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Pouvoirs

La justice constitutionnelle passe au stade supérieur

La loi organique relative à  la Cour constitutionnelle vient d’être promulguée, une autre est toujours attendue. Les 12 magistrats seront bientôt nommés et les parlementaires sont appelés à  faire preuve de responsabilité. Le citoyen peut saisir indirectement la Cour à  n’importe quel degré de juridiction.

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justice constitutionnelle 2014 10 31

Son avènement est d’autant plus attendu que les lois organiques restant pour compléter l’arsenal constitutionnel sont sujet à moult divergences. La Cour constitutionnelle dont l’instauration est attendue prochainement devrait trancher des questions hautement politisées. Des questions telles que les lois organiques des collectivités territoriales, les modalités de mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, le Conseil national des langues et de la culture marocaine, la concrétisation de l’article 19 et la mise en place de l’instance de la parité ou encore le Conseil supérieur de la jeunesse et de l’action associative. Cela en plus, bien sûr, de la mise en place des modalités de législation populaire exercée par le biais de propositions en matière législative prévues par l’article 14 de la Constitution. Ce n’est pas que le Conseil constitutionnel, récemment enrichi par de nouvelles compétences, n’a pas su s’adapter aux changements inhérents à la nouvelle Constitution, mais l’installation de cette instance devrait donner un nouvel élan, bien plus que symbolique, à la justice constitutionnelle. Il faut dire, comme le note ce député de la majorité, que le conseil a su s’ouvrir sur la nouvelle donne politique et sociale et faire preuve de plus de souplesse et d’innovation dans ses décisions. Une constat que confirme le constitutionnaliste et ancien ministre, Khalid Naciri. «La justice constitutionnelle a connu, dit-il, une évolution dans le sens de l’esprit de la Constitution de 2011. Le Conseil constitutionnel, à travers ses décisions, a beaucoup plus collé à la nouvelle réalité constitutionnelle». Ce qui n’a, cependant, pas été pour plaire à tout le monde. En effet, ajoute Khalid Naciri, «il lui a été donné l’occasion de prendre des décisions significatives qui ont reçu l’approbation des uns et la désapprobation des autres, surtout lorsqu’il a été question de conflits d’interprétation constitutionnelle des textes de loi et des actes du gouvernement entre l’opposition et le gouvernement et sa majorité». C’est souvent l’opposition qui se plaint des décisions du conseil, mais le constat est aussi vrai dans l’autre sens, puisqu’il est arrivé au parti au pouvoir, le PJD, du moins certains de ses caciques, de contester officieusement certaines décisions qui n’épousent pas sa vision des choses.

