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Affaires

CNSS : 4.7 millions de travailleurs non déclarés !

Hormis les aides familiales, la population active occupée travaillant dans le privé est de 7.2 millions de personnes. Les déclarations à  la CNSS ont augmenté de 10,4% en 2011 mais une bonne partie n’est pas déclarée toute l’année. La plupart des indépendants ne se déclarent pas, ni leurs salariés.

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Securite sociale BTP CNSS 2012 03 06

L’activité économique privée entre progressivement dans le secteur organisé, mais il reste encore du chemin, et même un très long chemin, à faire sur ce registre et particulièrement dans le registre de la couverture sociale pour les salariés. La bonne nouvelle vient des chiffres de la CNSS au titre de 2011 qui indiquent que le nombre de salariés déclarés a atteint au terme de cet exercice 2,54 millions de personnes. C’est une progression de 10,4% par rapport à 2010, et de 61% par rapport à 2005. La mauvaise nouvelle ? Elle est en rapport avec ce que l’on entend par salarié, car la structure de ces salariés déclarés laisse voir qu’une bonne partie d’entre eux (quasiment la moitié) ne totalise pas 12 mois de déclaration ; cette situation étant liée soit à la saisonnalité de l’activité exercée, soit à la baisse des commandes, soit tout simplement au non-respect de la réglementation.
Mais quoi qu’il en soit, 2,54 millions de salariés déclarés est en soi un acquis par rapport à la situation antérieure ; et cependant, la marge est encore grande pour aller au delà. Il suffit de rappeler à cet égard que la population active occupée au Maroc compte 10,5 millions de personnes. En mettant de côté un peu plus de 1 million de personnes exerçant dans la fonction publique et le secteur public (établissements et entreprises publics) et en soustrayant du reste les déclarés, il reste 7 millions qui sont pour ainsi dire dans la nature ! C’est autant de cotisations en moins pour les systèmes sociaux du pays (caisses de retraite, organismes de couverture sanitaire, etc.). A cette précision près, et elle est de taille, que 40% de la population active occupée totale (soit plus de 4 millions de personnes) travaille dans le secteur agricole. Et parmi ces travailleurs, il y a ceux que le HCP appelle les «aides familiales» qui représentent, mine de rien, plus de 22% de la population active occupée du pays, soit quelque 2,3 millions de personnes. Ceux-là, c’est sûr, ne peuvent apparaître nulle part, puisqu’ils effectuent un travail non rémunéré.

Textile : 2 700 entreprises avec un effectif moyen inférieur à 100 personnes ?

Mais quid du reste ? Un peu moins de cinq millions manquent…à l’appel ! Qui sont-ils ? Les indépendants ? A eux seuls, ceux-ci représentent près de 28% de la population active occupée, soit près de 3 millions de personnes. Si les déclarés à la CNSS n’étaient que des indépendants, leur nombre serait donc de 3 millions, soit bien plus que le nombre actuel de déclarés !
C’est clair, même en ne tenant pas compte des «aides familiales», il y a quand même 4,7 millions de personnes hors circuit. Le constat le plus le proche de la réalité serait même de dire que l’essentiel des travailleurs n’apparaît pas sur les tablettes de la CNSS. Ceci en raison tout à la fois du phénomène de sous-déclaration, de la  non-déclaration tout court, et de la nature de l’activité de certaines catégories de travailleurs considérées statistiquement comme des actifs (cas de vendeurs de cigarettes au détail, par exemple), nonobstant le caractère précaire de leur activité.
En effet, en confrontant les statistiques de la CNSS à celles du HCP sur l’emploi, on se rend bien compte de l’énorme décalage qui existe entre les deux. A titre d’exemple, le BTP, selon le producteur officiel de statistiques, emploie 9,7% de la population active occupée du pays, soit un peu plus de 1 million de personnes. Au même moment, les déclarés à la CNSS relevant de ce secteur ne sont que 406 000. Idem dans le commerce : 1,4 million de personnes y travaillent, mais seulement 381 000 sont déclarées. Et ce constat est valable pour tous les secteurs d’activité.
Le même constat peut être fait à propos cette fois des entreprises affilées à la CNSS. Sur plus de 130 000 entreprises affiliées (le chiffre n’est pas définitivement arrêté), 28% opèrent dans le commerce, soit moins de 40 000 unités. Or, les statistiques du ministère du commerce et de l’industrie indiquent qu’il existe plus de 700 000 petits commerces (surface inférieure ou égale à 200 m2) uniquement en zone urbaine, et 4 430 grands commerces (surface de vente supérieure à 200 m2). Pareil dans le textile : les entreprises affiliées de ce secteur représentent 2% de l’ensemble des affiliées, soit 2 700 unités. S’il n’y avait réellement que 2 700 entreprises de textile, cela voudrait dire que chacune emploie un peu plus de 94 personnes en moyenne, puisque les salariés déclarés du textile sont au nombre de 254 000 personnes. Or, la caractéristique principale des entreprises affiliées à la CNSS est qu’elles sont de petite taille : 96% d’entre elles emploient moins de 50 salariés ; 66% font travailler moins de 5 salariés…

Plus de 60% des entreprises affiliées sont dans le tertiaire

Finalement, l’activité organisée demeure encore limitée, en termes de déclaration à la fois des entreprises et des salariés. Le secteur informel reste donc assez «prospère», malgré les efforts que déploie la CNSS, en ce domaine ; tout comme le fisc, soit dit en passant, confronté lui aussi à une évasion fiscale qui fait peser la charge sur un nombre réduit d’entreprises organisées. Il faut rappeler ici que depuis la réforme du contrôle introduite en 2007 et entrée en vigueur en 2008, les missions d’inspection et de contrôle de la CNSS, tout en étant moins nombreuses que par le passé, sont devenues plus efficaces. En 2011, par exemple, 2 500 missions de contrôle ont été effectuées par les agents de la CNSS et ont permis de régulariser la situation de 70 852 salariés et de recouvrer des créances totalisant 520 millions de DH. La masse salariale régularisée a atteint, elle, 2,1 milliards de DH. Avant la réforme, une armée d’agents de contrôle et d’inspection effectuaient environ 40 000 missions en moyenne par an, pour des résultats inférieurs à ceux d’après la réforme. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire vu l’importance de l’activité informelle ou encore du phénomène de la sous-déclaration.
L’autre constat que l’on peut faire à partir des statistiques de la CNSS, c’est que la structure de l’économie n’évolue pas, ou alors de manière très marginale : elle reste dominée par les activités tertiaires (commerce, services, hôtellerie-restauration, transports et communications). Plus de 60% des entreprises affiliées à la CNSS appartiennent à ces secteurs. L’industrie manufacturière, le textile et le BTP,  qui relèvent du secteur secondaire, ne pesant que 28% en termes de nombre d’entreprises affiliées à la CNSS, tout en étant par ailleurs les trois gros secteurs employeurs avec 40% du total des salariés déclarés.
Au vu de ces données, la viabilité plus étendue de la CNSS (apparition du premier déficit en 2026 et épuisement des réserves en 2037) par rapport aux autres régimes de base semble tenir certes à un rapport démographique plus favorable (plus de 8 cotisants pour un retraité), mais aussi, en partie au moins, à la modicité des pensions servies, reflet, il est vrai, de la modicité des salaires perçus, ou en tout cas déclarés. Car, en effet, le salaire moyen mensuel déclaré à la CNSS est encore aux alentours de 4 500 DH, alors qu’il dépasse les 8 000 DH dans la fonction publique par exemple.