Affaires
1,20 DH la baguette, pour quel poids ?
«La Vie éco» a fait effectuer une pesée de contrôle de 44 baguettes par un expert assermenté.
37 baguettes pesaient moins que les 200 g convenus, 27 ne dépassaient pas les 190 g, certaines seulement 160, voire… 139 g.

Il est des sujets, des habitudes et des produits qui résistent au temps mieux que d’autres. Le pain et le prix du pain au Maroc en font partie. De tout temps, chaque fois qu’il est question d’augmenter le prix du pain, c’est le branle-bas de combat. L’opinion publique s’agite, les professionnels avancent des arguments économiques pour soutenir leur revendication et le gouvernement, qui en convient, refuse toutefois de les y «autoriser» tant le sujet est «sensible». La dernière polémique sur le sujet n’a pas dérogé à la règle.
Le pain blanc (rond ou en baguette) ne sera donc pas augmenté de 10 centimes, comme le demande le Syndicat national unifié des boulangers-pâtissiers, il continuera à être vendu à 1,20 DH. En contrepartie, la profession bénéficiera, entre autres, d’un allégement de ses charges – c’est une «promesse ferme», selon Lhoucine Azaz, président du syndicat des boulangers-pâtissiers – en étant alignée sur les tarifs industriels pour l’eau et l’électricité.
Mais une question brûle toutes les lèvres : sur quelle base décide-t-on que le prix du pain blanc, fabriqué à partir de la farine de luxe, doit être vendu à 1,20 DH et pas à 1,30 DH ou 1,50 DH ? Logiquement, ces valeurs doivent correspondre à un calcul économique intégrant le coût des intrants et la marge, pour un poids déterminé. Est-ce le cas ?
La Vie éco, qui a voulu en connaître la réponse, a acquis, au hasard, un échantillon type de 44 baguettes auprès de différentes boulangeries et épiceries. Elle en a confié le pesage à un expert assermenté. Objectif : s’assurer que le 1,20 DH déboursé par le consommateur correspond à un poids, ne reposant certes désormais sur aucune assise juridique ou réglementaire, selon les professionnels, mais convenu et tacitement accepté par tous : 200 grammes. La baguette de 200 g, à défaut d’être inscrite sur les tablettes de la réglementation boulangère, reste le pendant de la contre-valeur du 1,20 DH depuis toujours. Or, les résultats livrés par l’opération de pesage sont surprenants.
De manière globale, le poids moyen des 44 baguettes est de 185,02 grammes. Statistiquement, 84% des baguettes «testées» (soit 37 sur 44) pèsent moins de 200 g. Mieux, en admettant une marge de tolérance de 5%, qu’on pourrait attribuer à des pertes «techniques» dues aux conditions de manipulation, de cuisson ou même des variations légères de poids selon les intrants, ce sont tout de même 61,3% de baguettes (soit 27 sur 44) qui pèsent moins de 190 g. Enfin, pour certains points de vente, le poids moyen est de 161 grammes à peine avec des valeurs minimales de… 139 grammes. On est loin des 200 g convenus. A partir de là, une autre question s’impose : à quoi cela sert-il de s’arc-bouter sur un tarif unique si celui-ci recouvre des réalités différentes.
L’enjeu ? 60 centimes en moyenne par famille et par jour !
Bien évidemment, et il faut s’empresser de rappeler cette évidence, personne ne souhaite que les prix augmentent, surtout pas ceux concernant les produits de base. Il se trouve néanmoins que, depuis juillet 2006, avec l’entrée en vigueur de la loi sur la concurrence et les prix, celui du pain justement est libre – en réalité, il l’est depuis déjà au moins 2002. Et même avant cette date, les boulangers avaient le droit de relever le prix du pain, moyennant la production d’une étude prouvant la justesse de leur revendication. C’était l’objet de l’accord de modération conclu en 1989 entre la profession et les pouvoirs publics ; un accord qui n’a plus cours depuis 1994, selon M. Azaz, mais auquel on continuait malgré tout à se référer, sans doute par habitude ou par esprit de consensus, chaque fois que l’on décidait d’une hausse.
Quand le syndicat des boulangers a voulu augmenter le prix du pain de 10 centimes, il a mis en avant le renchérissement de l’ensemble des éléments entrant dans sa fabrication : eau, énergie, main-d’œuvre, sel, levure, etc. Déjà en 2003, lorsque la profession avait demandé à faire passer le prix de la baguette de 1,10 DH à 1,20 DH, l’étude qu’elle avait produite pour soutenir sa revendication concluait que le prix de revient du pain blanc était de 1,226 DH. Comme aujourd’hui, les pouvoirs publics avaient refusé la hausse qui devait intervenir… à la veille du Ramadan et qui est finalement intervenue par la suite. Mais, en fin de compte, et même en supposant que l’on s’en tienne au 1,20 DH aujourd’hui et au respect de ce prix, ce serait en contrepartie de quel poids ? 139 g, 185 g, 190 g ou 207 g ? Aucune norme pour un prix quasiment fixé. Aberrant.
S’ajoute à cela le fait que cette histoire de prix du pain revêt un caractère plus symbolique que réel. Selon différentes études, la consommation moyenne d’un foyer marocain est de six baguettes par jour. Si on augmentait de 10 centimes le prix, la dépense quotidienne supplémentaire serait de… 60 centimes. Voilà l’enjeu !
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Pour procéder à l’opération de pesage, 44 baguettes ont été achetées dans 9 points de ventes différents de Casablanca entre 7h30 et 8h30 de sorte à ce que le pesage ait lieu juste après la sortie des fours, une précaution dictée par le souci d’éviter une déperdition de poids due aux conditions de stockage. Une fois achetées, chaque lot de baguettes provenant d’un même point de vente a été étiqueté et mis en sachet de manière à pouvoir récupérer, éventuellement, les miettes qui s’en seraient détachées. Précision oblige. Une fois l’achat terminé, le lot a été livré aux locaux du cabinet d’expertise qui a procédé au pesage. Les baguettes ont été pesées selon un protocole méticuleux et avec deux balances, l’une électronique |