Il faut passer à la vitesse supérieure

Cela étant, affirme cet autre professeur de droit constitutionnel, membre d’un parti de l’opposition, «on peut déjà noter une petite ouverture dans le travail du Conseil constitutionnel. Les magistrats peuvent, et ils le font déjà, avancer des arguments juridiques au lieu de se contenter de ceux invoqués dans les lettres de recours. Et c’est déjà un point important qui ouvre la voie vers une véritable justice constitutionnelle, vers la création de nouvelles normes juridiques, donc vers le raffermissement de l’État de droit». Le terrain est ainsi balisé pour que la nouvelle Cour constitutionnelle, dont la loi organique vient d’être promulguée, entre en scène sans grand encombre. Avec cet avantage que la mission qui lui a été attribuée par la Constitution de 2011 «est plus large et plus significative que par le passé. Maintenant que la loi organique relative à la Cour constitutionnelle est promulguée et que la Cour sera installée dans les semaines à venir, il faut passer à la vitesse supérieure. En même temps il va falloir rester collé à l’esprit qui a prévalu à l’adoption de la Constitution. C’est-à-dire la consécration d’un État de droit moderne. Et la Cour constitutionnelle doit contribuer de manière conséquente à cette action multiforme pour l’installation de l’État de droit», affirme M. Naciri. Et cela, à travers ses attributions qui sont le contrôle de la constitutionnalité des lois, le contrôle obligatoire et automatique de la constitutionnalité des lois organiques et des règlements intérieurs des deux Chambres du Parlement et le contrôle sur demande des lois ordinaires. Son avis est également sollicité à chaque fois qu’il s’agit de ratifier une convention ou un traité international. En plus de statuer sur les litiges électoraux, la Cour peut également intervenir en tant qu’arbitre entre les pouvoirs exécutif et législatif (art. 73 et 79 de la Constitution). De même qu’elle se voit confier cette nouvelle mission substantielle qui est de reconnaître une exception d’inconstitutionnalité. Ainsi, «le citoyen est appelé, pour la première fois, à se prononcer indirectement sur la constitutionnalité d’une loi, à travers l’exception d’inconstitutionnalité. Il intervient au niveau d’un tribunal ordinaire qui saisit la Cour constitutionnelle. Il peut saisir la Cour à n’importe quel niveau de juridiction. Que ce soit en première instance, en appel ou en cassation. Là nous sommes dans un domaine entièrement nouveau, aussi bien du point de vue politique que juridique. Cela revient à expérimenter une démarche qui conforte l’État de droit. Et il va falloir que la loi organique qui encadre la mise en œuvre de cette procédure, comme d’ailleurs tous les projets de lois organiques non encore promulguées, soient élaborés dans l’esprit et la lettre de la Constitution», ajoute la même source. Il précise par ailleurs que «les lois organiques obéissent à la même règle morale de la recherche de consensus et non pas la mise en œuvre majoritaire».

Des compétences pointues pour une mission élargie

Voilà pour ce qui est de sa mission. Les modalités de son exercice sont précisées par la nouvelle loi organique qui vient d’être promulguée. D’abord, pour ce qui est de sa composition, les douze magistrats qui la forment «sont nommés pour une durée de 9 ans non renouvelable, parmi les personnalités disposant d’une haute formation dans le domaine juridique et d’une compétence judiciaire, doctrinale ou administrative, ayant exercé leur profession depuis plus de quinze ans, et reconnues pour leur impartialité et leur probité», comme le stipule l’article premier de la nouvelle loi (loi 099-13 promulguée le 4 septembre 2014). Le Roi nomme six membres, dont un proposé par le Conseil supérieur des oulémas et choisit le président parmi les membres. Les autres membres sont élus par la Chambre des représentants (3 magistrats) et la Chambre des conseillers (3 magistrats). Ce n’est plus le président de la Chambre qui désigne une personnalité de son choix, souvent un membre du parti politique le plus représenté au Parlement, mais c’est la Chambre qui élit les trois membres, par le biais d’une procédure qui prévoit des voies de recours. Il ne s’agit plus de contenter un parti ou faire jouer les alliances politiques pour propulser une personnalité, c’est une question qui engage le bon fonctionnement des institutions et la pratique démocratique dans sa globalité. Ce n’est pas pour rien que le Souverain s’est adressé directement, en ce sens, aux parlementaires. «S’agissant de la justice constitutionnelle, (…..), nous appelons les deux Chambres du Parlement à faire preuve de responsabilité et de patriotisme en respectant les critères de savoir-faire, de compétence et d’intégrité dans le choix des membres du conseil qu’elles sont habilitées à élire en vertu de la Constitution». Une fois désignés, les membres de la Cour s’abstiennent de toute pratique politique, renoncent aux activités libérales et leur fonction est incompatible avec les charges électives ou gouvernementales (art. 5 et 6 de la nouvelle loi organique). Les membres de la Cour constitutionnelle perçoivent une indemnité égale à celle des parlementaires et sont soumis aux charges fiscales appliquées à ces derniers (art.15). Ils bénéficient d’une indemnité spéciale, à fixer par décret, dès la cessation de leur activité. Le président bénéficie des indemnités et avantages alloués au président de la Chambre des représentants.     

