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Culture

Festival de Marrakech : «L’Attentat», subtil et poignant

L’Etoile d’or du Festival de Marrakech est revenue, cette année, à  Â«L’Attentat» du Libanais Ziad Doueiri. Un chef-d’Å“uvre de finesse et d’émotion.

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Festival de Marrakech 2012 12 17

Le malheur des uns fait le tourment des autres, parfois. Qui se soucierait d’un Arabe d’Israël quand des missiles pleuvent sur les enfants de Gaza ? Les brimades sont peu de choses, les blessures morales, aussi vives soient-elles, s’effacent devant l’atrocité des bombes, devant les pleurs dans les territoires occupés, ensanglantés. Ziad Doueiri a-t-il fait ce film pour (enfin) nous intéresser au sort de la minorité arabe d’Israël, marginalisée, peu médiatisée, victime d’«inégalités économiques, sociales, culturelles et religieuses», comme en témoigne l’historien Robert Blecher dans le quotidien français Le Monde ? Certainement. Le personnage principal du long-métrage primé incarne l’un de ces citoyens israéliens de seconde zone, en proie à un effroyable malaise identitaire, objet d’une éternelle et insupportable suspicion.

L’histoire commence pourtant comme un doux songe, presque insipide : le docteur Amin Jaâfari (Ali Suliman) coule des jours paisibles dans une élégante banlieue de Tel-Aviv aux côtés de son épouse Siham, campée par la renversante Reymonde Amsellem. Le chirurgien vient de recevoir une prestigieuse distinction, une sorte de Prix Nobel de la médecine en Israël ; l’homme est partout adulé, congratulé, lorsqu’un attentat frappe le centre-ville de la capitale. «Appelez quelqu’un d’autre ! Je veux un autre docteur, pas lui, surtout pas lui», hurle un blessé quand il voit arriver le Dr Jaâfari aux urgences. Une broutille comparée à l’immense catastrophe qui guette le médecin. Car sa femme demeure introuvable. «Était-elle au restaurant où l’attaque a eu lieu ? Vont-ils bientôt me demander d’identifier son cadavre ?», tremble le Dr Jaâfari.

Un terrible malaise identitaire, un effroyable climat de suspicion

La réalité est mille fois plus atroce : c’est la moitié d’un cadavre qu’on lui présente (on reconnaît à cela, entre autres, les auteurs des attentats suicide), avant de lui faire vivre quarante-huit heures d’un insoutenable interrogatoire. «Tu ne t’es pas demandé pourquoi ta petite femme n’est pas venue au jour le plus important de ta vie, à la remise de ton prix ? Tu n’as pas percuté que pendant que tu discourais sur la paix et la tolérance, elle était partie se faire péter au milieu des innocents ?», vocifère un flic en démolissant une table des poings. «Tu la couvrais ? Hein ? Tu ressens quoi quand on t’amène un juif au bloc opératoire ? Des envies de meurtre ?».
La tragédie peut commencer. Comment Siham a-t-elle pu commettre pareille barbarie ? Comment ai-je pu ne rien voir venir, moi qui la connaissais, qui croyais la connaître depuis quinze ans ? Une femme si sensible, si tendre, si intelligente, comment ont-ils pu lui laver le cerveau ? Et pourquoi me considère-t-on soudain, et si ouvertement, comme l’ennemi à abattre en Israël ? Où dois-je vivre désormais, quand des deux côtés du mur, j’attise la méfiance ? Quand, ici et là-bas, je ne comprends personne et ne suis compris de personne ? Pendant 102 minutes, le spectateur est entraîné dans ce tourbillon de désarroi, de doutes, dans cette quête bouleversante et impossible de vérité. Avec L’Attentat, Ziad Doueiri s’est attaqué à un sujet périlleux. Il faut beaucoup de doigté pour raconter, à travers un drame humain, intime, éprouvé par un individu, un conflit inextricable, vieux de plus de soixante ans, enduré par un peuple ; pour dire les souffrances, les incompréhensions, les aveuglements, des deux côtés de la frontière. Le réalisateur libanais l’a fait avec un effort constant de justesse. Espérons que les instituts étrangers et les cinémas (Les deux Mégarama, surtout) trouveront, dans leurs salles, une petite place pour ce film si peu commercial mais si passionnant.

«L’Attentat», drame franco-belgo-qataro-égyptien réalisé par Ziad Doueiri. 1h42. Sortie prévue en 2013.