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«La SMT ne peut plus rester passive face aux attaques de ses concurrents»

n Next a pris des parts de marché à Marquise, marque phare de la SMT. La société mettra fin à la collaboration avec une partie des tabaculteurs et prépare un plan de restructuration.

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Bertrand Vezia

Le marché de la cigarette est en train d’être reconfiguré. Désormais, l’opérateur historique, la Société marocaine des tabacs, doit faire face à la concurrence d’opérateurs de taille comme Philip Morris international dont il ne distribue plus les produits, et de Japan Tobacco International, sur fond de baisse de la demande. Son DG, Bertrand Vezia, analyse l’évolution du marché et indique quelques pistes permettant à la SMT de redresser la barre.

Six ans après la libéralisation, quelle est votre analyse de l’évolution du secteur des tabacs manufacturés ? 

La situation du marché des tabacs au Maroc est complexe. Il connaît une concurrence acharnée entre tous les opérateurs pour conquérir des parts de marché. Durant cette dernière décennie, le secteur a connu deux échéances importantes : la fin du monopole de la fabrication en 2005 et la fin de celui de la distribution en 2010. Malgré cette libéralisation de fait, aucun de nos concurrents n’a manifesté son intérêt pour la fabrication. Tous se sont concentrés sur l’importation et la distribution, contrairement à la SMT.

Par ailleurs, la réforme de la fiscalité et de la réglementation des prix, intervenue début 2013, a eu un impact paradoxal sur la structure du marché et sa dimension. D’un côté, elle a eu pour effet une augmentation des prix des produits populaires, notamment Marquise commercialisée par la SMT, tandis que les prix des cigarettes premium sont restés stables. De l’autre, l’augmentation de la pression fiscale a eu pour conséquence une baisse de 17% du marché légal, passé d’environ 16 milliards de cigarettes fin 2012, à environ 13 milliards de sticks à fin 2015. Seule une partie de ces volumes perdus a été récupérée par le marché informel. Le recul s’explique donc également par un repli de la consommation journalière des marocains.

La cigarette est un produit dont l’élasticité-prix de la demande est faible. Comment expliquez-vous la relation entre la hausse de la fiscalité et la régression des ventes ?

La faiblesse de l’élasticité prix est pleinement admissible pour le cas des marques du segment prémium, dont les consommateurs relèvent de catégories socioprofessionnelles aisées. Or, ces dernières n’ont pas subi une augmentation importante de la taxe intérieure de consommation et par conséquent de leur prix de vente. La preuve, seul Philip Morris a décidé de relever le prix de sa marque Marlboro de 1 DH.

En revanche, la réforme fiscale a entrainé un relèvement important de la TIC sur les marques du segment populaire. Par conséquent, nous étions contraints d’augmenter à trois reprises le prix de la Marquise qui représentait 70% de part de marché en volume.

Ces hausses que nous avons décidées par obligation et non par choix n’ont pas manqué d’impacter le marché. Bien que le fractionnement des paquets soit interdit, la part du stick market (NDLR : vente à l’unité) reste prépondérante et représente près de 60% des volumes écoulés. Auprès des vendeurs au stick, la tige de Marquise, qui se vendait à 1DH avant la réforme fiscale et l’augmentation des prix, se négocie aujourd’hui autour de 1,25 DH, ce qui n’est pas un prix pratique ou «magique», comme on le qualifie dans notre jargon.

La disparition du prix psychologique de 1 DH a aussi poussé certains consommateurs à se convertir à d’autres marques prémium, principalement Winston, ou à s’approvisionner sur le marché informel. La commercialisation de Next à 15 DH (NDLR : Marque de Philip Morris) a réintroduit sur le marché du stick un produit au «prix magique» de 1 dirham et a eu pour conséquence une reconfiguration du marché.

Des conséquences quant à l’introduction de Next ?

Comme je vous le disais, la commercialisation de Next a relancé de nouveau le segment de 1 DH sur le stick market. En revanche, en quelques mois, elle a entraîné une baisse importante du volume des ventes de Marquise. C’est pourquoi la SMT doit de nouveau être présente sur ce segment.

Les opérateurs du secteur ont engagé dernièrement une course pour l’introduction de nouvelles marques, notamment celles d’entrée de gamme. Est-ce que cette politique a donné ses fruits ?

Clairement non. Cinq ans après cette politique d’homologation massive, force est de constater que, hormis Next, toutes les autres nouvelles marques ont du mal à se positionner sur le marché. Les consommateurs marocains restent très fidèles aux marques historiques. La preuve, trois marques uniquement, en l’occurrence Marquise, Marlboro et Winston ont un impact significatif sur les volumes du marché des tabacs au Maroc. 

Alors, comment redresser ces ventes ?

Pour renouer avec les volumes d’avant la réforme, il faudrait offrir aux consommateurs des produits à prix accessible, et s’assurer de leur distribution optimale pour les mettre aisément à disposition des consommateurs, dans toutes les régions du Maroc.  Or, les opérateurs n’ont que peu d’emprise sur ces deux variables. N’oublions pas que dans le contexte actuel, la vente reste encadrée par ces deux éléments. D’une part, le produit doit être homologué. D’autre part, le débitant doit avoir une licence de vente en détail délivrée par les autorités administratives de sa localité. En d’autres termes, l’Etat continue d’exercer une certaine forme de monopole sur ce maillon de la chaîne.

Dans le même ordre d’idées, quelle est votre lecture de la politique fiscale pour le secteur des tabacs ?

