Idées
Ignoble !
Qui est Al Qaïda et comment s’est construite l’idéologie dont elle est porteuse ? C’est cela la vraie question que les gouvernants des pays musulmans évitent soigneusement de poser. Et quand elle est soulevée, c’est pour ressortir la rengaine habituelle sur la colonisation, l’impérialisme occidental, le conflit israélo-palestinien, etc. Ces facteurs certes jouent de leurs poids mais ils ne sont pas les seuls en cause.
Plus tard -aujourd’hui déjà, en vérité- on expliquera leur départ et leur disparition d’une terre dont ils sont l’une des plus anciennes composantes par le fait qu’ils aient été le cheval de Troie à travers lesquels l’impérialisme occidental perpétuait sa domination culturelle sur le monde musulman. L’histoire officielle racontera comment, un beau jour, ils sont partis, les uns après les autres, pour rejoindre leurs coreligionnaires dans les pays chrétiens, manipulés qu’ils furent de l’extérieur par des ennemis de l’islam. Et, en filigrane, on distillera l’idée que leur patriotisme était sujet à caution, d’où la méfiance -légitime, bien entendu- qui pouvait naître à leur égard de la part de la population, musulmane cela s’entend. Que parmi les fers de lance de la lutte pour l’indépendance, on ait compté, jadis, des figures de proue de confession chrétienne (un Michel Aflak par exemple) ne relève pas des choses importantes à conserver en mémoire. Un jour donc, nous dira l’histoire officielle, ils ont simplement cessé d’être là, liquidant en quelques lignes des siècles de présence et de vie commune.
Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, vingt deux personnes ont trouvé la mort dans une église d’Alexandrie. Vingt-deux personnes dont le crime était d’aimer et de louer le nom de Jésus. Dont l’erreur funeste fut d’appartenir à la communauté copte et non à la Oumma musulmane. Ils sont morts, peu après minuit, déchiquetés par l’explosion d’une voiture piégée, stationnée devant leur église. Après l’attentat perpétré le 31 octobre dernier contre une cathédrale irakienne, faisant un nombre de victimes tout aussi dramatique, cela a donc été au tour des chrétiens coptes d’Egypte d’être assassinés en pleine génuflexion. En terre d’islam, une fois de plus, le crime et le sang à l’encontre d’innocents. Que cet acte odieux ait été perpétré en Egypte, comme les mois derniers en Irak, et que l’on soit au Maroc, ne change rien au sentiment que l’on peut ressentir. Une honte, une honte sans nom pour toute personne de confession, ou de culture, musulmane. Une honte qui vous laisse un sentiment de dégoût et d’amertume au fond de la gorge. Jusqu’où et jusqu’à quand, nous autres, qui appartenons à la sphère musulmane, allons-nous continuer à dériver ? S’attaquer à des minorités, c’est comme s’en prendre à des femmes et des enfants, à savoir des personnes qui, du fait de leur faiblesse, physique ou numérique, sont dans l’incapacité de se défendre. En cela est bafoué un code moral nature universel. On aura beau jeu d’avancer que les terroristes, en Irak les mois derniers ou en Egypte cette nuit de Saint-Sylvestre, ne s’en prennent pas qu’aux seuls chrétiens, qu’ils frappent tous azimus au sein de la population musulmane. Cela est vrai, sauf que dans le délire de ces criminels, pour ce qui est du cas présent, s’ajoute un facteur supplémentaire : celui du rejet viscéral et maladif de celui qui n’est pas comme soi. Le but est clairement défini ; il faut pousser au départ ces éléments exogènes à la communauté des musulmans car ils ne peuvent y être que source d’impureté. Que leur appartenance à cet espace remonte à la nuit des temps et qu’ils aient été là avant que l’islam ne s’y propage ne change rien à la donne, sinon à rendre le rejet plus fort encore. Cet objectif est en partie atteint, en Irak notamment où, en l’espace de quelques années, la communauté chrétienne s’est réduite de moitié. Vingt millions de chrétiens vivent aujourd’hui encore dans ce qui fut le berceau du christianisme. Ils sont près de huit millions en Egypte où ils représentent près de 10% de la population, d’où la crainte de «guerre civile» évoquée par les responsables égyptiens. Le président Housni Moubarak a beau jeu de dénoncer «la main étrangère». Au vu de la sophistication de la charge explosive et des menaces proférées par le groupe irakien de la mouvance d’Al Qaïda à l’encontre des coptes, les accusant de maintenir prisonnières deux épouses de prêtres qui se seraient converties à l’islam, il y a de bonnes raisons de croire que la nébuleuse intégriste est derrière cet acte. Mais qui est Al Qaïda et comment s’est construite l’idéologie dont elle est porteuse ? C’est cela la vraie question que les gouvernants des pays musulmans évitent soigneusement de poser. Et quand elle est soulevée, c’est pour ressortir la rengaine habituelle sur la colonisation, l’impérialisme occidental, le conflit israélo-palestinien, etc. Ces facteurs certes jouent de leurs poids mais ils ne sont pas les seuls en cause. Il y a également ce qui a été fait de nos indépendances et ce qui nous a été enseigné dans nos écoles. La manière dont nos esprits ont été formatés, le refus -ou l’incapacité- de sortir du despotisme politique et idéologique, de relire l’islam avec les instruments de la modernité. L’échec de ce monde arabo-musulman à renouer avec le temps de l’Andalousie et à produire lui aussi ses «Lumières». C’est tout cela, à côté des facteurs géopolitiques, qui a contribué à favoriser la naissance d’une pieuvre telle Al Qaïda. Alors de grâce, cessons de faire porter le chapeau de ce qui nous arrive à l’autre et commençons à nous regarder en face. Il est plus que temps d’affronter le miroir et ce qu’il nous renvoie comme image de nous-mêmes.
