Idées
Déceptions gratuites
Sur le plan général, le rapport note que la situation des droits de l’homme au Maroc s’est globalement détériorée en 2009. Or, les défenseurs des droits de l’homme et la presse au Maroc n’ont pas attendu le rapport de HWR pour s’en émouvoir, montant au créneau lors des multiples affaires qui ont secoué la vie nationale, et ce, à différents niveaux. Sauf que toute critique émanant de l’intérieur est considérée comme quantité négligeable

Pourquoi diable certaines personnalités, respectables et respectées, acceptent-elles d’assumer des fonctions qui ne peuvent que les mettre en contradiction avec les valeurs et les principes sur lesquelles elles se sont construites ? Leur image d’elles-mêmes leur importe-t-elle si peu qu’elles l’exposent ainsi à la flétrissure par des prises de position auxquelles on ne peut imaginer un seul instant qu’elles puissent croire. Exemple : celle de Khalid Naciri, le porte-parole du gouvernement, suite à la diffusion du rapport 2009 de l’organisation internationale Human Rights Watch (HRW) sur la situation des droits de l’homme au Maroc.
Assumant son rôle, M. Naciri, également ministre de la communication, a réagi par la déclaration suivante : «Nous sommes, a-t-il dit, en train de construire une belle démocratie, dans des conditions spécifiques au Maroc». Il ajoute que «cela se déroule parfois d’une façon brouillonne, mais nous avons le mérite de nous engager dans un processus irréversible et ininterrompu». M. Naciri, faut-il le rappeler, est membre du PPS, l’ancien parti communiste marocain. Et c’est ce militant de gauche qui, dans le contexte actuel, nous parle d’«une belle démocratie», d’«un processus irréversible et ininterrompu».
En cette année 2009 ? Alors que l’incapacité de plus en plus manifeste du système à se réformer jette dans un désarroi complet tout ce que le Maroc compte de démocrates sincères et fait perdre leurs illusions aux plus indécrottables des optimistes ? Que du temps de Hassan II, une figure telle celle de My Ahmed Alaoui ait été dans ce type de rhétorique, cela relevait de la norme. Mais qu’un ancien «camarade» en soit à entonner ce même refrain, à se couler aussi dans la posture d’indignation convenue, il y a là quelque chose de proprement désespérant.
Désespérant à un double niveau : du fait, comme cela vient d’être dit, de la personnalité de l’intéressé mais également de ce refus constant et réaffirmé du pouvoir de s’ouvrir à la moindre critique. Et ce, alors que le rapport de HRW, s’il souligne les points noirs de la situation présente, relève également ce qu’il juge à l’actif du Maroc. Sa représentante a ainsi reconnu que c’est «l’un des pays les plus ouverts de la région, qu’il a connu, depuis le début des années 90, des avancées dans le domaine des droits de l’homme» et qu’il jouit de «la liberté de presse et d’une société civile dynamique». Elle s’est aussi félicitée de l’annonce par le Roi d’une réforme de la justice. Mais, sur le plan général, le rapport note que la situation des droits de l’homme au Maroc s’est globalement détériorée en 2009.
Or, les défenseurs des droits de l’homme et la presse au Maroc n’ont pas attendu le rapport de HWR pour s’en émouvoir, montant au créneau lors des multiples affaires qui ont secoué la vie nationale, et ce, à différents niveaux. Sauf que toute critique émanant de l’intérieur est considérée comme quantité négligeable. De plus, le rappel à l’ordre de (ou des) l’impénitent(s) est aisé. Ceci devient autrement plus problématique quand elle est le fait d’instances internationales.
On peut inviter celles-ci à «plus de recul et d’objectivité», leur reprocher «un discours sélectif», celles-ci n’ont de compte à rendre qu’à elles-mêmes. Maintenant, cette parole n’est pas non plus d’évangile.
Dans les affaires qui ont marqué 2009 et sur lesquelles HWR a dû se baser pour établir son rapport, quelques-unes, notamment en matière de presse, pouvaient justifier, jusqu’à une certaine mesure, la réaction des pouvoirs publics en raison des dérives dont elles étaient porteuses. Mais il reste, et tout observateur indépendant en conviendra, qu’il y a eu durcissement effectif du pouvoir sur le plan des libertés publiques.
Quant à la pratique démocratique, elle est, pour reprendre un qualificatif du porte-parole du gouvernement, en effet, tout à fait «spécifique» ! Alors, de deux choses l’une : ou l’on tient à accommoder le concept de démocratie à sa propre sauce, considérant par exemple que la séparation des pouvoirs n’entre pas dans les ingrédients de base et que l’arbitraire est un liant dont on ne peut se passer, auquel cas on ne s’arrête pas à ce que l’étranger dira de nous. Ou l’image que l’on renvoie de soi à celui-ci est importante, auquel cas alors on revoit ses définitions… et sa pratique.
Quant au poste de porte-parole du gouvernement, de grâce, qu’il soit réservé aux hommes du sérail ! Cela nous éviterait des déceptions supplémentaires et gratuites.
