Affaires
Taxation des indemnités de licenciement : flou juridique et conflit des lois
Interview Mohamed Taha Drhorhi.
Le directeur du capital humain d’EHC Group apporte sa lecture sur la nouvelle disposition prévue par la LF 2023, qui met dos à dos le juge, le salarié, l’entreprise et le fisc. Entretien.

A chaque fois qu’une Loi de finances est promulguée, certaines de ses dispositions font l’objet d’interprétations, voire de divergences. C’est le cas notamment de l’indemnité de licenciement exonérée à hauteur de 1 MDH par la Loi de finances 2023, le reliquat étant soumis à un impôt sur le revenu (IR) de 30% libératoire. Une mesure qui donnera certainement du fil à retordre aussi bien pour les employeurs que pour les salariés licenciés.
La nouvelle mesure sur les indemnités fiscales mettra-t-elle fin au dilemme des contentieux judiciaires opposant l’Administration fiscale aux contribuables employeurs ?
Je m’attarderai principalement sur la problématique des sommes perçues en cas de licenciement, et particulièrement celui qualifié «d’abusif» ou «pour motif économique», car c’est une situation qui n’est pas du fait de la volonté du salarié, contrairement à un départ volontaire qui reste un choix réfléchi. Pour le grand public, ainsi que les non-initiés, un travail d’advocacy doit être fait. Lors d’un licenciement «abusif», un salarié qui choisit d’intenter une action en justice peut prétendre aux trois indemnités suivantes : le préavis (article 51 du Code du travail), les dommages et intérêts (article 41 du Code du travail) et l’indemnité de licenciement (article 52 du Code du travail). En cas de licenciement pour motif technologique, structurel ou économique, dûment autorisé, des trois indemnités ci-dessus, le salarié ne perçoit pas les indemnités pour dommages et intérêts. Le juge social est l’acteur principal pour l’application saine de cette nouvelle disposition de la LF 2023, dans le sens où son jugement déterminera la base de calcul de l’IR en question. En cas de licenciement, le juge se réfère principalement au Code du travail marocain, le DOC et la Jurisprudence. Concrètement, c’est lui qui fait le calcul des droits dans le cadre de cette procédure, et donc il est le premier à déterminer lesdites indemnités de licenciement.
Le dilemme n’est pas pour autant réglé ?
Avec l’entrée en vigueur de cette nouvelle disposition, le juge social se heurtera à l’article 76 du Code du travail, qui stipule que «les indemnités versées au salarié pour licenciement par conciliation ou décision judiciaire sont exemptées de l’impôt général sur le revenu, des cotisations de la Caisse nationale de sécurité sociale et des droits d’enregistrement», cette exonération a été confirmée 2 fois par 2 arrêts de la Cour de cassation depuis le temps où elle avait l’appellation de «Cour suprême» (arrêt n°1.239 rendu le 3/12/2008 dossier social n° 421/5/1/2008; arrêt n°798 rendu le 27/06/2009 dossier social n°447/2006). Dans la pratique des contentieux sociaux, et après une période de confusion entre jugements qui statuent sur les indemnités de licenciement, tantôt en brut tantôt en net, la jurisprudence marocaine a tranché et est restée constante depuis 2012 sur ce sujet. Reste à savoir si les juges prendront l’initiative et statueront avec les sommes nettes et faciliteront ainsi la tâche à toutes les parties prenantes, notamment l’entreprise et la DGI. Ou bien s’ils continueront à appliquer la réglementation sociale scrupuleusement, et ouvriront par conséquent le champ aux interprétations contradictoires, sachant que la Loi de finances 2023, concernant cette disposition, commence par l’expression «nonobstant toute disposition contraire». Pour le Fisc, la note circulaire n°733 relative aux dispositions fiscales de la LF n°50-22 pour l’année budgétaire 2023 a répondu à quelques questions se rapportant à notre problématique, notamment la détermination du surplus des 1 MDH comme étant la base imposable. Autrement dit, le Fisc taxera le dirham de plus des 1 MDH exonérés, dans les conditions du droit commun. Toutefois sur l’exemple cité précédemment de cettedite circulaire, la DGI évoque, je cite : “l’indemnité de licenciement brute”, “l’indemnité pour dommages et intérêts fixée par le tribunal”, or lors d’un licenciement abusif, c‘est le tribunal qui fixe ses deux indemnités, la première en brute et la seconde en net comme expliqué ci-haut.
Qu’en est-il pour l’entreprise ?
L’entreprise devra être très attentive, car les jugements qui dépasseront ce seuil de 1MDH ne comportent pas que les indemnités prévues dans la Loi de finances, à savoir l’indemnité pour dommages et intérêts (art 41 du Code du travail) et l’indemnité de licenciement (art 51 du Code du travail), le montant du préavis, ou encore le solde de tout compte «qui peut correspondre à des primes de rendement non perçues…». A moins que le jugement statue par le montant net «exact» et «conforme à la LF 2023» de la somme des indemnités qui seront versées au salarié, en laissant à l’entreprise la latitude de verser au fisc le montant de l’IR adéquat, l’entreprise aura le choix entre deux postures au minimum: première option, elle se soumettra au montant qui figure dans le jugement, en se basant sur le calcul du juge selon la pratique judiciaire actuelle en matière sociale. Dans ce cas, l’entreprise ne sera tenue, en cas de contrôle fiscal, que par l’impôt de l’indemnité pour dommages et intérêts «statuée en net». Deuxième option, l’entreprise vérifiera l’adéquation du calcul fait par le juge et les nouvelles dispositions fiscales 2023, et en cas de discordance, elle paiera quand même au salarié le montant «non conforme à la LF 2023» jugé, réservera le montant de l’IR adéquat et entreprendra une action en appel ou un pourvoi en cassation contre la décision de la Justice.
Le salarié “licencié” sera-t-il lésé dans cette affaire ?
C’est le maillon faible dans cette histoire, notamment pour notre cas de figure (licenciement abusif, licenciement économique…). La première question qu’il se posera est que deviendrait l’article 76 du Code du travail qui exonère clairement de l’IR ? Est-ce que le salarié va subir le licenciement «abusif» et l’impôt ? Quel sera son sort, s’il est licencié pour un motif économique ou une autre raison qui sort de sa volonté ? Certains diront que la somme de 1 MDH est un seuil d’exonération relativement élevé, et qu’il n’impacterait que des salaires relativement hauts (cadres dirigeants, directeurs, …), et qui n’ont peut-être que peu d’ancienneté. Par ailleurs, ce qui est fort probable, c’est que les pourvois en cassation seront sûrement d’actualité, pour les premiers cas qui seront impactés par cette mesure, que ça soit l’entreprise, le salarié, ou même l’Administration fiscale, dans le cas d’une mauvaise application ou interprétation de cette nouvelle disposition de la Loi de finances 2023.