Traditionnellement, le tabac est un secteur collecteur de taxe. Je tiens à rappeler en effet que nos produits génèrent des recettes importantes pour l’Etat d’une façon indolore. Notre activité est par conséquent très encadrée, et il est acté que la politique fiscale reste une prérogative régalienne de l’Etat marocain. Si l’Exécutif décide d’augmenter les taxes pour des raisons de santé publique, nous ne pourrons pas contester son choix. Toutefois, en tant qu’expert historique du tabac et de par notre expertise sur plusieurs marchés, il est de notre devoir d’attirer l’attention du législateur sur l’impact de la politique fiscale sur les fondamentaux du marché et de partager une vision réaliste du marché. Sur ce registre, je tiens à préciser qu’une nouvelle augmentation de la TIC sur les cigarettes aura un impact négatif considérable sur le marché en général et sur l’industrie locale en particulier.

Et la procédure d’homologation, qu’en pensez-vous?

La procédure d’homologation a nettement évolué. Avec la moyenne arithmétique qui était en vigueur dans l’ancien système, il était impossible d’avoir un paquet de cigarettes à moins de 26 DH alors qu’aujourd’hui, il y en a qui sont à 15 DH. Malgré les critiques de certains opérateurs, j’estime que la politique de la tutelle est très claire sur ce volet. Les cigarettes sont des produits encadrés pour des raisons de santé publique, mais également de recettes fiscales. A cet effet, la tutelle a fait en sorte que tous les opérateurs aient des produits sur tous les segments de prix. 

Les négociations entre SMT et Philip Morris se sont terminées le 31 décembre 2015. Est-ce que vous avez réussi à renouveler le contrat?

En raison de la loi sur la concurrence, PMI n’a pas  souhaité renouveler le partenariat avec SMT portant sur la fabrication sous licence et la distribution et confier ces missions à son nouveau partenaire EMID (Emiratie-marocaine pour l’industrie et la distribution). Cependant, nous avons décidé d’un commun accord avec PMI de prolonger le partenariat concernant le merchandising des produits de PMI par la SMT, pour une durée de 3 ans. Cet accord, entré en vigueur au 1er janvier, permettra d’assurer la présence des produits PMI dans les présentoirs et les meubles mis à la disposition des débitants par la SMT.

Des sources du secteur expliquent ce divorce par le manque d’attractivité de l’offre prix de la SMT…

La négociation est une chose, le fond de ce que nous voulons en est une autre. La SMT a toujours attaché une grande importance au contrat la liant à PMI. Certes, les négociations ont été laborieuses, mais nous avons fait d’énormes efforts qui n’ont malheureusement pas abouti à une solution avantageuse pour les deux parties. Chacun a ses contraintes. La SMT a un prix minimum qu’elle ne pouvait pas baisser davantage. PMI, de son côté, a préféré mettre un terme à la fabrication sous licence et là la distribution de ses produits par la SMT, préférant s’appuyer sur son partenaire moyen-oriental, EMID. D’ailleurs l’implantation de EMID au Maroc n’est pas anodine, puisque le groupe auquel elle appartient prend en charge la distribution des produits de Philip Morris dans plusieurs pays de la région, notamment aux Emirats, en Jordanie et en Algérie.

Quel est l’impact de cette rupture sur votre activité ?

La rupture aura un impact très fort sur l’activité de la SMT. D’abord, ce sont près de 2,7 milliards de cigarettes que nous n’allons plus fabriquer et distribuer, soit 30% des volumes. Par conséquent, une ligne et demie de production sera arrêtée. On parle bien évidemment de machines très sophistiquées. La disparition de ces volumes de notre chaîne de production entraînera une augmentation du coût de revient des produits de la SMT, puisque nos charges fixes deviendront importantes et par ricochet remettront en question la pertinence économique de l’outil industriel de la SMT. Nous serons donc obligés de revoir nos calculs et d’initier une restructuration en profondeur de nos activités et de notre chaîne de valeur, que ce soit en amont ou en aval.

Comment ?

En amont, notre politique d’achat garanti des récoltes de tabac bruts cultivés au Maroc devra être réajustée. Nous sommes d’ores et déjà contraints de suspendre notre collaboration avec près de la moitié des tabaculteurs marocains, soit près de 1500 personnes. Il s’agit des tabaculteurs de la variante burley présents dans la région d’El Hajeb. Ces agriculteurs peuvent se convertir à d’autres cultures sans problème. La SMT les accompagnera dans cette transition.

En aval, et en concertation avec ses partenaires sociaux, l’entreprise réfléchit sereinement aux différents vecteurs d’action à sa disposition, pour développer son chiffre d’affaires, réduire ses coûts et sauvegarder son modèle industriel, dans le cadre d’un processus de restructuration maîtrisé.

Mais il est d’ores et déjà patent que la SMT ne peut plus rester passive face aux attaques de ses concurrents, et qu’elle devra passer à l’offensive pour défendre son modèle de chaîne de valeur intégré et ses parts de marché.

Cette restructuration n’est-elle pas un moyen de pression sur l’Exécutif ?

Nous ne sommes plus la Régie des Tabacs. Franchement, on se sent libéré de cette obligation. La notion de service public ne doit donc plus faire partie de nos référentiels. Nous sommes aujourd’hui une entreprise soumise à la logique du marché. Face à des concurrents ayant une structure des coûts extrêmement réduite et qui sont focalisés sur le point le plus facile et le plus rentable de la chaîne des valeurs, nous ne pouvons pas maintenir notre présence sur l’ensemble de la chaîne des valeurs, de l’amont agricole à l’aval, alors que de l’autre côté, notre structure des coûts n’est pas optimisée. Il y a une réalité économique avec laquelle il faudra s’adapter.