En Couv’. Mohamed Sulaimani :«L’illicéité des sites étrangers de jeux de loterie paraît indéniable»

Qui n’a jamais rêvé de décrocher le gros lot ? Le Loto, jeu phare de la Loterie nationale, fait miroiter à des millions de Marocains la possibilité de remporter le jackpot grâce à ses trois tirages hebdomadaires. Mais les produits de la Loterie nationale ne se limitent pas au seul Loto. Le Keno, le Quatro et d’autres jeux à gratter font le bonheur de millions de joueurs marocains. L’institution dirigée par Mohamed Sulaimani tient à maintenir un cadre de jeu responsable, bien loin des dérives de certaines plateformes offshore.

Récemment, un joueur a remporté le jackpot du Loto en jouant en ligne. Est-ce révélateur d’un changement dans les habitudes de jeu ?
Effectivement, le site de jeux en ligne et l’application mobile de la Loterie nationale ont enregistré de nombreux gagnants cette année. Parmi ces gagnants en ligne, plusieurs ont réalisé des gains considérables, dont un internaute qui a remporté plus de cinq millions de dirhams lors du tirage du Loto du 24 avril dernier. Cependant, notre site de jeu, lancé depuis douze ans (2011), avait d’ores et déjà enregistré un grand gagnant de plus de six millions de dirhams. L’amélioration de l’expérience digitale du joueur et l’innovation continue sont les orientations stratégiques adoptées par la Loterie nationale, dont les équipes fournissent des efforts considérables pour le développement de l’usage des plateformes en ligne.

Le confinement n’a-t-il pas favorisé les jeux en ligne ?
Effectivement, ces efforts, combinés aux effets de la dernière crise sanitaire qui a bouleversé les habitudes des citoyens de manière générale, ont conduit à un recours accru aux jeux en ligne. Depuis 2020, de nombreux joueurs sont passés par le site eloterie.ma pour remplir des grilles Loto, Keno et Quatro, et jouer à des jeux instantanés exclusifs en ligne ou tout simplement pour consulter les résultats de leur jeu préféré. Pour revenir aux actions entreprises dans la poursuite de la dynamique du digital, la Loterie nationale s’est inscrite dans une démarche permettant d’améliorer l’accessibilité aux jeux en ligne, à travers le lancement récent d’un nouveau service dénommé «Tickit», qui permet de recharger un compte en point de vente pour jouer librement depuis le site ou l’application mobile de la Loterie nationale.

Peut-on quantifier la proportion de joueurs en ligne par rapport à l’ensemble des joueurs ?
Dans le cadre de ses orientations stratégiques visant à accompagner les évolutions technologiques, la Loterie nationale a étoffé son offre de jeux instantanés exclusivement disponibles sur le site eloterie.ma et a lancé une application mobile, ce qui a permis d’enregistrer une progression exceptionnelle des mises collectées en ligne par rapport à l’année précédente de plus de 500%. Actuellement, le nombre de joueurs en ligne avoisine la dizaine de milliers et la part des mises collectées en ligne représente environ 1% des mises totales, soit dix-huit millions de dirhams en 2022.

Sisal, l’entreprise chargée de la gestion des jeux pour le compte de la Société de gestion de la Loterie nationale, a été acquise par le britannique Flutter. Quels sont les impacts de cette acquisition sur la Loterie nationale ?
Nous sommes convaincus que l’acquisition de Sisal par un groupe international comme Flutter Entertainment ouvre des perspectives très positives, en ligne avec les orientations stratégiques de la Loterie nationale. Le groupe Flutter dispose de ressources considérables et d’une expertise accrue en matière de jeux en ligne qui sera, certainement, bénéfique au développement de ce canal au Maroc.

