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Affaires

Chèques sans provision : la responsabilité des banques engagée

Près de 750 000 affaires de chèques enregistrées par les tribunaux correctionnels en 2016. Dans un arrêt phare, la Cour de cassation considère que l’information que doit fournir la banque à son client ne doit pas être générale mais porter précisément sur les chèques qu’elle s’apprête à rejeter. Bouclier de la personne morale : les juges mettent en cause n’importe quel dirigeant de la société avant de retrouver le mandataire.

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Cheques sans provision

Les affaires de chèques continuent de représenter une part importante de l’activité des tribunaux, correctionnels en particulier. Ces derniers ont enregistré près de 750 000 affaires en 2016. Si ce nombre est en légère hausse (moins de 5%) contrairement aux années précédentes, les juges ont par contre été très productifs en matière de jurisprudence en invoquant, dans plusieurs arrêts de principe, la responsabilité de la banque.

Dans une affaire phare traitée par la Cour de cassation, la banque informe son client que la position débitrice de son compte dépasse son autorisation de découvert et qu’à défaut de régularisation, toute nouvelle émission de chèque entraînera un incident de paiement et donc son interdiction bancaire. Le client ne tient pas compte de cet avertissement et, comme annoncé, la banque, sans nouvelle sommation, rejette deux nouveaux chèques émis sans provision. Mécontent, le client saisit le juge d’une demande de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son obligation d’information prévue par le Code de commerce : «Le banquier peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui, le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante».

Cette demande a été rejetée par le tribunal qui considère que la banque a correctement informé son client de la position débitrice de son compte et des conséquences en cas d’émission de chèque sans provision. Mais ce jugement a été cassé par la Cour de cassation qui estime, au contraire, que les dispositions du code de commerce n’ont pas été respectées par la banque. Selon la Haute juridiction, l’information que le banquier a légalement l’obligation de fournir à son client ne peut se contenter d’être générale, mais doit porter précisément sur le ou les chèques que la banque s’apprête à rejeter pour défaut de provision. «Cette interprétation stricte du texte est logique, même si elle peut surprendre au regard des faits dans cette affaire qui laissent à penser que le client a agi en pleine connaissance de cause», indique un magistrat du tribunal de commerce.

Possibilité de versement de dommages-intérêts aux émetteurs de chèques en bois !

En ce qui concerne la sanction de la banque, celle-ci s’expose vraisemblablement à verser des dommages-intérêts bien que l’arrêt ne donne aucune précision sur ce point. En effet, le respect de l’obligation d’information par la banque doit en réalité être apprécié en fonction du résultat : il suffit que ce résultat ne soit pas atteint pour entraîner une sanction, sans que le client ait à démontrer un préjudice et un lien de causalité. «Reste que le montant de l’indemnisation sera peu élevé car les juges auront à cœur d’assurer une certaine proportionnalité entre le manquement de la banque et le préjudice réellement subi», poursuit notre magistrat.

Les juges ont également pris soin de contrecarrer les fraudes via les sociétés fictives. Quand c’est une personne morale qui émet le chèque, la responsabilité pénale incombe au mandataire social dont le nom figure sur le modèle 7 de la société au registre du commerce. Le créancier doit dans ce cas s’adresser à un huissier de justice afin qu’il signifie le certificat de non-paiement au débiteur. Juridiquement, cette signification vaut injonction de payer. Donc on passe du pénal au civil, d’où la perte du caractère dissuasif de la loi. S’il n’y a pas de régularisation, le certificat de non-paiement émis par la banque devient alors un titre exécutoire permettant d’engager une procédure pénale. Entre-temps, l’on peut compter jusqu’à deux mois de procédure : assez pour que l’émetteur puisse disparaître dans la nature. Son créancier devra alors faire une plainte contre X dont la chance d’aboutir est plus que minime. La Cour d’appel de Casablanca a décidé de prendre au sérieux cette pratique et a livré trois arrêts, confirmés par la Chambre pénale de la Cour de cassation, qui ordonnent désormais «au juge correctionnel d’appeler en cause tout membre dirigeant de la société (ndlr : gérant pour les SARL, administrateurs, président ou DG pour la SA) au moment de la découverte de l’absence de provision, et ce, avant que l’huissier de justice n’en désigne le mandataire responsable de la signature».

[tabs][tab title = »La possibilité de régularisation reste ouverte« ]La jurisprudence du Tribunal correctionnel de Casablanca montre que la possibilité de régularisation demeure ouverte durant toute la durée de la procédure, et que dans la majorité écrasante des cas, le créancier lésé arrive à récupérer son dû avant l’application de toute peine pénale (en excluant la garde à vue, mesure préliminaire appliquée dans tous les cas). En fait, le délit d’émission d’un chèque sans provision suppose que soit rapportée la preuve de l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui. Or, ainsi que l’a rappelé encore tout récemment la Cour de cassation (septembre 2015), l’existence de cet élément intentionnel ne se déduit pas de la seule connaissance qu’avait l’émetteur de l’absence ou de l’insuffisance de la provision figurant sur son compte. «Dans plus de la moitié des cas, l’émetteur n’était même pas au fait de l’absence de provision. Le timing entre l’émission et l’encaissement du chèque est souvent déterminant puisque plus ce délai est long, plus le risque de chèque en bois s’élève», témoigne un magistrat du tribunal correctionnel de Casablanca.[/tab][/tabs]