Carrière
Contrat de travail des étrangers : les textes différemment interprétés selon les administrations
L’Exécutif estime que la moitié des travailleurs étrangers disposent de contrats non visés. Le CTE ne peut jamais être un CDI malgré plusieurs renouvellements. En tout, 60 000 CTE ont été visés par le ministère de l’emploi.

«Alors que la loi exige que tous les contrats de travail des étrangers doivent être visés par le ministère du travail et les soumet à un formalisme strict, la pratique montre que plusieurs entreprises emploient des étrangers sans pour autant en saisir le ministère du travail. Pour des raisons d’équité sociale, il est du devoir des membres de l’inspection du travail de vérifier l’homologation des contrats de travail des étrangers». La circulaire du ministre de l’emploi, qui estime que plus de la moitié des contrats de travail étrangers ne sont pas visés, dénote-elle d’un regain de protectionnisme ? C’est en tout cas ce que laisse entendre cette nouvelle «campagne de régularisation» des contrats de travail d’étrangers menée par le ministère depuis décembre 2015.
En effet, pour pouvoir travailler comme salarié au Maroc, les personnes de nationalité étrangère doivent obtenir un permis de travail qu’on désigne sous l’acronyme de CTE (contrat de travail d’étranger). «Ce contrat est considéré comme un CDD (contrat à durée déterminée) quelle que soit la volonté des parties (employeur et employé), alors même que très souvent ces dernières ont signé un CDI (contrat à durée indéterminée) et/ou renseigné la case CDI dans le formulaire du CTE», indique Frédéric El Bar, juriste et conseiller consulaire français au Maroc. Et d’ajouter : «Il est de jurisprudence constante devant les tribunaux marocains, compte tenu du code du travail marocain, que ce contrat est assujetti à la formalité de renouvellement du visa qui est accordé par les autorités compétentes. Dès lors, ce contrat ne peut être renouvelé que lorsque le visa est lui-même renouvelé, ce qui est le cas au terme d’un an, voire deux ans».
La conséquence bien évidemment est que l’employeur qui souhaite se séparer d’un employé sans forcément vouloir le dédommager attend simplement le terme annuel du contrat. Si ce contrat avait été considéré comme un CDI, le salarié pourrait prétendre, d’une part, à un préavis et, d’autre part, à des indemnités pour licenciement abusif ou si ce contrat sous forme de CDD était plus long, l’employeur décidant de le rompre pendant sa validité devrait verser au salarié des indemnités qui correspondent au salaire restant à devoir jusqu’au terme.
La jurisprudence annule systématiquement les contrats non visés
Pour pouvoir obtenir le visa, il faut d’abord fournir le contrat de travail du salarié étranger en cinq exemplaires ainsi qu’une demande de visa en deux exemplaires, comportant des renseignements sur le salarié étranger. Une attestation d’activité délivrée par l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC) -sauf pour les ressortissants de pays signataires d’une convention d’établissement (Sénégal, Tunisie, Algérie)-, et des pièces justifiant la qualification professionnelle du salarié étranger (diplôme, attestation de travail délivrée par son ex-employeur…) sont également requises, tout comme celles justifiant la qualité d’investisseur ou de gérants de sociétés (actionnaires).
Enfin, le salarié étranger doit produire une attestation de résiliation de contrat, si l’ancien contrat de travail du salarié a pris fin avant le terme de sa validité, ainsi qu’une autorisation temporaire d’occuper un emploi sans contrat de travail ne dépassant pas neuf mois. Des documents à la teneur ambiguë et à la définition large, et dont l’interprétation diffère d’une administration à l’autre. Surtout, ce sont des documents annuellement exigés et parfois même lorsque les concernés sont issus de pays ayant signé des accords d’établissement avec le Maroc.
En tout cas, la jurisprudence annule systématiquement les contrats de travail non homologués, comme le montre cette affaire jugée en janvier 2015 par la Cour de cassation, qui considère qu’«est nul en vertu de la loi le contrat de travail du salarié étranger non visé par le ministère du travail même si le salarié cumule la fonction de salarié avec celle de gérant de l’entreprise».
Dans une autre affaire, la Cour de cassation marocaine a considéré que ce «contrat de travail étranger» ne pouvait être qualifié de contrat à durée indéterminée (CDI) malgré des renouvellements successifs, contrairement à ce que prévoit le code du travail marocain. Elle souligne que les salariés français concernés par cette affaire ne peuvent pas bénéficier, au moment d’un licenciement, des indemnités auxquelles peuvent légitimement prétendre tous les salariés.
En 2015, à peine 1 500 CTE ont été homologués. Le volume total est de 60 000, dont presque la moitié par la délégation du ministère du travail à Casablanca.
