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L’élément déterminant reste, plus même que l’intelligence ou le talent, la force intérieure qui permet de garder le souffle long, d’affronter la vie pour ce qu’elle est, une course d’obstacles permanente. pour s’en sortir dans cette chienne de vie, la qualité indispensable reste la capacité, quels que soient l’épreuve ou le contexte, à  pouvoir rebondir autant de fois que nécessaire. Le secret d’une réussite, ou simplement d’un parcours de vie correct, se cache souvent là .

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A chacun d’entre nous, la vie réserve des épreuves plus ou moins difficiles, plus ou moins surmontables. Y faire face avec dignité demande du courage, une qualité que certains possèdent plus que d’autres. Le courage éveille le respect, quand ce n’est l’admiration. On le salue pour ce qu’il traduit de force intérieure et de capacité à maitriser la peur et l’effroi. Cette qualité, qui se révèle dans l’épreuve, se rencontre parfois là où on ne l’attend pas. Elle surprend d’autant plus qu’il s’agit de personnes de prime abord «ordinaires». Ainsi de cette histoire exceptionnelle, celle d’un homme, Philippe Croizon, dont la vie s’écoulait jusque-là sans relief particulier. Un coup du sort, terrible, et voilà que de cet obscur anonyme a émergé un héros des temps modernes.

Dans une vie antérieure, Philippe Croizon travaillait en tant qu’ouvrier dans une usine de métallurgie, fourmi parmi d’autres. Aujourd’hui, son exploit est dans tous les médias. Suite à un accident, Philippe Croizon se retrouve amputé des quatre membres. On peut imaginer l’horreur d’un tel handicap pour quelqu’un né bien portant. Mais là où d’autres auraient sombré dans un trou noir, cet homme a fait preuve d’une force de vie qui confond d’admiration. Admiration est d’ailleurs un faible mot devant la performance incroyable réalisée par cet ancien ouvrier. Le 18 septembre dernier, cet amputé des quatre membres traversait la Manche à la nage ! Trente-trois kilomètres parcourus en treize heures grâce à des prothèses de jambes munies de palmes ! Un exploit sans précédent pour un nageur aussi lourdement handicapé !

Un tel exploit, pour ce qu’il implique de courage, d’endurance et, surtout, de refus de baisser les bras, rappelle combien, plus que la chance ou la naissance, la vie qui nous échoit est d’abord le fruit de notre capacité à confronter l’épreuve. Autrui, le mauvais sort, le pas-d’chance sont les causes souvent invoquées pour expliquer un destin insatisfaisant. Or, si ces facteurs ont leur poids, l’élément déterminant reste, plus même que l’intelligence ou le talent, la force intérieure qui permet de garder le souffle long, d’affronter la vie pour ce qu’elle est, une course d’obstacles permanente. Tout le monde certes -et heureusement- n’est pas appelé à vivre le drame d’un Philippe Croizon, d’avoir donc à faire preuve d’une aussi exceptionnelle pugnacité. Mais, pour s’en sortir dans cette chienne de vie, la qualité indispensable reste la capacité, quels que soient l’épreuve ou le contexte, à pouvoir rebondir autant de fois que nécessaire. Le secret d’une réussite, ou simplement d’un parcours de vie correct, se cache souvent là. Deux vieux MRE, croisés cette semaine, m’ont paru l’illustration de cette réalité. Tous les deux ont émigré en France avec le même bagage, à savoir rien, juste leurs muscles et leur jeunesse. Tous les deux sont de ces hommes que l’on était parti chercher dans leurs villages pour contribuer à l’économie française au cours des «trente glorieuses». Le premier s’appelle Abdou (pseudonyme). Arrivé dans les années 60, il a suivi le parcours classique de l’époque, la mine puis l’usine. Mais à l’issue d’une vie Abdou s’est constitué un capital, a installé ses enfants dans la vie, et ses vieux jours,  il les coule paisiblement en France avec une seconde épouse. Agé de quatre-vingts ans, il en paraît quinze de moins. Vif et alerte, il aime les bons mots et fait preuve d’une énergie étonnante pour son âge. Bachir (pseudonyme) lui, est plus jeune. Mais des rides profondes labourent son visage et la tristesse de son regard est insupportable. A ce jour, comme à celui de son arrivée en France, il vit en «zoufri», c.à.d en célibataire, à partager une chambre obscure avec un autre compagnon d’infortune. Sans travail stable, il alterne les périodes de chômage avec des petits boulots d’intérimaire. Ses enfants, qu’il avait laissés au pays, n’ont rien fait de leur vie et lui reprochent de ne pas les avoir fait venir en France. A la veille de la retraite, Bachir, le corps usé et l’âme délabrée, n’a rien, pas même la perspective de vieillir en paix au milieu de l’affection des siens. Une vie gâchée de bout en bout.

Partis d’un même point, ces deux parcours de vie, un moment, ont divergé. Pourquoi ? Les causes certes doivent être de différents ordres mais si l’on venait à creuser, on trouverait à coup sûr une différence de tempérament. Un caractère qui fait mordre dans la vie, aussi dure peut elle être, parce que c’est la vie et qu’une vie, on en a qu’une. C’est cela qu’un Michel Croizon, par son extraordinaire refus de baisser les bras, nous rappelle. Et c’est cela, que, toujours et en toutes circonstances, nous devons nous garder d’oublier.