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Affaires

270 000 familles vivent dans des bidonvilles

Les baraques gagnent chaque année 500 hectares.
Dans l’Oriental et le Souss, la moitié de la population urbaine est
mal logée.
Un projet de loi destiné à réprimer la fraude en matière
d’urbanisme est finalisé.

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Les autorités de Casablanca ont été les plus rapides à tirer. 72 heures seulement après le coup de semonce royal du discours du Trône, les bulldozers sont descendus à Bachkou pour raser des surélévations. Réaction à la mise en garde du Souverain ou opération de routine ? La question reste posée. Mais, indépendamment de cette coïncidence, la problématique des bidonvilles revient en force avec son lot d’aberrations. Prenons le cas Bachkou. Ces surélévations ont-elles été réalisées sans que personne ne soit au courant ? Il est évident que non. Autorités locales et élus ont laissé des personnes sans scrupules exploiter la détresse humaine. Certaines d’entre elles en ont même beaucoup profité.
Au ministère du Logement, les premières réactions ne se sont pas fait attendre. Taoufik Hjira, en charge de ce département, a tenu une réunion marathon, samedi 2 et dimanche 3 août, avec les directeurs centraux, les directeurs de tous les établissements publics et ceux des agences urbaines de toutes les villes du pays. Objectif : faire le point sur la situation des bidonvilles. La conclusion est de la bouche du ministre lui-même : «Tout ce que je peux vous dire, c’est que les bidonvilles ne stagnent pas». Autrement dit, ils prolifèrent. Mais ça, à la limite, on s’en doutait un peu. Sauf que Taoufik Hjira annonce tout de même un chiffre qui se passe de tout commentaire : chaque année, 500 hectares sont squattés par les nouveaux bidonvilles.

Seulement 700 MDH par an pour éradiquer les bidonvilles
Mais cette fois, discours du Trône aidant, peut-on espérer qu’on s’attaquera franchement au problème? Interrogé par la Vie éco sur ce sujet, le ministre du Logement confirme que le discours a apporté deux éléments déterminants qu’il faudra prendre en considération. «SM le Roi a introduit le facteur temps dans la mesure où, aujourd’hui, la lutte contre l’habitat insalubre est plus qu’une urgence». Autrement dit, le ministère compte y aller encore plus rapidement. Et ce d’autant plus que, comme l’explique M. Hejira, «la problématique de l’habitat insalubre peut se résumer à une et une seule équation qui veut qu’aujourd’hui la vitesse de prolifération des bidonvilles est de trois à quatre fois supérieure à la cadence du recasement».
Mais la question qui reste posée est de savoir comment, et avec quels moyens. Car, pour le moment, le budget alloué par l’Etat au recasement des ménages est de 700 millions de DH par an dont 300 millions au titre du budget public et 400 millions qui proviennent du fond des cimentiers. L’enveloppe demeure, bien entendu, insuffisante. D’où la nécessité de mettre à contribution tous les intervenants dans l’acte de bâtir, notamment les promoteurs immobiliers, les organismes sous tutelle (OST) et les établissements financiers. Et pour s’y attaquer, il faudra d’abord les localiser et les identifier. La Vie éco a appris que le ministère du Logement dispose d’une cartographie détaillée des bidonvilles au Maroc. Et les chiffres qui y figurent sont on ne peut plus choquants. Pour ne citer que quelques exemples : dans la région de l’Oriental, 50 % de la population urbaine vit dans des bidonvilles. Ils sont 45 % à Agadir, fleuron du tourisme national. Des chiffres qui se passent de tout commentaire.
Les fraudeurs risquent cinq ans de prison
Mais en attendant d’atteindre une vitesse de croisière satisfaisante, il faudra trouver les moyens de contenir la prolifération des bidonvilles. A ce niveau, et faisant référence au dernier discours du Trône, Taoufik Hjira explique que «désormais, l’Etat n’admettra plus le principe de l’impunité». Le ministre révèle qu’il a déposé depuis une dizaine de jours au Secrétariat général du gouvernement (SGG) un projet de texte de loi pour la répression de la fraude en matière d’urbanisme. En fait, ce texte a pour objet de punir tous les intervenants dans l’acte de bâtir qui auront contribué, directement ou indirectement, à la prolifération de l’habitat insalubre, clandestin, irrégulier… Bref, tous ceux qui seront convaincus d’infraction seront désormais punis. Et pour décourager les plus coriaces, le ministre propose, dans son projet, des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison, quel que soit le statut de la personne. Comprenons par là que même les élus et les agents d’autorité n’y échapperont pas. Quant aux propriétaires des habitations, ils sont passibles, en plus du pénal, d’amendes pouvant atteindre cinq fois la valeur de leur habitation. Le ministre espère pouvoir mettre ce projet de texte dans le circuit d’approbation dès la rentrée en mettant fin à une situation paradoxale qui dure depuis trente ans. «On indemnise, on encourage et l’on offre une prime à ceux qui encouragent l’habitat clandestin en leur donnant parfois l’eau et l’électricité et en leur attribuant, en fin de parcours, un appartement à bas prix». A l’inverse, «ceux qui veulent acquérir ou construire un logement en toute légalité, continue le ministre, révolté, se trouvent pénalisés parce que livrés à toutes sortes de lourdeurs administratives».
Manifestement, le mois s’annonce chaud du côté du ministère du Logement et ce ne sont pas les élections communales de septembre qui arrangeront les choses. Les bidonvilles ont toujours constitué des gisements de voix et des cartes gagnantes pour les candidats. Mais, cette fois-ci, tout semble indiquer que les politiciens devront jouer la partie sans leur joker préféré.