Affaires
Ce que révèle la première enquête d’envergure sur l’épargne
Compte bloqué et livret d’épargne sont les produits les plus
prisés, bien qu’ils soient les moins rentables.
La famille et les amis restent la première source d’information pour
les épargnants.
Les épargnants sont plutôt jeunes et près de la moitié
a fait des études supérieures.

Quel est l’état de l’épargne au Maroc ? Qui épargne et quels sont les produits les plus prisés ? Quels obstacles rencontrent les épargnants et comment les dépasser ? Autant de questions auxquelles un rapport, commandité par la Société de Bourse des valeurs de Casablanca, et piloté par un bureau d’études, tente de répondre. Ce rapport, dont La Vie éco a pu avoir connaissance, repose sur des enquêtes à la fois quantitatives et qualitatives réalisées auprès d’un échantillon de 1527 épargnants (effectifs ou potentiels).
L’objectif de l’étude en question est d’avoir une idée précise sur la situation de l’épargne au Maroc, étant entendu que cette dernière constitue un gisement important pour le financement de l’investissement, dont on souhaite augmenter le taux de 3 points du PIB, en le portant de 23 % en 2003 à 26 % en 2006.
Pour commencer, peut-être faudrait-il d’abord relever cette conclusion de l’enquête, assez significative du peu de pénétration de la culture financière dans la société marocaine, mais en même temps révélatrice des possibilités encore inexploitées, pour drainer l’épargne individuelle vers les opportunités de placements offertes par le marché financier : à toutes les questions posées par les enquêteurs, 70 % ont répondu par la formule «ne sais pas». De manière tout à fait mécanique, on peut penser par conséquent qu’il suffit de «faire savoir», c’est-à-dire de bien communiquer, pour dépasser cet obstacle, de loin le plus important.
Les organismes financiers communiquent mal ou insuffisamment
C’est de cette méconnaissance des produits existants et des avantages qui leur sont attachés que découle à peu près tout le reste. Ainsi, sur les neuf catégories d’actifs qui servent de support de placement, c’est le compte à terme (communément appelé «compte bloqué») et le livret d’épargne de la CEN (Caisse d’épargne nationale) qui caracolent en tête, alors même qu’ils sont les moins rémunérateurs de tous. En deuxième position, mais bien loin derrière, viennent les comptes sur carnet proposés par les banques et les actions en Bourse. Quant aux bons du trésor, produits de l’assurance vie, titres OPCVM, obligations et produits de retraite, c’est tout «naturellement» qu’ils se retrouvent au bas du classement.
Paradoxalement, les épargnants enquêtés expliquent leur choix de tel ou tel produit d’abord par des considérations liées à la rentabilité (38 %), alors même que leur préférence, comme déjà indiqué, va vers les actifs les moins rentables. Bien loin derrière, on trouve la qualité de service (17,5 %) et la sécurité des biens (17 %).
Lorsque, expliquant les raisons de leur insatisfaction, ces mêmes enquêtés mettent en tête de liste la faiblesse du rendement combinée au poids de la fiscalité (36 %), il n’y a pas de quoi s’étonner : le paradoxe est toujours là. Quant aux autres raisons d’insatisfaction, elles concernent la complexité des mécanismes financiers (16 %) et le déficit de communication (15%), soit, respectivement la deuxième et troisième position.
Toutes ces réponses sont dans l’ordre des choses : l’oralité prédominant encore largement dans la société marocaine, l’enquête révèle que la première source d’information sur les différents produits d’épargne, ce sont la famille et les amis. Manifestement, les banques, qui occupent la deuxième place comme source d’information pour les épargnants, ne communiquent pas suffisamment ou, peut-être, communiquent maladroitement. Mais vu le taux de bancarisation de la population (aux environs de 20 %), le bas de laine et le vieux coffre de la grand-mère paraissent présenter plus de sécurité que le circuit financier moderne. Il est significatif à cet égard que 43,8 % des épargnants enquêtés disent avoir financé l’acquisition de leur logement au moyen de la thésaurisation, alors que seulement 25,5 % recourent au crédit bancaire; l’héritage constituant, pour 25% des épargnants, le biais par lequel ils ont acquis leur logement.
Artisans et petits entrepreneurs sont les premiers épargnants
Pourtant, selon l’enquête, les épargnants ont un profil plutôt jeune (l’âge moyen est de 38 ans pour les hommes et 32,4 ans pour les femmes) et, pour la plupart, mariés (64 %), ils ont fait des études supérieures (46 %) ou secondaires (34 %), et par conséquent la culture financière ne devrait pas leur être totalement étrangère. Mais quand on examine les professions dans lesquelles ces épargnants se recrutent le plus, le profil se contraste : sur un total de dix, trois professions regroupent à elles seules 83 % des épargnants : les artisans et les petits entrepreneurs (37 %), les cadres moyens, les fonctionnaires, les employés et les techniciens (31%) et, enfin, les commerçants (15 %).
S’agissant des raisons qui incitent à épargner, elles sont d’une certaine manière conformes au profil des épargnants : il y a d’abord les prévoyants, qui se comportent en bons pères de famille, et qui épargnent pour des considérations liées à la santé et/ou l’éducation des enfants ; il y a ensuite ceux qui veulent investir ; il y a enfin les spéculateurs, en particulier dans les activités relevant de l’immobilier.
Au total, et comme le souligne pertinemment l’enquête, il y a manifestement «un déphasage entre les innovations financières et le degré d’assimilation de celles-ci par la population cible». On peut ajouter que ces innovations sont tellement nombreuses et tellement ésotériques qu’elles ne profitent qu’à une infime minorité d’initiés. D’ailleurs, quand on observe la structure de l’épargne au Maroc, on constate que la part des ménages est de 36 % (ou 29,8 milliards de dirhams); le reste se répartissant entre les entreprises non financières (52 % ou 43,8 milliards de dirhams), les entreprises financières (10 %, soit près de 8 milliards de dirhams) et les administrations publiques (2 % ou 1,6 milliard de dirhams).
C’est pourquoi, la première et la principale recommandation de cette enquête porte précisément sur la nécessité de «renforcer la formation et l’information comme vecteurs de diffusion de la culture financière» au Maroc. Outre les moyens d’information classique qu’il importe de développer, y compris en langue arabe, la mise à contribution du système éducatif est également souhaitée. En deuxième lieu, il y aurait intérêt à agir sur les taux d’intérêt et la fiscalité, même si, reconnaissent les enquêteurs, 63% des épargnants n’ont pas cité la fiscalité comme facteur de blocage de l’épargne
