Culture
Jidar : Dix ans et toujours le mur-mure des talents !
Du 8 au 18 mai, on enfile les gants, on secoue les bombes, et on bombarde de couleurs les murs qui claquent, à l’occasion du 10e Jidar – Rabat Street Art Festival. Ce qui fut une rage clandestine, griffée dans l’ombre, s’est muée en un acte célébré. Et ça, ça mérite qu’on gratte la peinture.

Exit la grisaille, place à l’émeute chromatique : pour sa 10e édition (8–18 mai 2025), le festival Jidar tapisse la capitale de fresques XXL, entre calligraphies arabes dansantes, portraits habités entre autres démarches picturales. En une décennie, le Maroc a retourné la veste du street art : d’acte subversif, il est devenu un manifeste joyeux, transformant chaque ruelle en galerie à ciel ouvert. Rabat, longtemps dans l’ombre de Casablanca, a trouvé sa voix, et elle claque comme une bombe de peinture sur un mur brut.
Il y a vingt ans, le street art marocain était une affaire de hors-la-loi. Dans les années 2000, des jeunots comme Rabie El Addouni bravaient la nuit pour taguer routes nationales, ponts et murs de soutènement. Ses lettrages 3D latins et calligraphies arabes, nerveuses et identitaires, étaient des uppercuts visuels dans un Maroc où l’art public n’existait pas. À Casablanca, Mohamed El Bellaoui, alias Rebel Spirit, faisait danser ses personnages pop sur des façades rongées par le temps. Actes rebelles, éphémères, risqués… C’était un art encore jugé vandale.
Le vrai séisme arrive en 2013. À Casablanca, l’association EAC-L’Boulvart fomente Sbagha Bagha, un festival qui fait des murs des toiles et des graffeurs des griots modernes. La même année, la Fondation nationale des musées (FNM) ouvre les portes du Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain aux œuvres urbaines. Le message est clair : le street art n’est plus un délit, c’est un trésor. Les autorités, qui voyaient dans chaque tag une menace, commencent à saisir le potentiel : l’art de rue peut redessiner l’âme des villes.
Rabat, un canevas géant
Rabat, souvent taxée d’austère face à la bouillonnante Casablanca, entre dans la danse en 2015 avec Jidar. « L’ambition était de rendre le street art visible et accessible. Presque dix ans plus tard, c’est une réalité : plus de 100 fresques recouvrent aujourd’hui les murs de Rabat, tous quartiers confondus. Réalisées par les plus grands street artistes nationaux et internationaux, ces “murales” font désormais partie intégrante du paysage urbain», lit-on dans un note des organisateurs.
On y trouve des locaux comme Majid Elbahar (Majic Joe) avec ses explosions graphiques, ou Imane Droby qui croque des scènes marocaines d’une finesse bouleversante, côtoyer l’Espagnol Okuda qui hypnotise avec ses triangles géométriques, ou encore la Mexicaine Paola Delfín qui immortalise la puissance des femmes du marché. Chaque façade raconte : zelliges revisités, visages qui harponnent le regard, abstractions qui électrisent l’asphalte.
Cette année, ce patrimoine s’enrichira de dix nouvelles fresques signées par onze artistes, venus de huit coins du globe. De l’Espagnol Ratur au Mexicain Smithe, en passant par le Croate Lonac, le Belge Nean, le Japonais Kyosuke Shimogori ou encore l’Équatorien Yankamata, sans oublier les Marocains Azhar et Masawi, cette bande de virtuoses du spray va faire chanter les murs de Rabat. Avec Murfin et Demsky, autres pointures espagnoles, et Iota, second Belge de la liste, chaque façade deviendra une explosion visuelle, un choc artistique qui mêle cultures et imaginaires.
À Yacoub El Mansour, un vendeur du coin lâche, ému : «Avant, ces murs étaient morts. Maintenant, ils parlent, ils respirent». Les habitants, d’abord méfiants face à ces invasions colorées, sont conquis. Les mômes rêvent de bombes aérosol, les anciens sourient devant ces murs qui chantent. Rabat n’est plus seulement la ville des ministères : y flâner, c’est plonger dans une fresque géante. Jidar a allumé l’étincelle à coups de spray, et le feu n’est pas près de s’éteindre.
