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Culture

«Zéro» : sociologie du mépris

Le dernier long-métrage de Nourreddine Lakhmari fait le procès de la «hogra», ce sentiment de mépris qui gangrène la société marocaine. Appliquée à  l’univers de la police, cette «hogra» engendre Zéro : un petit flic effacé, écrasé, aux prises avec un magma de mafieux.

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Dur, dur d’être bébé-flic. Tu commences au ras des pâquerettes et, parfois, tu y restes. Tu t’y vautres, et ça dure des années, des siècles. «Au ras des pâquerettes» : une si douce locution pour une si basse condition ! Au ras de l’asphalte convient mieux. Au ras de la tourbe, au ras de la boue, ça te rapproche plus du quotidien crasseux, crapuleux du poulet en devenir. Si jeune, si tendre, mais déjà éteint, déjà mort. Comme un regard sous psychotropes. Comme un néon brisé. Faut-il, pour devenir commissaire, enlever son âme, l’accrocher comme une veste à l’entrée du poste ? Combien de temps faut-il faire cela ? Combien de plaintes de détraqués, d’éclopés faut-il encore taper dans cette immonde machine pour enfin s’élever au-dessus des abîmes ?

Des questions qui obsèdent l’anti-héros de Zéro, flic dactylographe le jour et, la nuit, détrousseur de vieux libertins. Tapi dans la nuit casablancaise, Amine Bertale attend patiemment que Mimi, sa complice prostituée, harponne un client avant de passer à l’action, badge à la main. «Ça te grise, hein, vieux schnock ? Ça t’excite de sortir avec des jeunettes de moins de seize ans ? De courir les pucelles pendant que Bobonne te cuisine des tajines et repasse tes chemises à la maison ?», vocifère Zéro, imbibé de whisky de contrebande et de mépris.

Car c’est de mépris que parle le long-métrage de Noureddine Lakhmari. Du commissaire divisionnaire qui écrase le commandant qui pulvérise le capitaine qui écrabouille le brigadier. Et ainsi de suite jusqu’en bas de la chaîne alimentaire, jusqu’au Zéro. Oubliez Amine le flicaillon, décemment interprété, au passage, par le jeune Younes Bouab. Ce n’est pas lui, le personnage principal. C’est la toute-puissante, la tentaculaire hogra, qui s’insinue dans les plis, dans les pores de la société marocaine, qui l’asphyxie, l’empoisonne.

Mohamed Majd éblouissant dans le rôle du père indigne

Zéro présente de sérieux atouts : un Casablanca décadent et poétique, des visages maculés de misère et de drames, filmés d’une caméra de maître, bercés d’une musique envoûtante. Des étincelles d’humour noir, grinçant, jubilatoire. La séquence «Allah inaâl bou lâalam» (Que Dieu maudisse le monde entier) vous arrachera des fous rires. Un regard impitoyable sur la misère sociale, la corruption, l’argent sale, les dérives du pouvoir. Côté interprétation, un Mohamed Majd éblouissant, extraordinaire de justesse et de férocité dans le rôle du père indigne et paraplégique de Zéro.
Mais aussi, hélas, de sombres travers. On déplore un certain nombre de clichés, parmi lesquels cet immense cri de douleur et de deuil filmé d’en haut, comme on en a tellement vu dans les blockbusters hollywoodiens ; l’emploi parfois injustifié d’une quantité astronomique de grossièretés. Des invraisemblances aussi, on voit mal comment un petit flic sans envergure et sans influence arriver à terrasser un réseau de proxénétisme impliquant les très hautes sphères économiques et politiques de la ville. Zéro méritait, sans doute, un scénario plus travaillé, plus abouti. Un assez bon film, en somme, qui aurait pu être fracassant.