Idées
Ce racisme qui ne dit pas son nom
La Nakba, le massacre de Deir Yassin, Gaza, toute ces histoires de sang et de larmes d’un peuple dépossédé de sa terre doivent trouver leur place dans nos manuels scolaires. L’étude de l’Holocauste n’est pas une manière de fermer les yeux sur les crimes d’Israël à l’égard des Palestiniens. Au contraire, elle les rend encore plus inacceptables.

Elle est là, toujours prête à bondir, même pas tapie dans l’ombre mais à fleur de lumière, à l’affût du premier prétexte à saisir pour dégueuler son fiel. Si son appellation, comme ses proies, varie selon l’espace et le temps, ses ressorts eux, demeurent les mêmes, à savoir la haine de l’autre, le rejet viscéral de celui-ci en ce qu’il est porteur de différence, qu’elle soit ethnique, confessionnelle ou de conception. Elle, c’est la bête immonde du racisme compris au sens large, la race n’étant pas le seul lieu du différent. Elle fait son lit de l’ignorance, du préjugé et des névroses, individuelles et collectives. Contre elle, le combat se doit d’être celui de l’Etat par le biais de la loi mais également celui du citoyen par le refus du silence et de la passivité devant ses expressions. Notre pays aime à se présenter comme une terre de tolérance où le minoritaire jouit du respect du majoritaire. Cette image d’Epinal lui est chère. Même si la réalité est autrement plus nuancée, le désir d’être ainsi perçu traduit une reconnaissance, et une conscience, de l’importance de l’acceptation de l’autre. L’histoire immémoriale du Maroc lui a en effet enseigné que plus cette dialectique a été agissante en lui, plus il a été puissant, politiquement et intellectuellement. Et que, par opposition, chaque fois qu’il a cédé aux tentations du sectarisme et du totalitarisme, les ténèbres de la décadence se sont refermées sur lui.
Au cours d’une conférence de presse, Khalid Soufiani, de l’Association de solidarité avec la Palestine et de soutien au peuple irakien s’en est violemment pris à André Azoulay. Il l’a mis en demeure de définir son identité, de dire s’il est Israélien ou Marocain, stipulant que s’il est Israélien, il doit partir, le Maroc et les Marocains ne voulant pas de lui. La raison de cette attaque ? Le souhait exprimé par M. Azoulay de voir l’histoire de l’Holocauste enseignée aux élèves et lycéens marocains. Partant du fait -indiscutable- qu’Israël instrumentalise la question du génocide juif pour culpabiliser l’Europe et avoir les mains libres à l’égard des Palestiniens, M.Soufiani estime que Azoulay, en voulant intégrer l’étude de l’histoire du génocide juif dans l’enseignement marocain, participe à cette politique. Sert donc les intérêts d’Israël. Et de ce fait, dévoile sa véritable identité, celle d’être un Israélien. Pourquoi ? Parce qu’il est juif. Un marocain de confession musulmane qui défendrait cette idée aurait-il été de la sorte interpellé sur son identité ? Il va de soi que non ! Voilà où est l’inacceptable. Au-delà de son habillage «militant» et «nationaliste», cette attitude exprime un antijudaïsme flagrant. En cela, elle est à dénoncer de la manière la plus ferme d’autant que son auteur est un acteur en vue du champ socio-politique. Dans la sortie de Khalid Soufiani se déploie également une pensée unique qui vous dénie le droit de penser différemment. Parce que quelqu’un a émis une idée qu’on ne partage pas, on l’interpelle sur son identité ! Qu’est-ce sinon du terrorisme intellectuel ! D’autre part, M. Soufiani s’octroie le droit de parler au nom du Maroc et des Marocains. Mais, cher Monsieur, moi, Marocaine, je ne vous reconnais pas le droit de parler en mon nom. Je ne vous ai jamais mandaté dans ce sens. Vous n’êtes pas plus le Maroc que je ne le suis. Votre manière de voir le monde est la vôtre, pas la mienne. Pas plus que celui de parler en mon nom, je ne vous reconnais le droit de penser pour moi.
Pour en revenir à l’étude du génocide juif, celle-ci ne saurait être assimilée à un positionnement sioniste. Des Palestiniens de renom comme le grand penseur décédé Edward Saïd (voir extrait ci-joint)(*) se sont publiquement prononcés sur le sujet. Le génocide subi par les juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale devrait en effet être enseigné dans les écoles marocaines. En tant que crime contre l’humanité, il appartient à l’histoire de l’humanité. Son exceptionnalité vient non de son caractère génocidaire mais de la manière industrielle avec laquelle il a été pratiqué. Outre la sensibilisation aux dérives de la pensée raciste, son étude aide à mieux comprendre la psychologie israélienne. Et donc à être le plus à même de défendre la cause palestinienne. Edward Saïd l’avait compris. Pas Khalid Soufiani.
La Nakba, le massacre de Deir Yassin, Gaza, toutes ces histoires de sang et de larmes d’un peuple dépossédé de sa terre doivent, de la même manière, trouver leur place dans nos manuels scolaires. L’étude de l’Holocauste n’est pas une manière de fermer les yeux sur les crimes d’Israël à l’égard des Palestiniens. Au contraire, elle les rend encore plus inacceptables. Et plus incompréhensibles.
(*) «La thèse selon laquelle l’Holocauste ne serait qu’une fabrication des sionistes circule ici et là de manière inacceptable. Pourquoi attendons-nous du monde entier qu’il prenne conscience de nos souffrances en tant qu’Arabes si nous ne sommes pas en mesure de prendre conscience de celles des autres, quand bien même il s’agit de nos oppresseurs, et si nous nous révélons incapables de traiter avec les faits dès lors qu’ils dérangent la vision simpliste d’intellectuels bien-pensants qui refusent de voir le lien qui existe entre l’Holocauste et Israël. Dire que nous devons prendre conscience de la réalité de l’Holocauste ne signifie aucunement accepter l’idée selon laquelle l’Holocauste excuse le sionisme du mal fait aux Palestiniens».
Edward Saïd, in Le monde Diplomatique, août 1998.
