Affaires
L’Etat restitue des terrains
Plus de 80 % des terrains réquisitionnés n’ont pas été
utilisés.
Le délai de forclusion étant dépassé, les terrains
ont été restitués à leur propriétaire.
L’Etat a obtenu de ces derniers qu’ils construisent gratuitement des
équipements publics.

Casablanca, la capitale économique, traîne un énorme déficit en matière d’infrastructures et d’équipements structurants. C’est du moins le constat établi par le Schéma national de l’aménagement du territoire (SNAT).
Réalisé par le ministère de l’Aménagement du territoire, le SNAT attend sa validation par le Conseil supérieur de l’aménagement du territoire, dont la réunion est annoncée pour les prochaines semaines voire les prochains jours. «La principale conclusion du SNAT, s’agissant de Casablanca, est que cette ville a accumulé beaucoup d’insuffisances et de retard en matière d’équipements et d’infrastructures et de rationalité dans la gestion. Par conséquent, sa mise à niveau sur le plan des infrastructures et des équipements est impérative», déclare Abdelkader Kaioua, inspecteur régional de l’Aménagement du territoire et de l’environnement du Grand Casablanca.
Générant 50 % des impôts et abritant 25 % de la population urbaine et 60 % du tissu industriel, Casablanca ambitionne en outre de devenir, à l’horizon 2012, une destination touristique de premier plan. Cela suppose un schéma stratégique et cohérent précisant une vision à long terme pour le développement de la métropole dont elle a grandement besoin, explique M. Kaioua. Exemple : alors qu’il était prévu dans les documents d’urbanisme que Casablanca s’étende vers le nord (en direction de Mohammédia), elle s’agrandit vers le sud. Cela crée forcément des dysfonctionnements, comme l’absence d’écoles, de dispensaires, de routes dans les zones où ces équipements auraient dû se trouver.
Des «dérogations urbanistiques» accordées aux propriétaires
Selon M. Kaioua, les dysfonctionnements que connaît le Grand Casablanca découlent principalement du manque de rigueur dans la planification et la programmation de projets. Depuis 1989, confie-t-il, «plus de 80 % des équipements publics programmés n’ont pas été réalisés». En effet, sur les 1353 équipements programmés dans les huit préfectures du Grand Casablanca, seulement 231 ont été réalisés (17%). En termes de superficies, seuls 184,68 hectares sur les 1 013,47 hectares prévus (soit 18,22 %) ont été effectivement utilisés. C’est autant de retard dans la construction d’écoles, de lycées, de centres de santé, de commissariats de police, etc. C’est aussi une situation juridique complexe puisque les terrains mobilisés pour recevoir ces équipements ont dépassé le délai légal de dix ans sans avoir été expropriés en bonne et due forme. C’est enfin la preuve que les ministères programmaient des projets que leurs budgets ne permettaient pas de concrétiser. Résultat : alors que la ville étouffait faute d’assiette foncière, d’importantes superficies ont été gelées inutilement.
C’est Abderrahmane Youssoufi, à travers son ministre de l’Aménagement du Territoire, Mohamed El Yazghi, qui, sollicité par les propriétaires des terrains frappés de forclusion, décida en 2000 d’ouvrir des négociations avec ces derniers pour débloquer une situation qui devenait difficile à gérer. Une nouvelle approche, pragmatique, fondée sur la concertation et la proximité, est mise en place à l’échelle de la wilaya. Des commissions locales avaient été constituées, présidées par les gouverneurs et composées de représentants des ministères concernés (Education nationale, Santé, etc.).
Plusieurs solutions avaient été envisagées, dont l’acquisition des terrains en question mais cette fois au prix du marché. Faute d’argent, cette piste a été abandonnée. Finalement, la solution retenue a été de restituer à leur propriétaire les terrains dont l’Etat n’avait plus besoin (les ministères ayant été sommés auparavant de définir avec précision leurs besoins) et d’acquérir le reste (soit environ 500 hectares sur les 1013 prévus). Mais cette acquisition s’est faite de manière originale, puisque l’Etat n’a pas déboursé un centime: comme prix de l’assiette foncière qu’il a acquise, l’Etat a accordé, sous forme de dérogations urbanistiques négociées, des avantages aux propriétaires de sorte que ces derniers peuvent, par exemple, construire des R + 3 sur des terrains situés dans des zones R + 2. En d’autres termes, certains parmi les propriétaires qui ont repris leur terrain ont, soit construit des équipements pour la collectivité, soit fait don d’une partie de leur terrain, et ceci en contrepartie de la dérogation urbanistique qui leur a été accordée.
A Aïn Chok par exemple, neuf terrains nus, totalisant 9 375 m2, ont été acquis dans ce cadre-là par la collectivité. A Ain Sebâa, ce sont douze terrains (22 743 m2) qui ont été également obtenus par ce biais. Par ailleurs, beaucoup de propriétaires ont contribué à la fois avec le terrain et avec l’équipement réalisé. D’autres, à qui l’on a restitué leur terrain, ont accepté de construire des logements pour les bidonvillois qui ont squatté les lieux entre temps, moyennant un prix de…100 000 DH.
Au total, grâce à la négociation avec les propriétaires, la Wilaya de Casablanca a gagné 48 hectares de terrains nus et près de 170 équipements.
Mais cette action, aussi intéressante qu’elle fût, reste avant tout une action destinée à régler un contentieux foncier et réglementaire, découlant d’une mauvaise programmation des ministères. Elle ne peut se substituer à un travail de planification sans lequel Casablanca continuera d’enregistrer des déficits importants en matière de projets structurants. C’est pourquoi les décideurs locaux travaillent actuellement à doter la ville d’outils efficients permettant une maîtrise du développement en ouvrant de multiples chantiers : transport collectif, propreté et assainissement, protection de l’environnement, schéma régional d’aménagement du territoire, révision des schémas directeurs…
