Idées
Maux des nouveaux mots

Jusqu’au dernier Salon du livre de Paris, j’étais certain que les habitants de la Laponie étaient des Lapons, je n’étais pas dans l’erreur, sauf qu’ils ont décidé de porter le nom de Samis, et c’est sous cette domination que leurs écrivains se sont présentés à la prestigieuse manifestation littéraire. Les braves bouffeurs de rennes invoqueront, sans doute, de bonnes raisons pour justifier cette substitution, mais, beaucoup leur tiendraient rigueur d’être, par leur faute, obligés, encore une fois, de désapprendre un mot pour en apprendre un nouveau. A la longue, cela devient agaçant. Elève, je commençais à apprivoiser les noms des contrées lointaines, telles que le Nyassaland, le Bechuanaland (à vos souhaits !), le Dahomey ou la Haute-Volta, auxquels, stimulé par mes héros Zembla et Tarzan, je m’étais mis à prêter mille et une séductions, quand ils furent congédiés au profit de Malawi, Botswana, Bénin et Burkina Faso. Cette valse ne me révulse pas autant que cette lame de fond linguistique frappant non seulement des expressions chargées de connotations politiquement discriminatoires ou sexistes mais aussi des mots courants parce qu’une minorité décide un beau jour qu’ils doivent être bannis. A quoi rime d’imposer, par exemple, «non-voyant» à la place d’aveugle, «malentendant» au lieu de sourd, «technicienne de surface» en remplacement de femme de ménage ? A rien. Sinon à créer des sanctuaires du non-dit et, plus gravement, à maintenir sous la surface harmonieuse du vocabulaire édulcoré des discriminations très réelles. Mieux vaut désapprendre ces néologismes.
