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Idées

Mal à  ma ville

Même s’il y eut des mercenaires criminels pour déposer et actionner la bombe à  distance, à  Marrakech, personne ne s’est tué pour tuer. C’est important. Et donne à  penser que les commanditaires de cet acte odieux n’ont pas, ou plus, de prise sur la société.

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Hinde TAARJI 2011 05 10

Après l’enthousiasme et l’espoir renaissant, la rage et la consternation. Les Marrakchis ont le cœur en berne. J’en suis une, d’où la difficulté à trouver les mots pour parler de ce jeudi noir. Colère, révolte, peine, tout se mélange. Ils ont osé ! Osé toucher à Jamaa El Fna, ce lieu mythique, ce lieu de fraternité où, depuis des siècles, errants et hommes de bien se croisent et se mêlent en un vivifiant bain d’humanité ! Mais qu’est-ce que des gnomes peuvent connaître à l’humanité ! Car celui qui actionna la bombe, ceux qui ont commandité l’attentat du 28 avril ne sont rien d’autre que cela, des gnomes, d’infâmes gnomes vivant en marge de la société des hommes !

On savait Marrakech dans le collimateur des assassins. Mais on ne voulait pas y penser. Parce qu’à Marrakech, on ne pense pas au pire. Les idées sombres, on leur tourne le dos, on leur tord le coup dès qu’elles montrent le bout de leur nez. La cité rouge est une amoureuse de la vie. Elle la célèbre en toute circonstance, notamment sur cette place, cette place magique où les frontières s’annihilent et où votre âme d’enfant renaît. Tuer là, y assassiner des personnes venues d’ailleurs, commettre ce sacrilège de s’en prendre à l’invité de passage, bafouant la tradition des aïeux qui veut qu’on ne touche pas à celui que l’on reçoit sous son toit, c’est poignarder Marrakech. Chercher à éteindre son grand rire, ces étoiles dans son regard et cette bonhomie qui la font. Mais Marrakech, sous son apparente légèreté, possède une force inouïe. La force de vie qui fait se relever en toute circonstance. Des épreuves, la ville de Youssef Ben Tachfine les a connues tout le long de son histoire. Elle leur doit ce formidable sens de l’autodérision, cette capacité à rire de tout, et surtout de ce qui n’est pas plaisant. Là, il lui faudra du temps pour se relever mais elle se relèvera, comme elle l’a fait par le passé. Et son rire résonnera à nouveau, profond et contagieux, baume à l’âme pour qui le reçoit en offrande.

Ce 28 avril 2011 réveille chez les Marocains le souvenir traumatique du 16 mai 2003. Ce jour-là, le Maroc fit l’expérience terrible de la démence intégriste. Quarante-cinq personnes y ont laissé la vie. Contrairement à l’attentat de Marrakech, ceux de Casablanca causèrent essentiellement des victimes marocaines même si des étrangers comptèrent parmi elles. Mais la différence majeure entre le 28 avril 2011et le 16 mai 2003 réside dans le mode opérationnel. A Marrakech, la bombe a été actionnée à distance. Des survivants ont en effet rapporté avoir vu un homme quitter le café en laissant un sac, quelques instants avant l’explosion. Par contre, à Casablanca, les quatre attentats ont été commis par des kamikazes. Quatre jeunes marocains qui se sont bardés d’explosifs pour causer le maximum de morts par leur suicide. Au traumatisme des attentats s’était rajoutée cette prise de conscience de l’existence au sein de la jeunesse d’un désespoir tel qu’il pouvait conduire à un acte aussi terrible que se tuer pour tuer. Que des attentats suicide soient commis par des personnes comme les Palestiniens, l’esprit, malgré la dimension inacceptable du fait de tuer des civils innocents, peut le concevoir. Mais retrouver ce même degré de désespoir chez soi, dans un pays en un état de paix, la déflagration sur le plan psychologique a été aussi forte que celle de l’explosion en elle-même. Les Marocains ont réalisé alors que certains de leurs concitoyens se vivaient comme des morts-vivants. Des morts vivants qui, de ce fait, n’ont pas grand-chose à perdre en mourant vraiment. Des proies idéales pour les idéologistes de la mort qui surent en faire «bon» usage ce 16 mai 2003. Mais, à Marrakech, les auteurs de l’attentat n’ont pas eu recours à cette chair à canon.

Cela peut laisser supposer qu’ils n’ont pas pu en disposer. Voilà qui console quelque peu. Même s’il y eut des mercenaires criminels pour déposer et actionner la bombe à distance, à Marrakech, personne ne s’est tué pour tuer. C’est important. Et donne à penser que les commanditaires de cet acte odieux n’ont pas, ou plus, de prise sur la société.