Culture
Ecole d’acrobatie : l’espérance de TangerÂ
à€ Tanger, la forteresse de Bab El-Marsa a été entièrement remise à neuf et sert de salle de répétition pour soixante-neuf apprentis acrobates.

Les habitants de la vieille médina de Tanger vous le diront : il y a quelques mois, la forteresse portugaise était abandonnée, menacée, menaçante, sale à faire pitié. «Et ce délabrement durait depuis des années. On ne pouvait pas s’aventurer ici, raconte Abdelouahid. C’était plein d’ivrognes et de drogués». Et infesté d’ordures, au point que les habitants des immeubles d’en face n’osaient plus ouvrir leurs volets. Mais depuis juin dernier, les pots de géraniums fleurissent sous les fenêtres, des bougainvilliers et des jasmins de nuit jaillissent de partout. Dorénavant, plus personne ne dort dans la bouche de l’énorme canon hérité des Portugais. Plus personne n’urine, le soir, dans les coins sombres de Bab El-Marsa. Quant aux déchets…
Mais, quels déchets ? «J’ai tout nettoyé de mes propres mains, avec l’aide de ma famille et des voisins volontaires. Les fleurs et les arbustes, je les ai achetés avec mes économies», promet Mohamed Hammich. Les efforts citoyens de cet acrobate à la retraite ont fait de cette partie de la vieille forteresse un morceau d’Éden, devenu le QG d’associations d’amateurs de musique andalouse, d’artistes-peintres et… d’acrobates, bien sûr. «Il y a quelques années, j’ai abattu des cloisons dans ma propre maison pour apprendre mon art à mes petits-enfants et à leurs camarades du quartier», confie M. Hammich. Aujourd’hui, soixante-neuf gamins de l’ancienne médina tangéroise rêvent de rutilantes carrières dans les théâtres et sous les chapiteaux. «Ce n’est plus possible de contenir tout ce petit monde dans un salon de 5 m2», sourit le professeur bénévole, qui donne désormais ses cours dans l’enceinte de la forteresse remise à neuf.
«Le Maroc déprécie ses artistes»
Tous les soirs après l’école, des dizaines de minuscules élèves se délestent de leurs chaussures pour faire des roulades, des contorsions et des pyramides sur les nattes recouvrant la longue salle de répétition. «L’apprentissage peut commencer dès l’âge de deux ans. Plus l’enfant est jeune, plus il est zélé et concentré. Les adolescents lâchent généralement assez vite l’affaire, car ils sont trop pressés, ils baissent trop vite les bras», explique le père Hammich, ferme mais indulgent avec tous ses apprentis, les moins doués surtout. Pas question de briser les rêves. Les os encore moins, le maniement de ces petits corps frêles nécessite beaucoup de doigté. Les enfants s’enroulent autour de la taille du professeur et doivent, avec leurs mains, agripper leurs orteils. «C’est pour les assouplir», chuchote Sanae El Kamouni, ravie de voir son fils Yanis essayer de se plier en deux, comme le font déjà très adroitement les petits-enfants de Mohamed Hammich : «Nous sommes tous convaincus qu’ils seront des virtuoses de l’acrobatie», affirme la jeune femme.
«Les gens dans la vieille médina ne savent pas que, grâce à ce métier, leurs enfants peuvent voyager, découvrir de nouvelles choses, des cultures différentes au lieu de végéter ici, de sombrer dans le chômage, le désœuvrement et parfois dans la toxicomanie», s’enflamme Hammich père. «Mais les familles sont, hélas, peu averties de ce genre d’opportunités». L’acrobate retraité a déjà obtenu des contrats à une quinzaine d’élèves, partis travailler dans des cirques européens et américains. «Le Maroc déprécie ses artistes, malheureusement. Il faut briller à l’étranger pour qu’enfin, ici, on daigne vous remarquer.
