Affaires
Développement urbain : l’essoufflement du modèle actuel se fait déjà sentir
• Le contexte évolutif exige un changement de paradigmes.
• La politique d’urbanisation n’est économiquement pas rentable.
• Parmi les propositions exprimées, la refonte des documents d’urbanisme, la rupture avec la politique de zonage, de faire des dérogations un outil d’incitation à l’investissement d’intégrer la numérisation dans la gestion urbaine.

Le modèle de développement urbain et territorial qu’a suivi le Maroc jusqu’ici montre plusieurs signes d’essoufflement. La politique adoptée ne répond que peu aux exigences d’un contexte sans cesse en évolution. Plusieurs raisons plaident pour un changement global du modèle suivi, dont l’urbanisation croissante, exacerbée par l’exode rural, l’augmentation de l’habitat insalubre ou anarchique, la métropolisation des villes…, et à tout cela s’ajoutent les contraintes vécues par le citoyen et découlant de la vie au quotidien, en terme de sécurité, de mobilité, de disponibilité d’équipements sociaux. «Le pays fonctionne avec 3 modes d’urbanisme. Le 1er est planifié et découle des textes réglementaires, le second est improvisé et se rapporte essentiellement aux dérogations et le dernier est spontané», a souligné Abdelghani Abouhani, urbaniste, lors d’une conférence sur le développement urbain et territorial au Maroc, organisé par Al Omrane. Il se trouve que cette politique d’urbanisation n’est pas rentable pour l’Etat. Tout l’enjeu se présente dans ce dernier point justement.
Abderrahmane Chorfi, architecte et urbaniste, lui, estime que l’urbanisation n’est plus adaptée pour plusieurs raisons : «Le système en soi est lent et obsolète (ndlr : plusieurs années entre la publication du schéma national de planification urbaine, du schéma régional, du schéma directeur et des plans d’aménagement), les termes de référence sont pléthoriques dans le sens ou 90% des informations sont inutiles, les phases de concertation sont interminables et les PA modificatifs sont nombreux». Si on ne cite que la ville de Rabat par exemple, de son plan d’aménagement ont découlé 20 autres modificatifs. C’est dire que la planification urbaine au Maroc ne donne plus des résultats, alors que son utilité même réside dans «la lutte contre les inégalités sociales et économiques, la réduction de l’exode rural, et la préparation du foncier pour les opérateurs privés», estime Taoufik Kamil, président de la FNPI. Il ajoute: «Il est clair que le Maroc n’a pas réussi sa politique de planification urbaine et territoriale et, pire encore, il n’a pas tiré des leçons de ses expériences passées. Il est certes des exemples de réussite, à l’instar de Casa Anfa mais d’autres se révèlent être des échecs, tout comme le quartier Er-Rahma ou la ville périphérique Bouskoura».
Maintenant que le cadre est dessiné, des défis sont à relever, d’ordre institutionnel, réglementaire, de gouvernance et autres… Abdellatif Ennahli, secrétaire général chargé du département de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire au ministère de l’habitat et de l’urbanisme, souligne de son côté que l’aménagement territorial nécessite des réformes institutionnelles, ainsi que la transformation de l’Etat d’un planificateur à un Etat qui oriente les politiques publiques en matière d’aménagement des territoires. A son sens, 3 défis sont à prendre en compte. Il s’agit de «la métropolisation qui entraîne de nouveaux enjeux, surtout que 8 villes du pays abritent plus d’un million d’habitants. La gestion des villes est tout aussi importante et pas qu’avec des documents de régulation. Le dernier point est lié à la population rurale qui constitue 40% de la population marocaine et qui représente une composante importante pour un développement territorial équilibré». Empruntant cette vague, M. Abouhani complète : «L’effort de réflexion doit porter sur un urbanisme de stratégie, de vision et de projets au lieu d’un urbanisme des outils».
