Culture
Mohamed El Ouardi : «L’ignorance entrave l’épanouissement de l’individu et le progrès de la société»
Mohamed El Ouardi, Romancier

La Vie éco : La campagne, aride et inhospitalière, est l’univers où vous faites évoluer les personnages de votre premier roman. Pourquoi ce choix ? Estimez-vous qu’on parle mal ou pas assez du milieu rural ?
Ce premier roman est une espèce de règlement de comptes avec une petite partie de mon enfance. C’est effectivement le monde rural, un village coupé du reste du pays, qui vit dans la plus rigoureuse autarcie. Il est clair que c’est un hommage à la campagne, à tous ces villages qui sont derrière les montagnes et dont on ne soupçonne même pas l’existence. Vous savez, là-bas, les gens sont acculés à la misère et ils ne peuvent compter que sur leurs propres moyens. C’est vrai qu’on parle un peu de ce monde, mais on n’en parle pas souvent.
Vous semblez particulièrement pointer du doigt l’illettrisme, l’inculture, la misère morale dans laquelle pataugent des franges de la société marocaine. Pensez-vous que l’éducation soit le problème principal de notre pays ?
Oui, l’illettrisme et la misère morale sont d’une façon ou d’une autre dénoncés dans le livre. Mes personnages sont nombreux mais, excepté Rami (qui est le seul à avoir fait des études, qui lit les lettres des villageois mais qui va se révolter vers la fin du texte justement parce que ses diplômes ne servent à rien…), les autres sont vraiment aveugles et ne comptent que sur leurs instincts. Dans la deuxième partie du roman, on parle de l’électricité mais les personnages ne comprennent même pas le sens de ce mot. Pareil quand les élections approchent. Ces pauvres villageois ne comprennent rien à la vie politique. On leur montre des symboles, un cheval, un pigeon, un épi et puis on leur donne un peu d’argent et le tour est joué. Cette caricature qui s’installe progressivement dans le texte n’est pas gratuite. Elle montre effectivement que l’ignorance est l’un des obstacles majeurs qui entravent l’épanouissement de l’individu et, partant, le progrès de la société.
Kzim, votre personnage vertueux et pétri d’idéaux, se vautre lamentablement quand Louki, l’esprit malfaisant, triomphe. Pensez-vous, comme Hobbes, que l’homme est toujours, dans nos sociétés contemporaines, un loup pour l’homme, qu’il est plus enclin au mal qu’au bien ?
Dans mon livre, un drame familial, celui de Kzim et sa famille, se greffe sur un drame collectif, celui de tout le village. Mon héros est un personnage qui se sacrifie, qui se consume comme une bougie pour éclairer le chemin de sa famille et de sa tribu mais hélas ! Il ne peut y parvenir à lui seul. Louki, lui, incarne le mal mais ce n’est en fait qu’une désillusion. Il avait cultivé la terre par le passé ; il avait aimé, il s’était marié mais c’est la vie qui est dure. Mes personnages affichent bonté et probité mais c’est la vie qui les fouette durement et qui en fait des méchants. Tout le monde se métamorphose à cause non pas d’un mal inné (je raconte que le village était un havre de paix dans le passé), mais à cause d’une haine que l’adversité se chargera de leur mettre dans le cœur.
Écrivez-vous un deuxième roman ? Pouvez-vous nous en parler ?
Oui, j’ai quelques projets, des livres achevés, d’autres qui sont en gestation. Mon deuxième roman parle d’un personnage solitaire qui évolue dans un espace fermé, une petite ville triste du sud-est marocain. Il lit des romans, il a besoin d’en parler, mais les gens sont intéressés par autre chose ; ils achètent, ils vendent, ils spéculent et ils le prennent pour un fou. Le livre évoque ses pérégrinations et ses tourments physiques et moraux. Il est en revanche difficile de trouver un éditeur au Maroc. Les éditeurs ne font pas confiance au roman. Ils pensent que c’est un genre – excusez-moi si j’abuse de cet adjectif – maudit.
