, par la crise sanitaire qui a mis à rude épreuve les chaînes de valeur mondiales.

«Re-mondialiser» et réformer
Face à ces défis quasi existentiels, l’OMC brandit un concept pour redéfinir le commerce mondial de demain : celui de « re-mondialisation », par opposition à la « dé-mondialisation » qui aurait, selon l’OMC, des conséquences fâcheuses. Selon des données présentées par l’organisation multilatérale dans son tout dernier rapport, la fragmentation du commerce mondial, en deux blocs distincts, autonomes l’un de l’autre, pourrait coûter cher. «Nous avons attiré l’attention sur le fait qu’il s’agit d’une dangereuse pente, qui occasionnerait une perte du revenu mondial d’environ 5%, soit l’équivalent du PIB du Japon», alerte Saïd El Hachimi, responsable des partenariats à l’OMC, en marge d’un workshop avec les médias arabes, organisé à Dubaï. Un dangereux retour en arrière qui impacterait d’abord les pays les moins développés. Sans parler des conséquences sur la sécurité mondiale, le commerce étant un facteur de paix et de stabilité.
Raison pour laquelle l’OMC, sous l’impulsion de sa directrice générale, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala (première femme et première Africaine nommée à la tête de l’organisation, en 2021), veut faire de la treizième conférence ministérielle qui se tiendra à Abu Dhabi, en février 2024 (il s’agit de la plus haute instance décisionnelle de l’Organisation qui réunit tous les deux ans les ministres du Commerce des 164 États membres, ndlr), un point d’inflexion majeur, pour relever les défis.
Parmi ces défis, on trouve la négociation de nouveaux accords, notamment dans les domaines du e-commerce et de la sécurité alimentaire (voir encadré), mais aussi la réforme de l’OMC, de son mode de fonctionnement et de ses structures. «La réforme de l’OMC est un dossier monstre. C’est un ‘Christmas tree’, comme disent les Anglais, où chaque membre a sa propre liste de réformes», souligne d’emblée Saïd El Hachimi. Mais la nouveauté c’est que lors de la dernière conférence ministérielle, tenue à Genève en 2022, les membres de l’OMC sont parvenus à une déclaration commune à ce sujet. «C’est une première», se félicite notre expert. Selon lui, le processus réformateur va prendre du temps, mais la conférence d’Abu Dhabi devra permettre de poser les bases de réforme de certains dossiers prioritaires, comme celui du règlement des différends, et surtout de son organe d’appel qui est bloqué depuis… 2017.

Débloquer l’organe d’appel
La question du blocage de l’organe d’appel de l’OMC est symptomatique de la crise du multilatéralisme. En 2017 donc, ce mécanisme avait été remis en cause par l’Administration Trump, lui reprochant sa « trop grande portée judiciaire », occasionnant une paralysie de la nomination des juges qui y siègent et qui sont chargés d’examiner en appel les différends commerciaux entre États. Ces juges sont nommés à l’unanimité, ce qui a permis aux États-Unis de bloquer les trois derniers renouvellements de sièges. L’un des enjeux de la conférence d’Abu Dhabi sera justement de remédier aux dysfonctionnements de cet organe, afin de le réactiver. «Nous avons une deadline pour parvenir à une solution avant la fin de 2024. Le système de règlement des différends à une valeur systémique. Nous avons des règles commerciales négociées, mais il faut un gendarme qui puisse garantir que les règles sont appliquées et respectées. Si ce mécanisme ne fonctionne plus, c’est tout le système qui est en danger», indique Saïd El Hachimi. L’autre réforme majeure sur la table de l’OMC est en lien avec le statut de pays «en développement» de certains membres. Il faut savoir qu’à l’OMC, ce statut résulte d’une «auto-déclaration». En effet, est reconnu «en développement» le membre qui s’estime comme tel, en l’absence de critère précis. C’est le cas de géants économiques comme la Chine, le Brésil ou le Mexique par exemple, qui côtoient dans ce groupe de minuscules économies insulaires. Des voix s’élèvent, notamment aux USA et en Europe, pour qu’il y ait une véritable différenciation, mais le groupe des pays en développement, qui constituent une véritable force au sein de l’OMC, ne l’entendent pas de cette oreille. L’intérêt de ce statut est qu’il donne, pour schématiser, plus de flexibilités pour l’implémentation de certaines décisions. Ce que l’OMC appelle le traitement spécial et différencié (TSD). L’OMC octroie en effet non seulement un traitement spécifique aux 46 pays les moins avancés (PMA), mais aussi un traitement préférentiel à l’ensemble des pays en développement. Concrètement, ces derniers peuvent généralement bénéficier de plus de temps que les pays développés pour mettre en œuvre les accords de libéralisation. La définition de nouveaux critères de différenciation sera l’un des enjeux de la ministérielle d’Abu Dhabi, avec l’objectif de parvenir à un consensus. Car oui, à l’OMC, c’est la règle du consensus entre les 164 membres qui prime. Une règle que plusieurs membres appellent, d’ailleurs, à réformer elle aussi.


E-commerce, agriculture, investissements : Les sujets sur la table
Une des priorités de la 13e Conférence ministérielle est de parvenir à un accord sur le commerce électronique, un autre sujet clivant. «Ce que nous avons actuellement à l’OMC, c’est une sorte de gentlemen agreement sur les transactions électroniques (moratoire de l’OMC sur les droits de douane sur les virements électroniques, ndlr), qui doit se renouveler à chaque conférence ministérielle, et par lequel les membres de l’OMC s’engagent à ne pas prélever de taxes sur les transactions électroniques. Si aucune décision n’est prise à Abu Dhabi, cet accord peut sauter, ce qui pourrait induire un coût beaucoup plus élevé sur les transactions électroniques», résume Saïd El Hachimi. Un accord crucial est également attendu dans le domaine de la sécurité alimentaire, pour stabiliser l’accès de tous les membres de l’organisation aux graines, en particulier les céréales. «C’est un problème qui était déjà là, mais qui s’est exacerbé avec le conflit en Ukraine».
Un accord entre les 164 membres sur les meilleures pratiques en matière d’investissement est aussi sur la table de la Conférence ministérielle d’Abu Dahbi. Il est attendu qu’il facilite grandement le flux des investissements dans le monde.