Près d’un millier de recours en 10 ans

Les modalités de saisine de la Cour, les procédures de travail et les délais dans lesquels les juges constitutionnels sont tenus de statuer en fonction de la nature du recours sont fixés par cette nouvelle loi. Seules les conditions et les procédures d’exercice des compétences pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité sont à définir par une loi organique ultérieure. En attendant se pose déjà la question d’encombrement au niveau de la Cour, avec la mise en œuvre de cette nouvelle mission. La Cour étant déjà très sollicitée à cause du contentieux électoral, l’on se demande si elle pourra faire face, dans des conditions optimales, à l’afflux des recours relatifs à l’exception d’inconstitutionnalité.  Sur ce point, «il appartient à la Cour constitutionnelle qui va être installée dans les prochaines semaines d’organiser son travail en fonction de cette nouvelle donne. Les magistrats n’auront pas l’occasion de chômer. Pendant l’année qui suit les élections des deux Chambres, il y a certes encombrement à cause de la multitude des recours relatifs aux litiges qui entachent la régularité des élections. Mais, une fois ses recours liquidés, la Cour reprend sa vitesse de croisière, elle aura tout le temps nécessaire pour s’acquitter de ses autres missions, notamment les recours en exception d’inconstitutionnalité. Globalement, il faut faire confiance à la compétence et au professionnalisme des magistrats», affirme Khalid Naciri. En parlant du contentieux électoral, il s’agit de plus des deux tiers des décisions rendues depuis son installation en 1994. Ainsi, sur les 945 décisions rendues durant ces dix dernières années, 729 portent sur le contentieux électoral. Comment les douze membres de la Cour pourront-ils faire face à autant de sollicitations ? Là encore, précise ce professeur de droit, nous parlons d’une institution. Il ne s’agit pas seulement des 12 magistrats qui y siègent. La Cour dispose d’une administration où travaillent beaucoup de magistrats de carrière et des fonctionnaires et autres spécialistes de tous bords. Cela d’autant que depuis des années, les magistrats du conseil ont acquis une certaine expertise. Du coup, l’instruction de ce genre de dossier ne prend plus beaucoup de temps.

C’est une Cour, pas un acteur politique

Cela d’un côté, d’un autre côté, les avocats des requérants qui n’étaient pas, dans le passé, tellement au fait des lois électorales ont amélioré, eux aussi, leurs connaissances avec le temps et la pratique. De toutes les manières, s’il y a encombrement, il suffit juste, dans ce cas, d’étoffer son staff. En ce sens, la loi organique prévoit (art. 46) : «Afin de remplir des fonctions d’assistance auprès du président et des membres de la Cour constitutionnelle, des magistrats ou fonctionnaires peuvent, selon les cas, être détachés ou mis à disposition auprès de ladite Cour, par arrêté conjoint de l’autorité dont ils relèvent et du président de la Cour constitutionnelle». Ce n’est pas non plus une raison pour attendre de cette institution de se surpasser et ou de déborder de sa mission. L’on n’attend pas de la Cour de se transformer en acteur politique et d’invoquer des considérations politiques. La politique ce n’est pas son rôle, le fond de sa mission est de dire si le sujet est conforme à la Constitution. Et cela, c’est une question d’ordre juridique. Les magistrats font de l’argumentaire juridique et constitutionnel. Il n’y a qu’à se référer aux dizaines de décisions rendues ces derniers mois pour se rendre compte qu’il se conforme au rôle qui est le sien en justifiant ses décisions par arguments juridiques méticuleux.
Pour ceux qui lui reprochent de ne pas disposer de droit d’autosaisine, Khalid Naciri répond que «d’abord parce que ce n’est pas dans la Constitution. Ensuite parce que la Cour constitutionnelle, mis à part son statut ambivalent entre le politique et le juridique, reste une institution de magistrats». Et ses membres sont tenus, dès leur nomination, de s’abstenir de toute activité politique. Cette institution est obligée de rester conforme à sa mission qui est celle de répondre aux questions qui lui sont soumises, comme un tribunal qui ne réagit qu’une fois saisi par les plaignants. Ce qui est attendu de la Cour constitutionnelle c’est d’éviter les dénis de justice. Elle doit se prononcer chaque fois qu’elle est saisie.