Nombre de propositions ont été émises dans ce cadre, dont la nécessité de nationaliser les normes et régionaliser les outils dans la mesure où il faudra arrêter le processus d’élaboration des outils au niveau des régions. Il est d’urgence également de revoir le modèle d’urbanisation consistant à étaler les villes, car cette extension implique un centre-ville qui se désemplit et des périphéries qui se sur-peuplent. Ce qui grève aussi bien le budget des ménages que des collectivités territoriales. D’ailleurs, l’Etat a dépensé 140 milliards de DH dans la mise à niveau urbaine, appelé, «rattrapage ou cosmétique urbaine». Cette question d’extension urbaine en a interpellé plus d’un. Selon M.Ennahli, «elle est réalisée par les lotissements et donc l’auto-construction, et les groupements d’habitation. Il faudra couper avec ce modèle opératoire d’aujourd’hui qui laisse penser que le modèle de réussite du citoyen est la construction d’une maison R+2».
Or, l’extension urbaine, coûteuse et génératrice de contraintes plutôt que de richesse n’est pas forcément la solution. M.Ennahli insiste sur l’obligation de mener un travail de fond sur la rénovation de la planification urbaine qui requiert l’aménagement foncier. Il faudra, de toute évidence, revoir les documents d’urbanisme qui datent de 1912 et dont la rigidité n’est plus à prouver et mettre en œuvre des documents qui englobent 3 aspects dont le développement, les grandes orientations et la gestion urbaine. A côté de cela, il est une obligation de séparer les grandes zones fonctionnelles des autres et de rompre avec cette politique de zonage. De leur côté, les dérogations devraient avoir comme vocation l’incitation à l’investissement. La concertation est également fondamentale avec l’ensemble des opérateurs, qu’ils soient privés ou institutionnels. Ces derniers, d’ailleurs, doivent disposer d’un nouveau repositionnement et s’ouvrir à de nouveaux métiers. Enfin, il est primordial d’intégrer l’aspect lié à la digitalisation et à la numérisation dans la gestion urbaine, en vue de privilégier la transparence, l’accès à l’information et la transparence.
Al Omrane : 50 zones et pôles urbains et 4 villes nouvelles développés
Le groupe Al Omrane, depuis sa création a confirmé sa vocation d’aménageur, accompagnant la politique de développement des villes nouvelles et des grands projets urbains intégrés. Selon Badr Kanouni, président du directoire du groupe Al Omrane, «le groupe, en tant qu’aménageur s’inscrit en convergence avec la politique de l’Etat. Avec 50 zones et pôles urbains et 4 villes nouvelles développés, le pays a besoin de ces extensions territoriales». Pour confirmer cet avis, M.Ennahli ajoute que la politique des villes nouvelles est régalienne et donc nécessaire. En Corée du Sud par exemple, le 2e moteur de croissance dans ce pays est présenté par l’ensemble des villes nouvelles qui ont été créées. Il faut savoir que «le groupe répond aux orientations stratégiques de l’Etat. Mais la déclinaison s’effectue avec les opérateurs». Comme tout n’est pas parfait, des problèmes continuent de persister, liés notamment à la connectivité, aux infrastructures, aux équipements scolaires et de santé… Des contraintes que les opérateurs publics, privés et institutionnels prennent à bras-le-corps et essayent tant bien que mal de régler. Il n’en demeure pas moins que ces villes continuent à accueillir des personnes, que certaines d’entre elles notamment ont développé des pôles économiques et industriels créateurs d’emplois et de valeur ajoutée et surtout aussi que ce sont des villes toujours jeunes et qui disposent d’un potentiel de développement élevé. A côté de cela, «le groupe est actif dans la résorption de l’habitat insalubre et dans la restructuration de quartiers. Pour rappel, ce sont 1,5 million de bidonvilles résorbés et 5 millions de familles qui ont profité de la restructuration», conclut M.Kanouni.