La Loterie nationale est une entreprise publique qui évolue dans un cadre réglementé strict. Cependant, de nombreux Marocains se tournent vers des plateformes étrangères. Quels sont les risques ?
Par opposition aux opérateurs de jeux clandestins, notamment en ligne, l’activité de la Loterie nationale se déploie dans le cadre des principes fondamentaux qu’il est utile de rappeler. D’abord, la mise à la disposition d’un cadre de jeu approprié, limitant ainsi son exposition aux risques inhérents aux jeux illégaux et clandestins. Il y a aussi la mise en place d’un cadre de jeu sécurisé et responsable, destiné à un public majeur, avec notamment la diffusion de messages de sensibilisation rappelant que le jeu doit relever du divertissement et n’a pas vocation à constituer une alternative au travail.
Il faut préciser que la SGLN, société de gestion de la Loterie nationale, justifie de certifications de conformité aux exigences et standards les plus élevés du jeu responsable établis, respectivement, par la World Lottery Association et l’association European Lotteries. Enfin, il y a l’allocation de la totalité des revenus à des causes d’intérêt général, notamment à caractère social. La SGLN n’ayant aucunement pour vocation la recherche de profits.

Et pourtant le jeu sur des sites étrangers est devenu un véritable phénomène…
Rappelons que ces dernières années, le digital s’est fortement développé au Maroc grâce aux progrès réalisés à tous les niveaux et tous secteurs confondus, notamment en termes de connectivité et de développement de l’offre en ligne, ce qui a également concerné le secteur marocain des jeux de hasard. Sur le plan international, le développement des paiements électroniques à travers des cartes bancaires internationales et l’augmentation de la dotation e-commerce ont profité aux opérateurs internationaux, notamment les sites de paris en ligne et bookmakers transnationaux, de plus en plus nombreux. La vaste majorité des sites offshore acceptent un large éventail de méthodes de paiement que ce soit pour le dépôt ou le retrait des gains. Les «Crypto money» sont largement répandues aussi. Il apparaît aussi que certaines banques marocaines sont mises en avant pour le retrait des gains sur ces sites étrangers.

Ces plateformes proposent souvent des jeux plus lucratifs et des paris sportifs plus attractifs, ce qui pousse de plus en plus de Marocains à choisir ce canal. Est-ce de la concurrence déloyale ?
Les opérateurs exploitant ces plateformes s’adressent aux joueurs marocains hors de tout cadre légal, ne versent, à la connaissance de la SGLN, aucune redevance à l’État marocain et ne respectent pas la réglementation applicable au secteur des jeux au Maroc. Ces opérateurs s’appuient sur 3 principaux leviers très attractifs pour les joueurs : une offre riche de produits, un taux de retour aux joueurs élevé et une politique commerciale et marketing agressive (bonus, affiliation…). En revanche, ces opérateurs ne sont pas en mesure d’assurer certains fondamentaux, en particulier pour ce qui concerne la protection des joueurs et le recours à des méthodes de paiements sûres et transparentes, car elles ne sont pas conformes aux pratiques internationales contrairement aux sites légalement autorisés.

L’entreprise 1XBET, qui mène une campagne de communication agressive, peut-elle légalement exercer des activités au Maroc ? Profite-t-elle d’un flou juridique ?
L’illicéité des sites étrangers de jeux de loterie en ligne au Maroc nous paraît indéniable. Il est essentiel de rappeler que le Code pénal marocain prohibe et sanctionne, à travers ses articles 283 et 284, l’exploitation de loteries non concédées par l’autorité publique. Hors du cadre de la Loterie nationale, créée par la loi n° 23-71 du 31 décembre 1971 et régie par un cadre spécifique, le législateur ne permet que l’organisation ponctuelle, pour un seul tirage, de loteries dont les profits sont destinés à des fins d’intérêt général, et ce, selon un régime d’autorisation mis en place par ladite loi. En substance, pour chaque tirage, une autorisation du secrétaire général du gouvernement est requise. Bien que ces dispositions datent d’une époque antérieure à l’émergence d’Internet, nous considérons qu’elles s’opposent à ce qu’un opérateur étranger adresse, via les canaux en ligne, une offre de jeux de hasard aux internautes marocains.