Affaires
Idoulahiane, épicier à 8 ans, homme d’affaires dès 30 ans
En 1960, il part pour l’Allemagne avec 100 DH en poche.
30 ans après, il est à la tête d’un empire.

Au premier contact, ce septuagénaire jovial et joufflu dégage une grande sérénité. Son expression naturelle semble être le sourire. Le secret de M’hamed Idoulahiane ? Il élude la question. Son histoire, alors? Avant d’égrener les quelques mots saccadés qui vous mettent l’eau à la bouche, M’hamed Idoulahiane s’extirpe de son moelleux fauteuil aussi prestement qu’un jeune premier. Il aime étonner et y réussit car à voir son poids et son âge, on ne l’eût pas cru capable d’une telle prouesse.
«Je suis né en 1938 à Idagougmar à une cinquantaine de kilomètres de Tiznit et après un passage par le m’sid (école coranique), il a fallu que je me mette à gagner ma vie. A 8 ans, je faisais déjà des petits boulots». Puis, stop ! A coup sûr, l’homme répugne à dévoiler des aspects de son personnage, de peur de se mettre à découvert. La part d’anxiété du personnage se fait jour. Il n’aime pas parler, il préfère agir. C’est sûrement pour cela qu’il atterrit à Casablanca en 1954, où il reste jusqu’en 1960. C’est dans une épicerie de la rue Mohamed Smiha qu’il fait ses premières armes. Combien gagnait-il ? L’équivalent de 50 DH par mois, mais, dit-il, «j’étais nourri, blanchi et les Européens qui étaient majoritaires dans le coin me noyaient de pourboires». Et puis, à cette époque un kilo de viande coûtait 50 centimes.
Il achète sa première épicerie en France, en 1968
L’histoire d’Idoulahiane- homme d’affaires commence le jour où il prend une Caravelle à Casa-Anfa à destination de l’Allemagne. C’était en 1960. Il avait 100 DH en poche. Commence sa quête des affaires. Les bonnes affaires ! En 1962, il est à Paris où il travaille dans une usine. Mais il ne rêve que d’une chose : «monter [sa] propre affaire». Et ce qui devait arriver arriva : il ouvre sa première épicerie en 1967 à Villejuif, en banlieue parisienne. Cela, confie-t-il, a été une chance extraordinaire : «Je suis tombé sur un vieux Français de 75 ans qui m’a fait confiance. Il m’a vendu l’épicerie à 120 000 FF avec un crédit direct entre lui et moi. Je me rappelle qu’il venait, à chaque échéance, toucher la contrepartie des traites que je lui avais signées». Cette épicerie sera le premier maillon d’une chaîne de supérettes qui en comptera 4 en 1971. Entretemps, se rappelle-t-il, il y eut le fameux Mai 68. Une bonne date pour lui. En effet, il fait ses premiers gros bénéfices quand il voit ses stocks s’épuiser durant le mois de grève où la demande se faisait pressante.
Idoulahiane passe à la vitesse supérieure en achetant son premier restaurant à Nanterre. Il acquiert L’étoile de Marrakech pour 350 000 FF et investit autant pour le rénover (il s’était déjà fait la main dans la restauration puisqu’il préparait des plats de couscous à emporter qu’il avait commencé à commercialiser dans sa chaîne de supérettes). En 1976, une autre Etoile de Marrakech est ouverte par le jeune entrepreneur à Chatou, dans les Yvelines. Ces deux restaurants qu’Idoulahiane possède toujours ne sont pas de simples gargotes. Elles figurent depuis 1988 dans le guide de Gault et Millau, avec des notations honorables.
Le tournant décisif au Maroc en 1981
La saga Idoulahiane prend un tournant décisif quand, à la fin des années 70, il songe à investir au Maroc. Il commence par acheter l’hôtel Plazza à 1 MDH et place 3 à 4 millions dans des actions Algemen Bank et BMAO. Non content de son placement, il se retire en 1981, au moment où son flair l’oriente vers un terrain bon marché (entre 400 et 600 DH le m2) sur le boulevard Anfa. La construction de ce qui est aujourd’hui l’hôtel Idou Anfa (contraction entre le diminutif d’Idoulahiane et le nom du boulevard) ne se fait pas attendre. Il emprunte 40 MDH au CIH et ouvre son unité en 1984. Avant cela, il a acquis le restaurant La mer et ouvert la résidence Afoud à Agadir, en 1981.
Mais M’hamed Idoulahiane n’aime pas beaucoup étaler les chiffres, car ils ne reflètent ni sa démarche ni le sens profond de cette démarche. Revenons alors à la question de départ : quel est le secret d’Idoulahiane ? Le flair, savoir déléguer, laisser travailler ceux à qui l’on délègue et ne les juger que sur les objectifs qu’ils se sont engagés à atteindre. Il se reprend : «Avec tout cela, il faut un peu de chance, pas beaucoup car sinon cela devient trop facile. Mais il en faut».
Aujourd’hui, Idoulahiane n’oublie pas le petit patelin de sa naissance et y séjourne beaucoup plus souvent qu’à Paris où il fait des crochets pour inciter ses compatriotes à revenir s’installer au pays.
L’homme d’affaires est aujourd’hui aussi bien dans le textile que l’immobilier ou la distribution. Mais il préfère parler de la petite ferme qu’il a achetée dans son village natal, où il cultive des arbres fruitiers. Il s’est aussi investi dans l’associatif en présidant une association, Tinzar, qui œuvre dans l’électrification rurale ou la construction des routes dans les reliefs escarpés de son pays.
