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Idées

La crise : pas de sortie unijambiste

Ce que certains qualifient de «l’exception marocaine», cette croissance vive dans un environnement en récession, pourrait se révéler un mirage, l’an prochain, si la demande intérieure ne se maintenait pas. Cela dépendra surtout de l’attitude des ménages.

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Le Maroc pourra-t-il sortir de la crise l’an prochain ? Oui, dit le gouvernement, qui mise, dans son Budget, sur une croissance de plus de 3% pour 2010. Pas vraiment, disent quelques chefs d’entreprises, qui, tout en gardant le moral, annoncent que les nouvelles commandes stagnent depuis le début de l’année et les stocks de produits finis sont supérieurs à leur niveau normal (le thème a fait l’objet d’un dîner-débat organisé par La Vie Eco avec Salaheddine Mezouar, ministre de l’économie et des finances, jeudi 18 mars). Qui a raison ? Impossible de trancher, car la prévision économique n’est pas près de devenir une science exacte. Déjà en 2009, les Cassandre, très majoritaires à l’époque, n’avaient pas totalement tort face à ceux qui faisaient le pari que les conséquences négatives de la crise financière sur l’économie marocaine ne seraient qu’un simple «trou d’air». Certes, l’économie marocaine a fait preuve d’un dynamisme beaucoup plus marqué que la moyenne mondiale, mais il faut remercier le ciel d’avoir dopé, en partie, la consommation des ménages ruraux. Car le marché mondial et un contexte européen qui reste globalement (et sans doute durablement) peu favorables à la croissance ont plutôt tiré les performances économiques nationales vers le bas. Cette année, la situation internationale, très mouvante, peut évidemment réserver encore bien des (mauvaises) surprises, mais l’observation de quelques aspects de l’économie incite plutôt à rester zen. Ce que certains qualifient de «l’exception marocaine», cette croissance vive dans un environnement en récession pourrait se révéler un mirage, l’an prochain, si la demande intérieure ne se maintenait pas. Cela dépendra surtout de l’attitude des ménages. S’ils choisissent d’écouter les oiseaux de mauvais augure et renoncent à consommer pour épargner davantage, les Cassandre pourraient finalement avoir raison… C’est que l’année agricole, même si elle bénéficie des meilleures conditions climatiques, n’aura pas le même impact sur les revenus et la croissance. De plus, depuis le début de l’année, des secteurs industriels moteurs ne donnent pas de signe d’une vive reprise (l’automobile, les biens de consommation durables entre autres). La valeur ajoutée de l’industrie, qui s’était mise à croître au rythme davantage plus élevé que l’économie dans son ensemble, risque de revenir à un rythme annuel plus ralenti. C’est notamment le résultat d’un ralentissement marqué des exportations de produits manufacturés. Les perspectives dépendront de l’évolution des comportements des ménages. La forte hausse des prix alimentaires qui accompagne le mauvais temps entraîne une pression inflationniste. Et, corrélativement, une perte de pouvoir d’achat des ménages. La consommation des ménages ne progresserait que faiblement. Ce ralentissement présenterait plusieurs menaces sur la bonne marche des entreprises. Déjà, les entreprises se plaignent de capacités de production insuffisamment employées. L’état financier des entreprises risquerait de pâtir de cette situation. Le taux d’épargne des entreprises, c’est-à-dire l’argent qu’il leur reste une fois que salariés, fournisseurs, banquiers, fisc et actionnaires ont été payés, pourrait, lui, régresser. Pour financer les investissements, alors que leur épargne diminue, les entreprises s’endetteraient à un rythme plus élevé. Les crédits contractés par les entreprises pèseraient sur leurs charges même si les taux d’intérêt se maintiennent, à court terme comme à long terme, au niveau de la fin de l’année 2009. La banque centrale paraît décidée à faire le nécessaire pour préserver le mouvement. Mais il est à craindre que les besoins de financement du Trésor pour couvrir son déficit ne fassent pression sur la liquidité des banques. La façon dont va évoluer l’investissement des entreprises est évidemment une des incertitudes les plus importantes pour le niveau de la croissance l’an prochain. La réponse est à chercher aussi bien du côté de la demande qu’elles vont anticiper que du côté du financement. Les décisions d’investissements varient en effet très vite en fonction de la perception qu’ont les entreprises de la conjoncture. Les exportatrices soulignent des pertes de position dans les marchés extérieurs. Rien de très surprenant : du fait du comportement des économies européennes, le boom n’est évidemment plus d’actualité. Ce n’est pas le commerce extérieur qui tirera la croissance l’an prochain. La croissance dépendra donc surtout de l’évolution de la demande intérieure. Et d’abord de la consommation des ménages. Or, la dynamique des salaires n’est pas forte et le salaire par tête ne progresse pas sensiblement.  L’endettement des ménages augmente, malgré le niveau plutôt bas des taux d’intérêt. Il y a tout lieu de craindre que les ménages, écoutant les Cassandre, choisissent de remplir leurs bas de laine plutôt que de dépenser leurs revenus supplémentaires. Dans un contexte où le spectre d’une dégradation de la compétitivité extérieure du Maroc est toujours agité, la sortie de crise a besoin de s’appuyer sur une autre jambe: la consommation des ménages. La politique de soutien à une demande interne encore incertaine ne s’impose-t-elle-pas ? Les stabilisateurs automatiques, grâce à un niveau soutenable de dépenses sociales et publiques, vont-ils jouer pleinement leur rôle ?